3.3 : Le lever des couleurs

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<< Ah

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<< Ah ... Nous allons prendre la prochaine station. Je dois recharger la batterie de la voiture ... >> prévint, d'une voix nonchalante, l'homme assis à la place du conducteur.

Il déploya alors le volant directionnel pour reprendre le contrôle de la voiture vermeille qui filait sur l'autoroute. Il emprunta la bretelle d'une station-service et s'arrêta auprès d'une borne de recharge électrique, une parmi une rangée de dix autres. Les quatre passagers évacuèrent du véhicule. Le septuagénaire le brancha au superchargeur.

<< Bon ... Je vais en profiter pour prendre un petit déjeuner ... informa sa collègue-épouse.

— Je vais vous accompagner ... avec mon chat. proposa Zoran, dont le compagnon au pelage noir avait grimpé sur les épaules.

— Allez-y, je vous rejoins tout de suite ! >> prévint le chauffeur.


Quelques centaines de militaires dépourvus d'armes à feu ou à foudre, alignés trois par trois dans des groupes formés par une vingtaine d'effectifs, se réunirent au pas cadencé auprès du mât en aluminium dans l'immense cour intérieure du quartier de l'Oesling. L'écrasante majorité d'entre eux était cagoulée, à l'exception de trois groupes particuliers composés de jeunes gens à l'allure nettement différente ; le visage de ces garçons était nu ; ils portaient un treillis similaire à celui d'Anselme Rojas, les soleils d'argent en moins. À la tête de chacun de ces blocs se trouvait un soldat qui disposait, par contre, de ces insignes sur les épaulettes ; ces vraisemblables officiers s'occupaient de toute évidence à lister, sans mot dire, les présences à l'aide de transparents A4 soutenus par des porte-blocs en cuir feuille-morte. Le premier d'entre eux était un sexagénaire chauve et lunetté qui dégageait une mine tout aussi sévère que résolue ; le second était une femme d'une quarantaine d'année, bien en chair et les traits plutôt ibériques ; le troisième devait avoir le même âge que le premier ; mince de corpulence, il avait une barbe drue et grise ainsi qu'une casquette vissée sur la tête identique à celle que portait le Commandant Larsson. Deux soldats cagoulés étaient isolés, droits comme des joncs, de chaque côtés du long poteau de sept mètres ; l'un d'eux tenait une étoffe noire pliée en huit dans les mains.

À mi-chemin entre le mât et les colonnes humaines, le Général Arkoudas était placé auprès de la jeune dame avec laquelle le félin noir s'était récemment entretenu - comme en témoignait l'enregistrement projeté la veille sur un mur du pénitencier liégeois. Elle était vêtue d'une jupe kaki asymétrique - une partie retombant sous le genou et une autre sur la cheville - et d'un blouson en velours délavé.

<< Je t'ai vu, tout à l'heure, par la fenêtre du secrétariat ... confia-t-elle discrètement à l'homme aux soleils dorés qui avait deux têtes et demi de plus qu'elle, pendant que les responsables des différents groupes étaient visiblement toujours attelés à relever les présences.

— C'est-à-dire ? interrogea le chef militaire tout en gardant les yeux rivés sur l'attroupement.

— Je t'ai vu demander de nouveau à Mégaclès de s'occuper de notre sœur aînée.

— ... Oui ... Elle a recommencé une crise, ici-même. Je me sens dépassé.

— Je plains Francis ... L'état de son épouse ne doit pas lui rendre la vie facile. >>

Elle visait du regard le personnage qui devait être le Francis en question ; il s'agissait de l'un des trois officiers qui s'occupait de blocs de jeune gens au visage découvert, soit l'homme à la barbe grise et à la casquette militaire ébène. Il avait surtout la particularité d'avoir perdu ses deux membres inférieurs naturels ; ils avaient été substitués par deux prothèses électroniques en acier trempé, aussi fines que les pattes d'une poule - toute proportion gardée ; la jointure tibio-fémorale était capable de s'articuler à l'envers et, ainsi, de le maintenir dans ce qui s'apparentait presque à une position assise.

<< Je veux bien croire ... Enfin, bon ... Aujourd'hui, j'ai malheureusement d'autres soucis ... >> confia le Général.

Les trois chefs de groupe, dont le prénommé Francis, vinrent remettre leur porte-bloc à la jeune dame.

<< Merci. fit-elle.

— Vous pouvez regagner vos rangs. >> leur pria le père de Mégaclès.

Ils s'exécutèrent. Le chef militaire effectua alors un hochement de la tête à l'attention des deux soldats isolés auprès du mât. Celui qui portait l'étoffe se mit alors à la déplier dans une gestuelle solennelle ; l'autre, quant à lui, tapota deux ou trois fois sur le cadran de sa montre-bracelet.

Au travers des haut-parleurs distillés dans le quartier, le chant d'un enfant retentit sur un fond musical de synthétiseur. La qualité de l'émission sonore, dont l'air était distinctement inspiré de l'ancien hymne national belge - la Brabançonne - , était particulièrement médiocre, malgré que les paroles étaient toutefois auditivement claires.

Après des siècles d'esclavage,

Le peuple soustrait d'une caverne,

A reconquis par son courage,

Son monde, ses droits et sa bannière.

Et devenu lumière souveraine,

Lui-même soleil indompté,

Forme dans la demeure souterraine :

Les gaies ombres de la Liberté !

<< ... Je n'ai pas réussi à l'avouer à la Ministre de la Défense. avoua très discrètement le Général à son interlocutrice au béret incarnadin tout en gardant sa posture droite et immobile, toujours sans lui adresser un regard.

— Tu parles du félidé ?

— Oui ... Si elle apprenait ce qu'il s'est passé avant que nous ne le récupérions, ce serait une catastrophe ...

— Ingmar n'est pas parvenu à l'attraper ?

— Non ... Aux dernières nouvelles, il est toujours en train de le traquer. >>

Le soldat qui venait de déplier le drapeau noir raccorda celui-ci à la corde du poteau en aluminium, le second le monta jusqu'au sommet. L'emblème du soleil anthropomorphe, soit celui de l'hélicoptère de Larsson, flottait à présent dans la cour intérieure. L'ensemble de l'attroupement militaire le salua brièvement puis s'éloigna au pas cadencé.

KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant