KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]

12.9 : Les trois cahiers violets

L'éclairage du bureau d'Hélios se déclencha automatiquement à son entrée. Un friselis de pluie, derrière les stores vénitiens rabattus, était perceptible au travers du film plastique calfeutrant la vitre endommagée. Le frère aîné de Sélène s'approcha calmement de la fenêtre en question et orienta les lamelles horizontales de façon à inviter la faible luminosité du dehors à l'intérieur. Il toucha du bout des doigts un transparent A4 ainsi que les surfaces tactiles de ses deux moniteurs posés sur sa table de travail, provoquant l'allumage de ces trois supports vraisemblablement en veille. Il sortit de la niche du meuble son verre et sa bouteille de Sauternes entamée. L'objet circulaire qu'il portait au poignet émit un signal d'appel alors qu'il était occupé à verser la liqueur dans son ballon. Il déposa les récipients sur la surface plane de la table et, avant même de décrocher, fit glisser l'image affichée sur le cadran vers l'un de ses deux écrans. Le visage raide d'un quinquagénaire chauve et imberbe fit son apparition ; le plan laissait entrevoir sous son menton le nœud d'une vieille cravate et, sur ses épaules, un blouson en cuir.

<< Allô ? Général ? Êtes-vous là ? >>

Hélios s'humecta le gosier hors-champ avant de s'asseoir devant le moniteur, cherchant probablement à éviter d'être vu avec le ballon.

<< Oui, Panchev.

— Heu ... Nous sommes occupés à fouiller les effets personnels du Commandant Larsson.

— Et alors ?

— Nous avons retrouvé huit kilos de bonbons.

— ... J'imagine que vous parlez de drogue ...

— Oui, une drogue de synthèse. confirma le quinquagénaire en soulevant un sac en plastique contenant des centaines de petites pilules colorées identiques à celles que consommait régulièrement le feu officier concerné.

— Il nous avait garanti qu'il était sevré ... J'ai appris ce matin qu'il nous avait menti ... >>

Le chef d'État-Major des forces armées tapota quelques instructions sur son clavier virtuel et lança, sur le second écran, un programme de gestion du réseau de caméras réparties sur le Campus ; huit vues sur la cour intérieure se présentèrent à ses yeux.

<< Ce n'est pas tout. poursuivit son interlocuteur. Je ne sais pas si je dois vous en parler mais ...

— Oui ?

— Il cachait sous son matelas ces trois cahiers violets, j'ignore pour quelle raison ... annonça-t-il en exposant trois livrets à la caméra. Ils contiennent de nombreuses coordonnées géographiques qui couvrent toute l'Europe, en particulier les zones limitrophes au Luxembourg.

— ... Et alors ? À quoi correspondent ces coordonnées ?

— Nous n'avons pas encore vérifié ... Ces repères géographiques sont parfois accompagnés de noms et d'autres curieux codes dont, bien souvent, des numéros en chiffres romains ... C'est assez énigmatique ... >>

Tandis que le dénommé Panchev s'expliquait, le Général avait brusquement pivoté la tête vers l'autre moniteur, repérant un élément interpellant ; il assistait, au travers de la retransmission en direct des caméras situées dans la cour intérieure du quartier, au déplacement sous la pluie de Mégaclès, d'Aurore et de Francis Stewart-Murray ; ils se dirigeaient visiblement vers le bâtiment jaune. Son regard se ternit. Son fils tenait sa sœur aînée par l'épaule et marchait au rythme de cette dernière, se couvrant à ses côtés sous un parapluie ; l'officier aux jambes de fer les suivait.

<< Allô, Général ? Vous m'entendez ?

— Mmh ...

— Allô ?

— ... Des coordonnées ...

— Oui, vous m'avez entendu ? Je disais que ces coordonnées géographiques étaient accompagnées de signes curieux tels que des étoiles et de numéros ... Cela vous dit quelque chose ?

— Non ...

— Tout va bien, Général ?

— Oui ... C'est bon ... mais ... Heu ... Auriez-vous trouvé, parmi tous les effets personnels du Commandant, le moindre élément d'explication quant au différend qu'il a eu avec le félidé ?

— Négatif.

— Alors, laissez tomber ... Nous avons une taupe à retrouver. Pourriez-vous passer à mon bureau dès que possible ? >> invita Hélios, les pupilles pointées sur l'adolescent qu'il voyait cheminer à l'écran.