14.4 : L'homme qui se rasait

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Après avoir croisé le grand corbeau, le félin atterrit quelques mètres plus bas et se mit à déambuler autour des bâtiments conventuels

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Après avoir croisé le grand corbeau, le félin atterrit quelques mètres plus bas et se mit à déambuler autour des bâtiments conventuels. Des filets d'huile se mirent à couler de ses yeux électroniques pendant qu'une nouvelle vague de souvenirs vint le submerger.

Il se mit à revivre par ordre antichronologique, dans un premier temps, toutes les étapes de son aventure avec Zoran, jusqu'à sa rencontre avec lui. Il se rappela ensuite de son évasion furtive du quartier militaire ardennais ; il avait emprunté, pour l'occasion, un train long de quelques dizaines de mètres qui transportait des bobines d'acier laminé dans ses chariots. Une adolescente vêtue d'un caftan vert et d'un court voile lui servit du caviar d'estragon dans une assiette dorée. Il déjoua l'attention de gardes orientaux dans un immense palais constitué de plusieurs terrasses de jardins. Cet édifice fut substitué ensuite par la colline du Wawel sur laquelle le félin noir, en plus d'y avoir épié le Roi Boleslas et le Prince Casimir dans le jardin d'agrément, y avait photographié les infrastructures militaires aux alentours ainsi que tout le dispositif de sécurité informatique lié à la colline fortifiée ; il avait également décortiqué des codes d'accès à des pièces protégées, copié en masse des documents confidentiels dans sa mémoire électronique, piraté et injecté des virus à l'ensemble du réseau informatique local, enregistré les habitudes de déplacement des membres du personnel ... Il se revit s'entraîner dans un hangar du Campus de l'Oesling où avaient été disposés de nombreux pneus et caisses de bois de toutes tailles ; il renversa et fracassa quelques-unes de celles-ci tout en effectuant des sauts accompagnés de figures acrobatiques prodigieuses ; il s'exerça également contre des soldats cagoulés dans la salle de sport du même complexe ; il était, durant ces moments, minutieusement observé par deux hommes en blouse blanche - dont l'un d'eux était Knut Moen - ainsi que par un autre en combinaison de travail bleu roi, tous les trois apparemment très satisfaits par les prestations auxquelles ils assistaient. Il se retrouva immobile, couché sur une table d'opération, et se vit ajouter un circuit intégré dans son corps machinique par l'un des collègues ou supérieurs du neurobiologiste échevelé, un personnage à la longue barbe frisée et légèrement grisonnante.

<< Tu pourras prendre le contrôle de n'importe quel dispositif électronique ! >> lui annonça le petit homme.

Il se rappela de son passage dans un récipient transparent en forme d'œuf, baignant dans un liquide rosâtre et connecté à plusieurs sondes, soit dans la vraisemblable période de confection de sa nouvelle enveloppe corporelle. Il se souvint s'être trouvé dans le même cargo qu'il empruntera plus tard avec le jeune forçat de Liège ; Sélène Arkoudas lui déchargea une balle, provoquant sa dégringolade de l'escalier dont il faisait l'ascension et, au pied des marches, se fit achever par un second tir du même révolver. Il vit une main, sans aucun doute la sienne, qui tapota sur un clavier numérique virtuel mural le code permettant d'accéder au porte-conteneurs ; il se tenait au sommet d'une rampe d'embarquement, devant la principale porte d'accès du navire de charge, au grand port maritime de Marseille ; il était accompagné par la sœur cadette des Arkoudas, Anselme Rojas et Izidor Kaluža. Un homme au teint mat lui avait répété, bien avant, cette fameuse suite de nombres permettant d'entrer dans le cargo : << Trois cent quinze ... Cinquante-neuf ... Vingt ... Quinze. >>

Cet individu avait la moustache et le bouc naissants, les sourcils denses mais bien tracés qui surmontaient des yeux très légèrement bridés, les cheveux coupés à la même longueur - un bon demi-centimètre - ainsi que des lèvres larges et relativement charnues. L'inconnu s'empara alors d'un rasoir de sûreté de dernière génération et le porta au visage, le faisant glisser de haut en bas tout en aspirant littéralement sa pilosité comme si elle était attirée par une énergie électrostatique. Il se mirait simplement devant une glace, dans une salle de bain ; cet homme bien bâti, c'était lui.

Cet ancien soldat entrechoqua son poing avec celui d'Hélios Arkoudas en guise d'amicale salutation dans la salle de sport du Campus. Plus tôt, il s'était disputé avec Ingmar Larsson, dans un long couloir aux murs gris où étaient étalés, en rangée et sur le côté, des robots industriels.

<< Arrête ! Tu choisis mal ton moment pour régler tes comptes ! s'exclama le futur félidé de guerre.

— Tu n'as aucune leçon à me donner !

— Sérieusement, tu devrais aller te faire soigner ! >>

L'officier au blouson d'aviateur se jeta sur lui et essaya de lui porter un crochet droit qui fut aisément bloqué. Le félin noir en devenir repoussa alors son assaillant mais échoua néanmoins à éviter un coup de pied frontal dans l'abdomen. Ils se volèrent dans les plumes l'un l'autre. Un groupe de soldats cagoulés aux alentours intervint diligemment et parvint au bout de quelques efforts à les séparer.

Sous le feu, dans un abri en ruine aux murs de briques rouges, plusieurs soldats de l'État Suggéré, cagoulés et armés de fusils mitrailleurs, tiraillaient au travers des meurtrières de fortune ou de fenêtres dont les vitres avaient littéralement explosé. Quelques Zaters trainaient à terre. Il faisait nuit et une épouvantable tempête avait lieu au dehors. Une déflagration retentit et inonda l'intérieur d'un nuage de poussière blanche. Le futur félidé de guerre rampa, toussota et se retrouva nez à nez avec le corps d'un fantassin mort.

<< On évacue ! Tous au camion ! >> cria-t-il aux hommes, une main devant la bouche.

Les tirs ennemis reprirent de plus belle.

Le félin noir se retrouva à l'ombre de l'huis de l'Abbatiale et se recroquevilla en boule.

KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant