Réflexe volontaire.

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Assise au premier rang dans les gradins de l'aréna, Pranee regarde son petit-ami sur la glace. Contrairement aux gens qui suivent la rondelle du regard, elle n'a d'yeux que pour le numéro 20. Joueur de centre, il est et va partout sur la patinoire. Michael est rapide, plus que les autres. En un rien de temps, il fait des miracles. Tantôt il dégage le disque jusqu'au gardien situé à l'autre bout, tantôt il le vole à l'équipe adverse et le redonne à l'un de ses équipiers.

« Vas-y, baby! Le laisse pas te la prendre, garde la rondelle! Passe à Calum, passe à Calum! »

Installée sur le bout du siège, pour ne pas dire dans le vide, Pranee suit Michael du regard et de la voix. À travers les objets bruyants qu'ont emmenés certains partisans, à travers les commentateurs qui hurlent dans les haut-parleurs et à travers le bruit des lames qui s'arrêtent, tournent et accélèrent sur l'eau gelée, les encouragements de la jeune femme se font entendre de tous, et même des joueurs.

« C'est pour toi qu'elle crie comme ça?, demande Olivier en patinant autour du numéro 20 comme un vautour.

Forcément, c'est ma copine.

Elle s'appelle comment?

Pranee.

Pranee... ça sonne un peu comme pénis, donc elle doit aimer ça. ouais, j'suis certain qu'elle aimerait bien se faire prendre par plusieurs mecs en même temps, on devrait l'inviter dans... »

Olivier n'a pas le temps d'achever sa phrase, Michael le coupe. Il jette son bâton sur la glace et retire ses gants avant de pousser son adversaire par terre, lui ordonnant de se taire. Celui-ci, surpris, tombe sur le sol – bien qu'il cherchait tout de même la bagarre, il ne s'attendait pas à ce que Michael soit si fort. Michael est enragé. En colère et énervé, l'adrénaline à fond dans les veines, il ne s'arrête pas. Pas tout de suite.

L'insulter lui, c'est une chose. Le traiter de mauvais joueur ou de couilles molles, il n'a aucun mal à le prendre. Parler de SA petite-amie de manière si vulgaire, ça, ça ne passe pas. Question d'être bien certain qu'il retiendra la leçon, Michael embarque sur lui et se met à le frapper. Protégé par tout l'équipement de hockey, Olivier ne doit pas ressentir les coups aussi violemment que la force avec laquelle Michael les donne.

Finalement, après peut-être trop longtemps, les arbitres se rendent compte de la bagarre qui a lieu juste derrière eux. Les joueurs sont séparés. Olivier est puni l'entièreté du match, Michael est suspendu. En hurlant, le coach envoie le numéro 20 aux vestiaires. Celui-ci n'essaie même pas de se justifier, il quitte la patinoire, toujours énervé par ce qu'il vient de s'y passer.

Maintenant debout, les mains posées sur la vitre protectrice, Pranee a regardé la scène qui s'est déroulée devant elle sans en comprendre le sens. Elle a vu son joueur de hockey se jeter littéralement sur un membre de l'équipe adverse pour le frapper jusqu'à ce qu'il se fasse éloigner de force. Qu'est-ce qu'il lui a pris? Pourquoi a-t-il fait ça?

Lorsqu'elle le voit se diriger vers les vestiaires, Pranee décide d'aller le confronter tout de suite. Elle se faufile à travers les gens et à travers les bancs afin de sortir de l'estrade. Elle suit ce chemin qu'elle connait par cœur, celui qui mène aux vestiaires. La jeune femme pousse la porte, qui s'ouvre sur Michael, assis sur le banc. Il est torse nu, tout son équipement qui couvrait le haut de son corps a été enlevé. Il ne porte que ses patins, ses jambières et sa culotte. Il semble en colère.

« Qu'est-ce qui t'a pris de te battre, Mikey?, qu'elle demande, adossée au cadre de porte.

J'devais le faire.

Depuis quand il faut que tu cognes sur les autres? Fin sur l'autre, qu'elle se rectifie, puisqu'il ne s'était bagarré qu'avec un gars.

Depuis qu'il parlait de toi. »

Pranee demeure silencieuse quelques minutes, le temps pour elle de méditer les propos lancés par son amoureux. La jeune Indienne s'avance et va s'assoir à sa gauche. Sa main posée sur la sienne, elle caresse la joue de Michael de l'autre.

« Qu'est-ce qui s'est passé sur la glace?

Tu criais, tu m'encourageais. Ça m'a fait sourire de te voir aussi intense pour un sport que je sais que t'aimes pas tant que ça.

Et?

L'autre connard là, Bouchard, y'a dit que ton nom rimait avec pénis.

Au nombre de fois que tu m'le dis...

Oui mais moi, c'est pas pareil! Lui, y disait ça parce qu'y veut... hum..., commence Michael avant de s'arrêter, hésitant.

Me baiser?

Ouais. Y'aurait pu me traiter de petite queue ou de c'qu'y veut, j'm'en fous! Sauf que toi, non. Toi, c'est pas touche.

Attends, attends un peu... T'es en train de me dire que tu t'es fait bannir d'un match, peut-être même plus, parce qu'un gars sans cervelle a lancé des vacheries?

... »

Aux yeux de Michael, c'est tout simplement normal que de défendre une copine, surtout la sienne. Surtout Pranee. Son ange indien qu'il doit protéger s'il ne veut pas la voir se faire couper les ailes. Cela dit, dans le regard de Pranee, c'est un geste adorable, une preuve d'amour irréfutable. Jamais personne, hormis son frère – mais c'est normal, c'est son frère alors ça ne compte pas –, n'avait pris sa défense ainsi. Elle en est presque émue.

« Y'a que moi qui ai le droit de te faire des blagues cochonnes pis des jeux de mots pervers sur ton nom, si ça te dérange pas, qu'il s'empresse d'ajouter, voulant être certain que Pranee est d'accord avec ça.

Tant que j'ai le droit de t'en faire aussi.

Qu'est-ce que tu veux faire comme farce avec mon nom?

Popsicle! Et hum... Change de nom, qu'elle déclare soudainement, à court d'idées.

J'suis un popsicle, et c'est toi qui me fais fondre, qu'il chuchote à son oreille. »

*

Les joueurs entrent tous dans le vestiaire en file indienne, visiblement heureux. Ils ont gagné. Ils ont battu ces salauds 3 -0. Le coach est heureux malgré la déviance du numéro 20.

« Mais recommence pas! J'veux pu te voir frapper qui que ce soit sans que je te l'ai demandé.

J'peux rien vous promettre, coach. Mes poings pourraient partir tout seul si quelqu'un venait encore à insulter ma copine. »


Mille et une vies. [Imagines]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant