Francis Stewart-Murray, étendu sur le canapé devant le lit conjugal dans lequel dormait son épouse, recouvrit d'une couverture ce qui lui restait de corps biologique. Sa double prothèse se trouvait posée contre l'un des accotoirs du meuble. Il jeta un dernier coup d'œil à la photographie accrochée au mur puis effectua quelques tapotements sur le cadran tactile de sa montre. L'éclairage de la chambre s'atténua progressivement en quelques secondes, abandonnant le lieu aux ténèbres. Il ferma ses paupières.
Sélène, en robe de nuit, se mirait dans la glace d'une salle de bain. Elle s'amusait à varier les tons de son maquillage facial via le cadran noir de jais de son élégante montre au bracelet à mailles en or rose, instrument qui émettait dans le même temps la Sonate numéro quatorze de Ludwig van Beethoven. Ses lèvres passaient du violet au vermeil, puis du marron au magenta ; ses paupières, après avoir été colorées d'un dégradé de jade et de bleu ciel, devinrent pourpres et brillantes comme sous l'effet de paillettes. Elle put constater que la partie charnue inférieure de sa voûte buccale éprouvait des difficultés à prendre une teinte aussi nette et opaque que la supérieure. Elle y appliqua alors une couche de fard en poudre transparente et répéta l'opération. Les deux couleurs correspondirent à présent sans défaut de nuance. Elle essaya une nouvelle combinaison, choisissant des lèvres vermeilles et des paupières violettes. Elle jeta un œil à ses ongles vert pistache, revint à son cadran et leur appliqua aussitôt une texture rouge aux motifs floraux blancs. Elle s'arrêta sur cet aspect et commença à sourire à son reflet, d'abord timidement puis de plus en plus assurée, jusqu'à fermer les yeux et à lui envoyer des baisers volants. Elle se mit à rire, quelque peu gênée. Elle se rinça la figure afin de passer au démaquillage.
Mégaclès, en pyjama, tapotait dans l'obscurité ce qui ressemblait à des lignes de commande sur un clavier virtuel affiché sur un transparent A4 qu'il avait plaqué sur un support en carton. Il était adossé contre la tête de son lit superposé et assis sur son traversin, sur la partie supérieure du meuble de repos. L'étroitesse du dortoir rendait inévitables les pleins décibels de ronflements de ses deux collègues avec lesquels il avait travaillé en matinée peu avant que son père ne lui demande de s'occuper d'Aurore. Le Docteur Moen, au même niveau que lui, sur le second lit, se retourna dans ses draps ; le jeune garçon lunetté cessa son activité quelques secondes, jetant un œil sur le neurobiologiste échevelé tout en écoutant d'une oreille attentive sa respiration, s'assurant sans doute que le personnage était bel et bien revenu dans un état de sommeil au moins léger. Il se remit à la tâche sans émettre le moindre bruit.
Hélios se réveilla subitement, se redressant d'un bond, tout trempé de sueur, la bouche grande ouverte mais sans émettre le moindre cri ; sa face exprimait une perceptible détresse. Il se maintint immobile un moment, se donnant probablement le temps de reprendre ses esprits. Il leva un bras en l'air, ce qui eut pour effet de déclencher le retour de l'éclairage de sa chambre. Il s'assit alors sur le bord de son matelas en latex et se servit un verre de vin liquoreux. Après l'avoir de nouveau sablé, il le reposa. Il se maintint dans cette position, silencieux et l'air vraisemblablement inquiet, les yeux posés sur la photographie qui le représentait joyeux avec le chat sur une épaule.
Un premier duo, composé des deux hommes qui s'étaient précédemment mesurés à Klaus Friedrich, pénétra en éclaireur dans le hangar, tous deux armés de leur chaîne en acier brossé. Ils actionnèrent le désuet mais efficace système de luminosité artificielle. Ils furent ensuite rejoints des deux autres pouilleux pourvus chacun d'un bâton de bois ; le premier d'entre eux était le personnage aux longs cheveux verts et le second était l'encagoulé. Trois aéronefs ultralégers motorisés et multiaxes, quelques vieilles berlines et un autobus articulé se trouvaient éparpillés à l'intérieur du bâtiment. Ils découvrirent le quadricycle qui les intéressait à l'arrêt, au beau milieu du gigantesque abri. L'animal se trouvait au pied de la machine, en train de se laver en position assise.
<< Je vous avais dit que c'était un chat ! fit l'homme aux cheveux verts.
— Ce n'est pas possible ! Il doit y avoir quelqu'un qui se cache dans la pièce ! réagit son binôme.
— Minet, minet, minet ! >> chantonna le détenu à la longue et singulière moustache.
Le matou, toujours occupé à faire sa toilette, paraissait les ignorer.
Les deux pouilleux armés de chaînes, visiblement peu rassurés, parvinrent jusqu'à sa hauteur. Celui qui possédait une éponge collée sur le crâne le contourna prudemment. Sterben, de son coté, suivait toute la scène au travers des objectifs des caméras disséminées à l'intérieur du hangar.
Le moustachu, à un pas du félin noir, barbouilla quelques mots : << Allez ... Hum ... Viens ici, près de moi, gentil minet ... Nous ne te ferons aucun mal ... >>
Il s'inclina, tentant de le happer mais fut repoussé par un féroce coup de griffe à la main. Le pouilleux recula d'un bond.
<< Aïe ! Sale bête ! >>
Son binôme essaya à son tour d'attraper la petite bête.
<< Hé, qu'est-ce que tu as fait à mon pote ? >>
Le chat lui planta les ongles crochus de ses deux pattes antérieures dans l'avant-bras et, d'un geste vigoureux, l'expédia à terre. Il se replaça ensuite en position assise. L'homme hurlait et se tortillait de douleur. Le moustachu tenta d'asséner un coup de pied à l'animal : << Tu vas voir ! >>
Le félin noir sauta, saisit la jambe qui venait de s'élever et éjecta l'individu sur son partenaire gisant sur le sol. Ils crièrent à gorge déployée. Il bondit par-dessus eux et se mit à marcher en direction des deux autres.
Sterben, dans sa tour de contrôle, alerta la bande via les haut-parleurs : << Allez-y ! J'ignore d'où sort cet animal mais il est tout sauf normal ! Faites-lui sa fête ! >>
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KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]
Science FictionGAGNANT WATTYS 2021 ⭐ Un mystérieux chat noir pourchassé par l'armée libère un jeune prisonnier ayant participé, quelques années plus tôt, à la dernière guerre des Balkans. Au fur et à mesure d'une traque qui se poursuivra au travers de l'Europe et...