KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]

12.2 : Le rat nu

Sous l'air du premier mouvement de la Petite Musique de Nuit d'Amadeus Mozart, un rat glabre se déplaçait dans labyrinthe complexe en bois et en trois dimensions conçu sous la forme d'un château-fort. Afin de dégorger son parcours, il s'appliquait à enclencher des mécanismes en résolvant des énigmes. L'une d'elle consistait, par exemple, à déplacer une pierre ronde jusqu'à un bouton poussoir ; une autre, plus complexe, à activer trois interrupteurs dans un ordre de couleurs précis. Mégaclès Arkoudas et ses deux condisciples, tous trois en blouse blanche, observaient sa progression à l'aide des informations graphiques et chiffrées qui défilaient sur un support informatique. Ils se trouvaient dans un modeste laboratoire où, disposées aux quatre coins, de larges cages de verre enfermaient une centaine de muridés nus.

Le Docteur Knut Moen pénétra dans la pièce et se rendit directement en son centre, là où s'élevait le parcours fortifiée tridimensionnel. Le petit rongeur rose venait d'abaisser le pont levis, accédant ainsi à la sortie et à un morceau d'Emmental.

<< Alors ? La dernière séance d'hypnose sur ce rat s'est-elle avérée efficace ? A-t-il trouvé directement son chemin ? >> demanda-t-il.

Le collègue roux de Mégaclès acquiesça, pendant que le second, le garçon métis, vint recueillir le muridé dans ses mains. La progéniture d'Hélios, légèrement en retrait et les bras croisés, paraissait blasée.

<< Tout va bien, Mégaclès ? interrogea le professeur.

— ... Les résultats sont concluants sur la majorité des sujets de l'expérience.

— ... Essayez avec un autre mais, cette fois, avec une difficulté de niveau cinq. Je reviens ... >>

Il retourna à la porte d'entrée tandis que l'élève qui venait de recueillir le rongeur replaça celui-ci dans une cage de verre avant d'en sélectionner un autre pour le renouvellement de l'expérience.

Le neurobiologiste échevelé chemina dans le couloir contigu. Il croisa une dame corpulente à l'immanquable prognathie mandibulaire et aux cheveux gras, elle aussi vêtue d'une blouse blanche. Elle était occupée à pousser un chariot rempli de bocaux contenant toutes sortes d'organes humains ; cerveaux, cœurs, reins, pancréas, mains ou yeux ...

<< Bonjour, Docteur Moen. prononça-t-elle d'une voix lourde et rauque.

— Bonjour, Greta. >>

Il poursuivit son chemin jusqu'au bout du long passage et se retrouva devant une porte légèrement entrouverte sur laquelle figurait son nom et, juste au-dessus, un papier indiquant des heures de permanence. Il l'ouvrit complètement, accédant à l'intérieur d'un petit bureau dans lequel se présentaient une bibliothèque en acajou bien fournie et, sur les murs, trois diplômes universitaires ainsi que le tableau Nuit et Sommeil de la peintre Evelyn de Morgan mettant en scène Morphée et Hypnos qui distribuaient des fleurs de pavot dans le ciel d'une nuit tombante ; le moniteur d'un ordinateur, quelques vieux livres au format codex traitant du cerveau, des transparents A4, une montre-bracelet, une tasse, un panier à provisions contenant des mandarines et un étrange classeur bleu étaient posés sur la table de travail. Au moment du déclenchement automatique de l'éclairage de la pièce, il découvrit, nettement surpris, le porte-document à fleur de lotus. Il s'en rapprocha, fronçant les sourcils. Soudain, la porte coulissante claqua derrière lui ; il n'eut pas le temps de se retourner que l'énorme main d'Hélios Arkoudas le happa par la bouche.