8⃣

1.3K 120 2
                                    


Mais, comme Pixis le lui avait un jour fait remarquer, la moitié des gens qui habitaient ici étaient originaires d'ailleurs. Feu son épouse était née dans l'Arizona. Par amour pour lui, elle avait renoncé au climat sec et ensoleillé du Sud et fini par s'habituer à l'humidité qui rendait le Nord-ouest si vert.

-Vous voilà bien songeur, dit Livai.

-Je pensais à Pixis et à sa femme.

-Oui, justement, je voulais vous demander ce qu'il lui était arrivé pour être sûr de ne pas faire de gaffe. Elle est morte, je suppose ?

Ren acquiesça d'un hochement de tête.

-Il y a dix ans, après presque quarante ans de mariage.
Vous vous rendez compte comme ça a dû être affreux ? Pixis a passé avec elle plus de la moitié de sa vie.

-Et vous imaginez ce que ça peut être quand on perd la personne avec laquelle on a toujours vécu ?

Il se figea, tétanisé par la peur. Levant les yeux vers lui, il constata qu'il le fixait bizarrement, comme s'il guettait sa réaction.
Toujours ? Comme lui avec Thom ?
Sans le vouloir, il recula d'un ou deux pas. Mon dieu, dans quel pétrin s'était-il fourré ? Jean avait chargé ce type de le retrouver. Et lui, sot qu'il était, il l'avait attiré ici. Il fallait qu'il soit complètement fou pour s'être lié d'amitié avec lui. Il était beau, soit, mais Jean, son mari, passait pour être un très bel homme. Sauf que, contrairement à lui, Livai ne courait pas après l'argent et le pouvoir. Il bourlinguait sur son bateau. A moins qu'il ne lui ait raconté des histoires ? Qu'il ne lui ait fait croire que son père était flic que pour mieux l'entourlouper ?
Il s'était remis à parler mais, perdu dans ses pensés, il n'avait pas écouté.

-... ce que j'ai ressenti à la mort de mon père. C'était comme si le monde s'était écroulé autour de moi.

C'était à son père qu'il pensait, en fait. Le jeune homme sentit en lui un étrange trépidation qu'il supposa être le contrecoup de la brusque monté d'adrénaline déclenché par la peur.

-C'était vraiment mon héros, déclara humblement Livai.

À ces mots, la suspicion du jeune homme fondait comme neige au soleil. Un homme qui vouait une telle admiration à son père ne pouvait pas être un sale type.

-Je suis désolé, dit-il. Cela remonte à combien de temps ?

-À longtemps. 14 ans, exactement.

Presque la moitié de sa vie, songea Ren. Il lui donnait une trentaine d'années. Quand il avait perdu son père, il était encore plus jeune que lui à la mort de sa mère.

-C'est affreux, dit-il.

-Oui, ça a été très dur.

Il fixa un instant le macadam du quai puis contempla la colline, derrière la maison. Il fuyait de toute évidence le regard du jeune homme.

-Je vais vous laisser vous installer, dit-il lorsqu'il lui parut évident qu'il ne dirait plus rien.

Il hocha vaguement la tête.

-Merci. J'ai encore deux ou trois bricoles à faire avant le dîner. Pixis vous a dit qu'il m'avait invité ? demanda-t-il en lui jetant un regard en coin.

Première nouvelle, songea-t-il.

-Vous avez de la chance. Il cuisine très bien. Et, quand il a des invités, il se surpasse.

-Vous serez là aussi ?

-Non, nous ne sommes pas dimanche.

-Dimanche ?

-C'est le dimanche que je vais dîner chez Pixis. Ce jour-là, sa femme lui manque plus que d'habitude, apparemment, alors je lui tiens compagnie. Ça a l'air de lui faire du bien.

-La compagnie d'un beau jeune homme ne peut pas lui faire de mal, répondit Livai.

Il le scruta, persuadé qu'il se moquait de lui. Mais non, il semblait parfaitement sincère. Après tout le mal qu'il s'était donné pour s'enlaidir, Ren savait pourtant qu'il était maintenant tout à fait quelconque. Mais, pour tout un tas de raisons, sa nouvelle apparence lui plaisait bien plus qu'il ne l'aurait imaginé.
Cependant, sans qu'il puisse s'expliquer pourquoi, ce compliment forcément factice le blessa.

-Il faudra le lui conseiller, rétorqua-t-il avant de tourner les talons et de s'en aller sans même un regard en arrière.

Identité secrète.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant