Le pouilleux à la moustache effilée fit le tour de la berline, à proximité de l'autobus, derrière laquelle s'était éclipsé le félin noir, allant jusqu'à s'aplatir au sol afin de vérifier s'il n'était pas en dessous ; il put alors voir deux yeux brillants qui parurent le narguer durant l'espace d'un dixième de seconde avant de réaliser, certainement, qu'il s'agissait peut-être d'une illusion d'optique.
<< Tu l'as trouvé ? demanda-t-il à son compère qui lui répondit par la négative dans une expression faciale significative.
— Il est sur le toit de l'autobus ! >> signala à pleins poumons, au travers des haut-parleurs, Sterben qui avait repéré la petite bête via les caméras de sécurité.
Le moustachu eut à peine le temps de se retourner que le chat, toutes griffes déployées, plongea sur lui et lui entailla la joue dextre avant de retomber au sol. La petite bête sauta ensuite sur le capot de la voiture, rebondit sur l'une des vitres encore intactes de l'autobus et se relança sur le même homme en lui portant un coup circulaire de patte postérieure au niveau du thorax. De justesse, le matou para une attaque de son binôme qui s'était empressé de venir le défendre ; il bondit sur le pare-brise de la berline et, après une pirouette aérienne, cogna ce second personnage qui, dans un mauvais réflexe désastreux, infligea un coup de chaîne au premier qui s'écroula inconscient à terre.
<< Zut ! >> poussa le prisonnier à l'éponge collée sur le crâne.
Le félin noir s'éclipsa une nouvelle fois des radars. Le dernier pouilleux encore debout dans la pièce, pantelant, scruta tout son environnement, l'esprit sur le qui-vive et les mains collées sur sa lourde arme en acier brossé. Il put entendre un bruit qui semblait provenir de l'intérieur de l'autobus articulé. Il observa un moment l'appareil de transport avant de se décider à l'inspecter, s'en approchant à pas de loups. Il s'y introduisit par l'entrée principale. L'intérieur était saccagé ; la plupart des vitres étaient soit brisées soit peinturlurées par des artistes contemporains au talent peu académique, les sièges étaient scarifiés voire arrachés, les cadavres de bouteilles de bières étaient éparpillés partout au sol ; la forte odeur d'ammoniaque qui accompagnait le spectacle contraignit l'homme à se pincer le nez pendant sa progression, l'autre bras occupé à soulever sa chaîne afin de frapper au plus tôt, examinant attentivement chaque rangée de sièges. Il finit par retrouver le chat à mi-parcours, assis sur une banquette et occupé à le regarder comme si de rien n'était.
Sterben assista à la retransmission du brusque ballottement de l'autobus qui dura quelques secondes. Le félin sortit ensuite tranquillement de l'appareil et, l'air impassible, releva la tête en direction de l'objectif d'une caméra de sécurité. Le travail était de toute évidence terminé. Le chef de bande fronça les sourcils.
<< ... J'ai faim. Je partirai tout de suite si tu me donnes une de ces boîtes de raviolis, c'est promis. >>
D'un mouvement du pied, Zoran fit rouler l'une des conserves jusqu'à son interlocuteur.
<< Impeccable. prononça l'intrus en la ramassant.
— Pourquoi êtes-vous sur cette île ?
— Et bien ... J'étais un forçat ... J'ai essayé de m'évader. Alors l'État Suggéré m'a fait déporter ici ... >>
Le compagnon d'aventure du félin noir se risqua à lui céder un léger sourire.
<< Moi aussi, je suis un forçat. >> avoua-t-il.
L'évadé du pénitencier liégeois remarqua que la marmite commençait à bouillir et se tourna vers la plaque à induction pour diminuer l'énergie thermique. L'inconnu, profitant de ce moment d'inattention, lui lança la boîte de raviolis en pleine face. Le garçon en caleçon hurla en relâchant son rouleau à pâtisserie.
<< J'avais compris. C'est pour cela que j'ai menti ! >> cria l'homme en se jetant sur lui, le pied de biche en l'air.
Klaus Friedrich, resté à l'écart du grabuge, put entendre un bruit de pas et tourna les yeux en direction de leur provenance. Le chef de bande au visage tatoué et amputé du nez, descendu de la tour de contrôle, s'en alla le trouver et lui porta un coup de poing sans retenue dans l'abdomen.
<< Aïe ! hurla l'Autrichien.
— Quelle est cette chose ?
— Quoi ?
— D'où vient ce chat ? Qui est-ce qui l'envoie ?
— Un chat ... Comment ça ? Je ne comprends rien ... >>
Sterben l'empoigna par le cou.
<< Tu me racontes des salades ! Comment une si petite chose a-t-elle pu mettre au tapis tous mes hommes ? >>
Il relâcha la pression lorsqu'il aperçut sur le tarmac, à vingt mètres de distance, deux points verts et brillants dans l'obscurité qui semblaient se rapprocher. Le chef de bande, au bout d'un moment d'hésitation et dans un état de nervosité perceptible, se craqua les doigts, se montrant ainsi paré aux hostilités qui devaient inévitablement s'engager. Lechat se plaça dans le faisceau de lumière produit par le réverbère à cinq mètres des deux hommes, à présent clairement visible.
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KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]
FantascienzaGAGNANT WATTYS 2021 ⭐ Un mystérieux chat noir pourchassé par l'armée libère un jeune prisonnier ayant participé, quelques années plus tôt, à la dernière guerre des Balkans. Au fur et à mesure d'une traque qui se poursuivra au travers de l'Europe et...