31 janvier 2024
__________Je le regarde souvent, cet avant-bras. J'y trace des lignes parallèles avec la pulpe de mon index ou de mon pouce pour éprouver la tendresse, la finesse et la fragilité de la peau. Je laisse parfois d'infimes sillons d'ongle, là, par-dessus ces veines bleues intactes. J'inspecte les minuscules poils blonds et la constellation discrète de grains de beauté. Il est joli, mon avant-bras vierge. Une étendue de neige qu'aucune lame n'a tranchée.
Je suis en vie.
Ça me fait bizarre parfois de me dire ça. Quand je me remets dans la peau d'Arlo qui se tranche la peau autre part pour ne pas avoir à le faire là, quand je me remets dans la peau d'Arlo qui tourne et retourne ce couteau émoussé dans ses mains. Il est vert, mon couteau. La lame est pliable, sans sécurité pour l'empêcher de se replier. Son fil est brisé et a du mal à se laisser affiner. La lame n'est pas bien polie, on se voit à peine dedans, juste une forme floue. Le bout est pointu, très pointu, il peut faire des trous moches dans la chair. Il est vert, mon couteau. Le manche est de bois marbré, avec une foule de nuances de vert qui s'empilent les unes sur les autres, se fondent les unes avec les autres, se complètent et s'entortillent. Il est vert, mon couteau. Le vert, c'est ma couleur préférée. Les fiches de signification des couleurs disent souvent qu'il est associé à la santé et au soin, qu'il est synonyme de vitalité. J'aime cette ironie. J'aime que mon couteau soit vert.
J'ai un rapport étrange avec les couteaux, depuis que mon cerveau a déraillé pour la première fois. Je me demande systématiquement s'ils seraient efficaces. J'ai l'image, à chaque fois ; ça me fait rire quand c'est un couteau à beurre.
J'ai l'impression de flotter dans un univers aquatique et vaseux dans lequel tout est source d'amusement cynique. La fontaine de Duchamp, elle est sympa mais elle est trop innocente ; le gars qui a pissé dedans, en revanche, il me plaît bien.
Ce matin j'ai dit à ma psy que mes gens m'appellent Arlo et me genrent au masculin. On a eu une longue discussion là-dessus. On n'est pas allés du côté inconfortable, sauf quand j'ai dit que ma mère ne m'accepte pas comme je suis et que « c'est un ti peu dommage, quand même ».
Je n'aime pas ma vie, je crois. Je ne sais pas si c'est la mienne ou le concept même de vie qui me rebute. C'est peut-être la société humaine qui me casse. C'est Rousseau qui dit que l'homme est fantastique mais que la société gâche tout ? Ou alors Rimbaud, je ne sais plus, j'ai du mal à associer une idée avec la personne qui l'a eue.
La simplicité d'une expérience comme celle de Basile me manque.
J'ai fabriqué des petits bidules en argile pour faire tenir les longues bougies droites, et protéger les tables de la cire. Ça m'a occupé. C'était facile et répétitif et beau et utile.
Je suis fatigué.
3 février 2024
__________Il n'y a rien qui me rende plus triste que les projets amicaux avortés, retardés, compliqués. Quelque part, je vous en veux d'avoir une vie et des emplois du temps qui ne matchent pas. J'en veux à Fuchsia de travailler, j'en veux à Epinard de partir en vacances. J'en veux à la vie d'être ainsi.
J'écoute l'EP Songs for Sadness de Palaye Royale et ce sont de très belles chansons qui me font du bien ce soir, étonnamment.
J'aimerais avoir la grotte de Robinson dans Vendredi ou les limbes du Pacifique. J'aimerais avoir cet endroit glauque et infantilisant où je me sentirais bien, protégé, sali aussi, mais bien. J'ai besoin d'un endroit recroquevillé où je serais bien. J'irais bien me promener, tiens, ça me ferait du bien.
Allez, j'y vais.