KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]

6.1 : La Suggestion

Un panneau indiquant la route de l'ancien aérodrome de Borkum se présenta aux yeux du matou. Il donna un coup d'accélération, le regard déterminé. Il repensa à la conversation qu'il avait eue quelques minutes plus tôt avec l'évadé du pénitencier liégeois, juste avant l'arrivée de Sterben.

<< La Suggestion ... Et bien ... Pour faire simple ... Il ne s'agit pas d'une entité politique à proprement parler ... C'est ... Comment dire ... C'est un concept. lui avait expliqué le jeune homme.

— Quel concept ?

— La destruction de la réalité.

— ... Qu'est-ce que tu racontes ? La destruction de la réalité ?

— Oui, c'est la raison d'être de la Suggestion. L'idée est que, sur cette terre, la seule donnée qui empêche l'homme de s'épanouir dans le bonheur est ... la réalité. Alors ... Il faut la supprimer.

— C'est impossible !

— Ben ... Si ... Ça fonctionne avec des stimulateurs mais les forçats n'y ont pas droit, à moins d'obtenir la citoyenneté.

— Attends ... Qu'est-ce que c'est, un stimulateur ?

— Un stimulateur ... Et bien ... C'est la pièce électronique qu'ils implantent dans les cerveaux.

— C'est donc ça ... Comment est-ce que ça fonctionne ?

— Bah ... Je t'expliquerai ...

— ... Je ne comprends rien mais ... Friedrich vient de nous dire que si les cerveaux des forçats et des déportés sont considérés comme sains, c'est parce qu'ils ont été épargnés par ces fameux stimulateurs ; par ailleurs, si vos corps pris dans leur entièreté sont également jugés sains, c'est parce que vous ne mangez pas les mêmes saletés que les citoyens ... J'en déduis qu'en plus d'être de la main d'œuvre intéressante, les forçats représentent un potentiel réservoir d'organes frais pour la vente à l'étranger, à l'instar des déportés présents sur cette île !

— Tu dis n'importe quoi ... Ceux qui partaient avaient accès à la citoyenneté, c'est tout. Les propos de ce Monsieur Friedrich te sont montés à la tête, je ne suis pas sûr que nous devrions le croire sur parole !

— J'ignore ce que tu serais devenu à ta soi-disant libération ... mais ce qui est certain, c'est que les forçats qui tentaient de s'évader finissaient tous en déportation et que ça se terminait très mal pour eux, comme notre hôte vient de te l'expliquer !

— Tu ne connais rien à la Suggestion ... Tu en parles comme si c'était un problème, comme si la réalité n'était pas un fléau ... Sans la réalité, mes amis ne seraient pas morts et je ne me trouverais pas ici !

— ... Mais ... ce n'est pas possible, Zoran ... Comment peux-tu te regarder dans une glace en disant des choses pareilles ! Tu es complètement insensé !

— Tu as raison sur un point : tu ne comprends rien à cette histoire. >>

Ils se turent. La percussion d'un corps métallique sur le bitume résonna au dehors du restaurant. Le félin noir, toujours installé sur la tablette de la fenêtre, repointa ses yeux-caméras sur la voie côtière et aperçut une silhouette ramasser une clé de huit apparemment tombée au sol.

<< Chut ! >> purent entendre les deux compagnons d'aventure.

La petite bête confirma : << Ils sont là. >>

Au loin, après avoir dépassé quelques étendues boisées, le matou qui filait sur la motocyclette repéra enfin l'infrastructure du site aérien et sa tour de contrôle éclairée sous laquelle figuraient, ostensiblement illuminés, les caractères bleus formant les mots allemands suivants : Flughafen Insel Borkum ; ce qui signifiait Aéroport de l'île de Borkum.