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Il était tombé sur un guichetier proche de l'âge de la retraite qui se souvenait parfaitement de lui. Il s'était fait couper les cheveux, mais il ne les avait pas encore teints et, à l'époque, il ne portait pas de lentilles de contact colorées. Sinon, il serait passé inaperçu et personne n'aurait jamais pu le reconnaître.
Il avait pris un billet pour Port Angeles, mais il n'avait trouvé aucune trace du jeune homme dans cette ville. Il l'avait donc cherché partout où le car s'était arrêté, en sachant qu'il se donnait peut-être tout ce mal pour rien car, de Port Angeles, il avait très bien pu prendre le ferry pour le Canada. Auquel cas, il n'était pas sorti de l'auberge.
Supposant qu'il n'avait pas quitté le pays, 3 semaines durant il avait passé au peigne fin les villes traversées par le car. C'était si long et si fastidieux qu'il avait bien failli abandonner. Mais Jaeger payait bien et Livai avait grand besoin d'argent. Si ce n'avait pas été le cas, jamais il n'aurait accepté ce boulot. Et jamais sans doute il ne serait entré au Waterfront Cafe 3 jours plus tôt et n'aurait remarqué le serveur.

-Je suppose donc que c'est votre confiance à vous qu'il faut que je gagne en premier lieu, dit-il en lui décochant son sourire spécial, celui auquel, lui avait-on dit un jour, rien ni personne ne pouvait résister.

Sauf lui, apparemment. Il sembla même redoubler de méfiance : ses yeux s'étrécirent derrière les verres de ses lunettes. Il fronça les sourcils à son tour. Il n'avait pas l'air particulièrement fragile ou perturbé et, contre toute attente, ce n'était pas de la tristesse qui émanait de sa personne, même si on devinait chez lui des blessures. Bizarrement, ce qu'on percevait surtout, c'était de la peur.
Mais cela n'avait aucun sens. De quoi aurait-il peur ? A moins qu'il ne lui soit arrivé quelque chose... Il songea brusquement qu'il avait pu faire une mauvaise rencontre, ce qui expliquerait sa méfiance, les coups d'œil furtifs qu'il jetait sans arrêt autour de lui.

-Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il tout de go.

Ce changement de tactique le déstabilisa.

-Tout va bien, assura-t-il en s'emparant de la théière et en s'empressant de tourner les talons.

-Ren ! lança-t-il, car c'était le prénom inscrit sur le badge qu'il portait sur la poitrine.

Il fit volte-face. Le sentant toujours aussi réticent, il hésita à poursuivre plus avant la conversation. Il s'était acquitté de sa mission. Quel besoin avait-il de chercher à entrer dans ses bonnes grâces ? Il était censé le retrouver, rien d'autre.
Son client - le frère du jeune homme - lui avait bien recommandé de ne rien lui dire. Il viendrait et se chargerait lui-même de le mettre au courant.
Au téléphone, tout cela lui avait paru très simple. Sur le terrain, il trouvait que ça l'était beaucoup moins.

-Je n'essai pas de vous entourlouper, dit-il d'un ton humble. C'est juste que... cela fait trois semaines que je cherche.
J'avoue que... je commence à me décourager.

Ce qui était la pure vérité. Il ne lui disait pas tout, certes, mais au moins il ne mentait pas. Il n'avait donc pas l'impression de l'embobiner, même si, en lui faisant part de sa lassitude, il espérait bien sûr toucher sa corde sensible.
Il hocha la tête mais ne parut pas totalement convaincu.

-Je n'aurais jamais cru que, là-haut, il était si difficile de trouver un mouillage temporaire.

(Là-haut.) Un autochtone n'aurait jamais employé cette expression. Le jeune homme parlait comme s'il se trouvait toujours à Los Angeles. S'il avait encore eu le moindre doute, voilà qui achevait de le convaincre.

-C'est l'association des 2, dit-il.

-Des 2 quoi ?

-Il me faut non seulement un mouillage, mais aussi un magasin de fournitures maritimes.

Ce qui était, là encore, parfaitement exact.

-Sans oublier un endroit où garer la moto ?

Identité secrète.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant