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Le conducteur était arrivé quelques minutes plus tard, comme convenu. Le trajet fut silencieux si ce n'étaient les regards de ce dernier par le miroir pour regarder la jeune femme. Elle était mal à l'aise sans aucun doute et il avait l'air de s'en moquer, ou bien, c'était l'interprétation de Madeline qui, plus le temps passait, plus voyait dans les hommes des menaces continues et immaitrisables. Elle serra les poings tout en évitant son regard, essayant au mieux de conscientiser ses respirations pour ne pas paniquer. Toutefois, il commença à discuter, baissant la radio et ajustant son rétroviseur pour mieux la voir.

« Ca va ? » Elle hocha la tête tout en continuant de regarder la ville par la vitre. « Vous allez où comme ça ? A cette heure-ci ? Souvent, je ramène des gens de boîtes dans ces créneaux là mais t'as pas l'air bourrée. »

« Je vais chez un ami. »

« Petit ami ? »

« Juste un ami. » Il acquiesça tout en faisant une moue qui donna la nausée à Madeline.

« Une jeune fille comme toi, célibataire ? J'y crois pas une seconde ! » Il ricana tout en plissant les yeux. « T'es super jolie et t'as pas l'air stupide. »

La brune regarda son téléphone pour voir l'heure. Elle arrivait dans à peine cinq minutes. C'était peu mais à la fois beaucoup trop. Sa vue se brouilla de larmes. Elle enfonça ses ongles dans la paume de ses mains, espérant que la douleur efface son angoisse et l'empêche de couler une larme. L'homme, lui, se rendit compte de son malaise et ralluma la radio comme si de rien était. Ses intentions n'avaient pas été mauvaises sinon lourdes et déplacées mais pour elle, c'était un déclencheur.

Dès qu'il s'arrêta, elle sauta en dehors de la voiture sans un mot, ni un geste. Elle se précipita vers le studio, ne prit pas la peine de toquer et fonça dans le studio de Mathieu. Il sursauta en la voyant dans son champs de vision, le casque sur les oreilles et le nez sur son téléphone.

« Tu m'as foutu les jetons. »

Elle n'eut la possibilité de répondre, son menton tremblant l'empêchant de formuler un son. Il se redressa comme si son siège était éjectable. Il n'eut le temps de poser une question qu'elle cachait son visage trempé de larmes de ses mains avant de s'enfoncer contre le torse de Mathieu. Il hésita un instant à l'enlacer, incertain de ne pas déclencher une nouvelle vague d'émotion. Toutefois, elle avait fait le premier pas et, en réalité, il en avait envie, alors, il l'encercla de ses bras, la laissant pleurer silencieusement. Il reposa son menton sur son crâne, les paupières closes. C'était un moment qu'il était certain de retenir jusqu'à la fin de ses jours, surtout après sa longue absence et tous ses mirages d'elle. Ce fut elle, qui se délia finalement, séchant ses pleurs dans son sweater avant de le regarder.

« J'ai eu peur du Uber. » Elle secoua la tête, se sentant ridicule. « Il m'a juste dit que j'étais.. je sais même plus.. jolie ou un truc comme ça, il voulait savoir où j'allais et si j'étais célib et j'ai paniqué. »

« Ca se comprend. » Son ton était sérieux et Madeline en fut surprise qu'il ne minimise pas. « Déjà que c'est pas agréable dans...la vie de tous les jours...c'est vraiment pas le moment. » Elle préféra ne pas répondre, se faufilant plutôt vers le placard de nourriture, celui secret. Mathieu ne put s'empêcher de sourire, satisfait, tout en reprenant place dans sa chaise. Elle se savait en sécurité ici, en sa présence, pour parler, dormir, se nourrir et pour lui, c'était aujourd'hui, suffisant.

« Tu veux quelque chose ? » Il refusa d'un geste de la tête. « Il faudra faire le plein, si je viens plus souvent ici. »

« C'est pas un problème pour moi. »  En y réfléchissant un peu plus, il se demanda si leur rapprochement ne provoquerait pas plus de dérèglement dans sa tête. Il était certain qu'elle avait quelque chose de plus et plus il passait du temps avec elle, plus il lui était difficile de ne pas penser à elle, de ne pas la voir partout. Il repensa à son temps de promotion en dehors de la ville et à toutes ses fins de soirée dans son lit, à l'imaginer sur son plafond tout en se répétant qu'il n'était pas assez bien, qu'elle n'était pas prêt à tout ça.

« T'es encore dans la lune. » Elle était maintenant assise sur le canapé, recroquevillée sur elle-même, les yeux encore larmoyants mais un léger sourire planté sur le visage. Elle grignotait un paquet de gâteaux salés tout en fixant de loin l'ordinateur. « Est-ce que ton séjour s'est bien passé ? »

Il ne savait quoi lui dire. Entre le fait qu'il avait pensé à elle en ses insomnies et ses moments de solitude et le fait qu'il avait couché avec une fille différente tous les soirs pour ne plus penser à son projet musicale, à sa famille ou à son manque d'argent, il n'y avait rien de bien à déclarer. Alors, il haussa les épaules et, poliment, elle n'insista pas. Il n'eut besoin de lui demander comment c'était passé ses dernières semaines, son appartement ainsi que la bouteille avaient été suffisants.

« Tu veux te reposer ? » Elle secoua la tête. Elle en avait besoin, elle en avait conscience mais elle avait envie de profiter de sa présence, ayant été seule pendant trop longtemps.

« Alors ramène toi dans le fauteuil, c'est pas drôle quand t'es derrière. »Elle le fit, attrapant par la même occasion le plaid. « Tu sais que je l'ai acheté pour toi et que personne n'a le droit d'y toucher ? »C'était sorti naturellement et il se sentit stupide. C'était typique d'une phrase de drague et il s'en voulu, c'était pas le moment. Pourtant, elle pouffa, appréciant son honnêteté. C'était simple et touchant. Et si elle avait pu, elle lui aurait dit à quel point elle avait besoin de ce genre de gestes, de cette normalité.

« Ton arcade est bien moins pire que ce que j'imaginais. » Il acquiesça. « J'arrive pas à croire que tu t'es battu avec Julian. »

« Justement... je.. j'aimerais qu'on parle de ça, si tu veux bien ? » Elle hocha la tête, les lèvres pincées tandis qu'elle se recroquevillait. Il pouvait voir qu'elle n'en avait aucunement envie mais il avait besoin d'être honnête sur une chose avant de devenir complètement fou.

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