KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]

4.1 : La choucroute froide

Le félin noir et le forçat profitèrent de l'absence de personnel dans la cuisine de restauration collective - dans laquelle ils venaient de débarquer frauduleusement - pour prendre une collation. Le premier, contrairement au second, paraissait apprécier les bouchées de choucroute froide aux saucisses de poisson.

<< Ça n'a pas l'air de te goûter ... nota le matou après avoir relevé la gueule du plat transparent posé sur le long plan de travail dressé au milieu de la pièce.

— Non ... J'avoue que je dois me forcer. >>

Le ronronnement du système de moteur maritime s'accentua brusquement. Ils pivotèrent la tête à gauche puis à droite, interrogatifs ; ils pouvaient ressentir de légères vibrations sous leurs pieds et pattes.

<< Qu'est-ce qu'il se passe ? Ne me dis pas que nous sommes en train d'appareiller ! >> s'exclama le chat.

Le garçon au pantalon de visibilité orange se rua sur le hublot à partir duquel il avait précédemment fait le constat, à la vue d'un quai comportant plusieurs grues de levages de conteneurs, de leur présence dans un port. Il découvrit que le navire dans lequel ils avaient été expédiés commençait doucement à s'en éloigner. Il se retourna vers son compagnon aux oreilles pointues : << Si !

— Il faut déguerpir d'ici au plus vite ! Nous allons évacuer du bateau à la nage en tâchant de ne pas nous faire repérer !

— ... Purée ... Ho non ... Alors ... Ne me demande plus de faire des choses trop dangereuses quand on sera de retour sur la terre ferme ... Je crois que j'ai eu ma dose. >>

Des voix masculines retentirent soudainement dans la pièce voisine dont le cadre d'entrée était exempt de porte.

<< Des gens s'approchent ... Cache-toi derrière le plan de travail ... Moi, je me débrouille ... >> pria le matou.

Zoran disparut aussitôt de son champ de vision en se couchant à plat ventre sur le sol carrelé. Le félin noir se faufila sous le bloc des quatre fourneaux. Un homme à la barbe grise en collier fit son entrée dans la cuisine ; il était vêtu d'un caban aux boutons dorés et au col en fourrure, d'un pantalon droit bleu marine et d'une casquette de la même couleur sur laquelle un écusson était marqué de l'emblème d'un serpent qui s'enroulait autour d'une ancre ; le nœud de sa cravate noire était visible sous sa gorge.

<< J'arrive tout de suite. >> signala-t-il à une personne qui l'attendait dans la salle attenante.

L'évadé du pénitencier liégeois, à l'écoute des bruits de pas qui se rapprochaient dangereusement de sa position, contourna à genoux l'extrémité de la surface servant à la préparation des repas à partir de laquelle le personnage à la casquette bleu marine ouvrit deux ou trois tiroirs, à la recherche manifeste de quelque chose. L'homme mit enfin la main sur une boîte de thé oriental et s'empara ensuite de deux tasses blanches contenues dans une armoire de rangement fixée au mur. Il vint actionner un robinet afin de remplir d'eau les deux objets de porcelaine, y plaça quelques gélules de thé et tourna à quatre-vingt-dix degrés les anses des récipients, ce qui eut pour effet, le temps qu'elles se replacent normalement, de chauffer l'eau et dissoudre l'enveloppe gélatineuse renfermant le composé aromatique. Le breuvage était prêt. Le personnage, ravit, était à deux pas de retourner dans la pièce voisine quand son regard fut subitement retenu par la trappe béante de la machine de livraison. Il navigua dans le menu virtuel de sa montre et entra en communication avec un membre de l'équipage.

<< Martin ! Je vous attends à la cuisine, tout de suite ! >>

Il patienta. Il s'approcha du plat de choucroute, les sourcils froncés, et finit par saisir quelques rubans de choux acidulé entre les doigts. Il les renifla avant de les mettre en bouche et les mâcher, jusqu'à ce que sa mine exprime un air de dégoût. Il recracha l'affaire dans le plat avec un accompagnement de salive.

<< Répugnant ... >>