Le quadricycle du pouilleux au goulot de bouteille et la motocyclette de Friedrich se foncèrent droit l'un sur l'autre comme dans une joute équestre. Le premier évita la rencontre d'un coup de guidon in extremis. Tout en effectuant un dérapage incontrôlé en tournoyant, il parvint, le temps de reprendre la maîtrise de son véhicule, à distinguer son adversaire l'espace d'une demi-seconde en dépit de l'obscurité et du nuage de poussière qu'il venait de produire : << C'est quoi ça ? Un chat ? >>
Le second cycle à quatre roues se rapprocha à son tour de la BMW à deux roues. Le félin noir put le repérer dans son rétroviseur et, au moment où il fut rattrapé, sauta par-dessus la pale d'hélice rouillée qui fusait sur lui avant de réattérrir sur son siège et de reprendre sa course.
<< Un animal ? >> fit l'assaillant en ralentissant.
Les deux quadricycles se retrouvèrent.
<< Tu as vu ça ? Le conducteur ...
— Un chat, oui ... C'est peut-être une moto téléguidée. >>
L'homme pourvu d'une pale prit de l'accélération et se sépara de son compère.
Le matou roula un moment hors du champ d'aérodynes et profita de sa position pour localiser et identifier, au loin, grâce au zoom optique et au mode de vision nocturne de ses yeux-caméras, l'ex-Lieutenant ligoté sur le poteau d'un réverbère situé à proximité du bâtiment principal du complexe. Il regagna ensuite le cimetière d'oiseaux de métal.
Le pouilleux au goulot se retrouva face à lui, à plusieurs mètres de distance. Ils se chargèrent de nouveau l'un sur l'autre et esquivèrent encore de justesse la collision ; l'homme, cependant, découvrit son avant-bras gauche - soit le membre avec lequel il venait de tenter une vaine frappe - rayé de trois longs traits de sang ; il relâcha instantanément son bout de verre dans un cri guttural.
Son binôme maigre et barbu resurgit brusquement derrière l'animal. Ce dernier effectua un dérapage vif et contrôlé dans un crissement des pneus puis se jeta sur le visage du personnage qui manqua de l'atteindre avec sa pale. La motocyclette abandonnée sombra à terre. Le pouilleux, essayant de décrocher la bête de ses oreilles, poursuivait sa route à l'aveugle sans se rendre compte qu'il filait droit sur la machine de son compère. Ils se percutèrent violemment. Sous le choc, l'homme, dont le chat s'était naturellement dégagé de la tête au dernier moment, fut éjecté de son quadricycle et, une fois à terre, se vit violemment tamponner le dos par le porte-bagage du véhicule de son binôme aux incisives taillées en pointe ; ce dernier, lui, fut projeté sur plusieurs mètres mais se releva au bout de quelques secondes. Il était le dernier pouilleux encore en place dans l'arène.
Il vit le cycle à quatre roues de son compère neutralisé qui venait à lui et esquissa son effroyable sourire. Son expression faciale changea du tout au tout quand il découvrit qu'il était piloté par la petite bête qui lui fonçait droit dessus. Il se mit à courir comme un lièvre mais finit par se faire littéralement écraser. Au sol, il se retrouva à gémir avec une jambe probablement fracturée. Le chat descendit du siège et l'assomma d'un féroce coup de patte.
Au bout d'un long moment de silence, les spectateurs découvrirent, béants, le même quadricycle sortir du cimetière d'aérodynes et ralentir graduellement à mesure qu'il se rapprochait d'eux. À dix mètres de distance, il s'immobilisa net.
<< Ça alors ... prononça l'encagoulé de la bande. Il n'y a pas de conducteur ?
— Qu'est-ce que c'est que ça ? >> se demanda à voix haute le lunetté à l'éponge collée sur le crâne rasé à blanc.
Sterben, au travers de son instrument monoculaire, effectua un zoom sur le véhicule.
<< Un chat ... ? >> murmura-t-il, interrogatif.
Ses hommes se maintenaient immobiles et pantois. Le félin noir les scruta un instant avant de lever ses yeux-caméras en direction de la tour de contrôle. Le chef de bande au visage tatoué et amputé du nez, pris en flagrant délit d'observation, sursauta.
<< ... C'est quoi ça ? >> prononça-t-il, manifestement déconcerté.
La petite bête redémarra le cycle et alla se réfugier dans un hangar au bardage de tôles verticales, à soixante mètres de là.
<< J'ai cru voir un chat sur ce quad ... avoua le pouilleux aux longs cheveux verts.
— Tu divagues trop ... répliqua le lunetté.
— Il fait trop noir, impossible de voir le conducteur ... Je me demande bien de qui il s'agit ... >> commenta l'encagoulé.
Friedrich, lui, devait inévitablement se poser autant de questions.
Sterben saisit son microphone et s'exprima de nouveau au travers des haut-parleurs vétustes éparpillés sur le site.
<< Allez-y et ramenez-moi la curieuse chose accrochée au guidon du quad ... >>
Les quatre hommes s'armèrent de bâtons et de chaînes avant d'accourir à toutes jambes jusqu'au bâtiment dans lequel venait de s'éclipser le félin noir.
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KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]
Ciencia FicciónGAGNANT WATTYS 2021 ⭐ Un mystérieux chat noir pourchassé par l'armée libère un jeune prisonnier ayant participé, quelques années plus tôt, à la dernière guerre des Balkans. Au fur et à mesure d'une traque qui se poursuivra au travers de l'Europe et...