14.7 : le bortsch du Roi

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La nuit était tombée

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La nuit était tombée. Boleslas et Casimir dînaient tous les deux, face à face, sur une table en chêne à la surface ovale dans l'une des salles à manger du Château du Wawel. Trois des quatre murs allongés par des voûtes d'arrêtes autour d'eux étaient essentiellement décorés de tapis aux motifs floraux ; une immense tapisserie médiévale représentant la Cène figurait sur le quatrième.

Ils entamaient un bortsch dans lequel baignaient des pierogis et des champignons séchés.

Le souverain polonais recracha subitement sa dernière cuillérée dans un soudain accès de toux. Le Prince, très réactif, vint lui administrer quelques petits coups du plat de la main dans le dos afin, de toute évidence, d'atténuer l'expiration brusque et bruyante. La respiration du Roi retrouva son rythme normal, se concluant par un profond reniflement peu convenant. Le garçon aux cheveux dorés se rassit.

<< ... Quand on est stressé, mon fils, on a du mal à avaler ... Et quand on a du mal à avaler, on a tendance à avaler de travers ...

— Père ... Entre nous, vous avez éprouvé au cours de votre vie chevaleresque des difficultés nettement supérieures au curieux événement que nous avons connu aujourd'hui ...

— ... Le fait est que je n'ai toujours pas la moindre nouvelle du Colonel Górski. Cela m'inquiète beaucoup.

— Vous lui avez pourtant sagement réclamé de ne pas émettre la moindre communication afin que son emplacement ne soit intercepté par personne ...

— Certes ... Mais ... je me demande pourquoi Demester devait absolument rencontrer ce chat ... Quelque chose de grave est certainement en train de se jouer ... J'espère pouvoir être rassuré au plus vite, à défaut d'avoir de mauvaises nouvelles ... >>

Boleslas réattaqua son assiette mais, au bout d'un moment, se remit à toussoter quelque peu, sans oser lever les yeux vers Casimir, peut-être gêné. Il se reprit : << ... À part cela ... Comment as-tu trouvé ta mère, aujourd'hui ?

— Maman avait l'air plus rayonnante que d'ordinaire ...

— Ça m'aurait fait plaisir de la voir manger avec nous ...

— Pour une fois que vous vous réjouissez à l'idée d'inviter quelqu'un à notre table ...

— ... Parce que tu penses que je cherche absolument à rejeter tout le monde ? Tu crois que je le fais exprès ?

— ...

— Casimir ... Regarde-moi ... >>

Il fixa sa progéniture droit dans les yeux.

<< ... Quand tu es un vrai chef, quand tu es prêt à tout sacrifier pour les tiens voire pour l'humanité entière et que tu œuvres magistralement en ce sens ; au début, tout le monde t'admire, te soutient et t'ovationne ... Ensuite, un frère te trahit, un autre te renie ... Beaucoup d'opportunistes se rendent compte que tu ne transigeras sur rien pour satisfaire leurs médiocres intérêts, parce que c'est ton mode de fonctionnement ... Les gens qui t'applaudissaient hier finissent par suivre les beaux parleurs et souhaiter ta mort ... et tu finis pratiquement seul. C'est comme cela que je finirai ... parce que je ne céderai rien ... Je l'ai toujours su ...

— ... Je ne sais pas s'il vous reste des amis mais ... En tous cas, même maman, qui s'est pourtant mise à l'écart de la vie publique, a ses copines dans la cour ... Et elle mange avec elles.

— ... Ses copines ... Ta pauvre mère ignore ce qu'est l'amitié. Elle ignore d'ailleurs ce qu'est l'amour. >>

Les yeux du Prince se rembrunirent.

<< ... Tu le sais très bien. >> renchérit le monarque.

KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant