KATZEN - Tome 1 : Mémoire morte [Wattys2021]

13.3 : La salle du Trône

Un héraut d'armes revêtu d'un tabar rouge et blanc annonça l'entrée du Colonel Jurek Górski, d'un jeune évadé de l'État Suggéré prénommé Zoran et d'un chat noir.

Quatre lustres de style versaillais et pourvus de centaines de diodes électroluminescentes étaient suspendus au plafond qui, constitué de caissons, était orné en son centre par des têtes sculptées en bois censées représenter des dignitaires cracoviens du seizième siècle ; les quatre pans de mur étaient couverts de remarquables tapisseries illustrant des scènes de la vie d'Adam et Ève ; seize vieilles armures médiévales sur lesquelles avaient été apposées les armoiries de chaque voïvodie traditionnelle de Pologne figuraient également dans la pièce. Au fond, sur une estrade placée entre deux candélabres, le souverain polonais était assis sur un petit trône doré. Le jeune homme qui avait assisté à ses côtés au précédent affrontement se tenait debout devant l'une des deux hautes fenêtres à croisillons, observant le dehors.

L'une des deux portes en faux bois de noyer noir présentes dans la salle ouvrit ses battants, permettant l'introduction des trois invités qui se placèrent devant l'estrade, s'arrêtant à un mètre de distance de son marchepied.

<< Laissez-nous seuls. >> exigea Boleslas à l'héraut encore présent.

Le personnage en tabar rouge et blanc obtempéra. Le garçon aux longs cheveux dorés garda un œil distant mais méfiant sur le groupe, en particulier sur l'ex-forçat, à défaut de s'en rapprocher. Le Roi, lui, gardait le sien sur le chat qui venait de se placer en position assise. Il décida finalement de s'adresser directement à l'officier : << Heureux de vous revoir, Colonel Górski. Comme vous pouvez peut-être le deviner, les relations entre moi et l'Hetman Marek continuent à s'effriter ...

— Je vois ...

— ... Moi et ma petite famille sommes de plus en plus isolés sur le plan politique ... Les trahisons s'accumulent ... Le parlement veut ma tête. Je ne fais plus confiance en personne, en dehors de quelques exceptions telles que vous, mon ancien frère d'armes. Voilà pourquoi je prends l'initiative, pour ne pas dire le risque, de vous recevoir seul avec vos deux compagnons.

— Je vous fais confiance aussi, Majesté. >>

Le monarque observa encore un instant le félin noir puis pivota la tête vers l'étranger au pantalon de visibilité.

<< ... Comment t'appelles-tu ?

— Je m'appelle Zoran, Zoran Ivanović. >>

Górski corrigea discrètement l'intéressé en lui priant d'ajouter les mots Votre Majesté.

<< On m'a raconté que tu nous viens tout droit de la ville de Liège ... avec ce chat pour compagnon ...

— Heu ... Oui ... Votre Majesté.

— D'où sort ce robot qui a mis à mal Pyroski et ses dragons ?

— Il prétend ne pas être un robot, Votre Majesté ... Mais il est amnésique.

— Un chat amnésique ? Comment le sais-tu ? Il parle ? Soyons sérieux ... Les chats qui parlent, ça n'existe pas ! >> s'amusa le jeune homme aux cheveux dorés, l'air dédaigneux.

Le garçon au pantalon de visibilité se donna la peine de réfléchir quelques secondes avant de s'expliquer.

<< ... Heu ... Il me l'a fait comprendre. Il est poursuivi par l'armée, de l'autre côté du mur de Berlin ... Il ne sait pas pourquoi mais ils ne lui veulent pas du bien ... Moi, j'étais un captif de guerre, un forçat travaillant à Liège ... Je l'ai suivi.

— Justement ... Pourquoi as-tu pris le risque de suivre cet animal ? questionna Boleslas.

— ... J'avais peur d'avoir des ennuis ... Deux de mes amis ont été tués par l'armée.

— ... Ah ... Mes condoléances ... Mais cette histoire est vraiment très étrange ... Nous ne savons toujours pas comment tu as tu rencontré ce chat ni pourquoi tu as pris l'initiative de venir jusqu'ici avec lui ...

— ... Il a essayé de me sauver la vie ... Je l'ai caché un moment dans mon pénitencier ... Nous nous sommes enfuis ... Je sais que je dois l'aider à retrouver une personne en Pologne mais j'ignore totalement de qui il s'agit ...

— ... Un certain Corvus, c'est bien ça ?

— C'est bien ça. >>

L'officier les interrompit : << Il y a un problème ... Il s'agirait du Commandant Olivier Demester. Il combattait pour l'État Suggéré.

— Je sais précisément de qui il s'agit, Colonel.

— Ça pourrait être une autre personne. Demester a été déclaré mort.

— Cela voudrait dire qu'il est vivant et qu'il se cache dans notre noble contrée ... >> déduisit le jeune homme aux cheveux dorés.

Le garçon polonais qui venait d'intervenir s'approcha du trio et dégaina le magnifique sabre de cavalerie polono-lithuanien contenu dans son fourreau ; il le pointa en direction de la petite bête qui se maintint immobile et impavide.

<< Cet animal serait donc un robot œuvrant pour le compte des forces rebelles ... >> ajouta-t-il. Et nous avons commis l'erreur de l'inviter en ces murs.