7 : La loi de la jungle

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Zoran, dans un réflexe heureux, saisit la marmite par l'une des deux anses et la jeta avec son contenu sur l'inconnu qui l'assaillit avec sa pince à décoffrer

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Zoran, dans un réflexe heureux, saisit la marmite par l'une des deux anses et la jeta avec son contenu sur l'inconnu qui l'assaillit avec sa pince à décoffrer. Ce dernier, atteint sur une moitié du visage par le met en début d'ébullition, hurla et parvint à atteindre, de l'extrémité fendue de l'outil, le garçon à l'épaule. Celui-ci riposta instinctivement par un coup de pied direct. L'intrus, très remonté, tenta une nouvelle frappe avec son pied de biche mais le compagnon du félin noir parvint, de sa main gauche, à retenir le bras fatal, tandis que l'agresseur lui happa le poignet dextre ; ils se tinrent ainsi l'un et l'autre, essayant de se repousser et de se dégager, faisant inévitablement choir des ustensiles de cuisine dans la bousculade, chacun d'eux en encaissant ou en esquivant des coups de genou. L'ex-forçat en caleçon parvint finalement à se retirer en plaçant un coup de boule à son assaillant avant de prendre la fuite à toutes jambes.

Il traversa la salle à manger et se retrouva dans le vestibule. Il jeta dans un premier temps un œil vers la sortie ; cependant, l'entente d'un rire éloigné mais rustre provenant du dehors insécurisé et incertain le poussa finalement à emprunter l'escalier au tapis de velours.

Le personnage aux dents jaunes et à la queue de cheval put ouïr les bruits de pas et la porte de la chambre à coucher du premier étage se refermer. Il s'essuya la partie du visage où la sauce tomate dégoulinait encore tout en grimaçant de douleur et se lécha les doigts avant de sortir tranquillement de la cuisine avec sa pince.


Une brise tiède vint remuer le pelage du félin noir et la bannière armoriée de l'île de Borkum qui, à proximité, était attachée au guidon du quadricycle appartenant à Sterben. L'animal patienta quelques secondes dans le faisceau de lumière avant de se remettre en mouvement vers le chef de bande qui l'observait debout et les bras croisés.

<< Qu'est-ce que tu es ? >> questionna, à haute voix du fait de la distance, l'homme au faciès tatoué et amputé du nez.

La petite bête le priva de réponse, poursuivant tranquillement sa progression.

<< Qui te télécommande ?

— Libérez cet homme. >> ordonna le chat, désignant le pauvre Friedrich solidement ligoté sur le long poteau du réverbère.

Le personnage concerné n'avait pas l'air d'en croire ses oreilles et pouvait potentiellement se questionner, tout comme le pouilleux, sur son propre état mental.

<< C'était donc bien toi qui parlais, tout à l'heure, sur la moto ... constata Sterben.

— ... Oui. >>

Quelques secondes de silence s'écoulèrent. Le chat s'immobilisa de nouveau et se plaça en position assise, à deux mètres de l'ennemi.

<< ... Après ce que tu as fait à mes hommes, plus rien ne m'étonne.

— Libérez-le. répéta posément le matou.

— ... Tu es venu juste pour cela ? Tu as taillé en pièces ma bande seulement pour sauver Friedrich ?

— Oui. >>

Le détenu amputé du nez esquissa un sourire.

<< Personne ne me dit ce que j'ai à faire ; encore moins une petite bête qui s'attaque à mes hommes, puisse-t-elle parler. J'ignore d'où tu sors mais ça ne va pas se passer aussi facilement ... >>

Ils se regardèrent un instant en chiens de faïence, sans effectuer le moindre geste.


L'intrus au pied de biche, tout en amorçant d'un pas lent l'ascension de l'escalier au tapis de velours, s'exprima d'une voix forte : << J'étais trafiquant de drogue, à Hambourg, il y a un peu plus de deux décennies. Je commençais à me faire pas mal d'argent ... mais la Suggestion est venue tout gâcher. Au fil du temps, quand elle a commencé à se répandre, les gens n'avaient plus besoin de mes narcotiques. Ils n'avaient d'ailleurs plus besoin de rien. Leur drogue, c'était la Suggestion. >>

Il fit un arrêt sur la pallier, contemplant par la fenêtre le phare emblématique de l'île.

<< ... Alors, ma bande et moi, nous nous sommes un peu énervés. Nous avons fait quelques bêtises pour pérenniser notre entreprise ; du racket, des braquages et quelques meurtres. Et ... Évidemment ... Nous nous sommes fait arrêter. C'était juste avant que la Suggestion ne soit finalement imposée à tous les citoyens. >>

Il frotta une zone de poussière sur la vitre avec son pouce afin d'obtenir une vision plus nette de la tour à la lanterne allumée.

<< À l'époque, une loi était passée pour interdire l'implantation du stimulateur dans le cerveau des prisonniers, j'ai donc été déporté sur cette île ; en même temps que Friedrich, d'ailleurs ... J'ai dû me débrouiller pour survivre. Tu n'imagines pas les litres de sang qui ont coulé ici ! Des tas de gens sont morts ! Des tas ! Sans parler de tous ceux qui ont disparu sur ce phare. >>

Il entama la seconde série de marches.

<< ... Tu vois ... À Borkum, tu es condamné. Certains déportés n'ont pas tenu trois jours alors que moi j'ai survécu vingt longues années ... Vingt ans dans cette jungle. J'insiste bien sur le mot jungle. La seule loi, ici, c'est celle du plus fort. En fait ... Je crois que cette loi est universelle. Les hommes cherchent constamment à s'écraser les uns les autres ; sauf que, contrairement aux bêtes, ils vont utiliser un peu plus de diplomatie et d'hypocrisie pour parvenir à leur fin. >>

Il s'arrêta devant la porte de la chambre à coucher et posa une main sur la poignée. Zoran, silencieusement assis à terre dans un sombre coin de mur, frémissait d'angoisse.

<< Quand cela leur semble nécessaire, les hommes ont recours à la violence, à la guerre. Le résultat est le même, peu importe le moyen. C'est en acceptant cet état de fait que j'ai survécu aussi longtemps sur cette île. Parfois hypocrite, parfois violent ; toujours opportuniste. >>

KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant