Sans père, sans repère.

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(https://www.youtube.com/watch?v=EP0guHNR7dQ)


Je ne sais pas où je m'en vais avec ce journal. Apparemment, c'est typique des homosexuels de tenir un journal intime, c'est du n'importe quoi cette idée. Certains garçons ont seulement besoin de s'extérioriser autrement qu'en frappant, qu'en cognant sur tout ce qui croise leur route. Moi, je fais partie de ceux-là. Il y a des moments où je rage, où j'enrage, où j'ai besoin de m'exprimer sans que ce soit publique, comme maintenant. Je le fais donc entre ces pages.

Il a téléphoné.

Après des jours, des mois, des semaines, des années d'absence, il se manifeste. Cet homme que j'appelle mon père, mais qui n'est qu'une image sans visage. Cette personne que je ne connais pas. Cet étranger dont maman a cessé de me parler parce que je ne voulais plus rien entendre dès l'âge de 5-6 ans. Cet inconnu qui m'a laissé tomber vers l'âge de 2-3 ans, alors que je venais à peine d'apprendre à dire « papa ». Vous savez, cet âge où, vers 4 ans, on veut faire comme papa, être comme papa, manger comme papa, agir comme papa, accompagner papa partout où il va? À ce moment, le mien n'était pas là. Il s'était déjà barré.

Toute ma vie, il n'a jamais été présent. Ma mère se fendait presque le corps en quatre pour subvenir à mes besoins parce que lui ne faisait rien. Pas même une pension alimentaire pour un enfant qu'il a implanté dans le ventre de ma mère. Tout un lâche.

Je voyais mes copains, le peu que j'avais, aller à des événements sportifs avec leurs pères alors que moi, je ne connaissais même pas le mien. Je les entendais raconter toutes les activités qu'ils faisaient ensemble pendant que mon père à moi était ailleurs, sans moi, je ne sais où sur la planète. Plus tard, il y a eu Warwick, mon beau-père. Ce n'est pas mon père, pas dans mes veines, mais il reste ce qui s'y apparente le mieux à mes yeux.

Warwick était là. Il ne m'a pas emmené voir des parties de soccer, non. Avec lui, j'allais aux répétitions de son groupe. Il était membre d'un petit groupe amateur qui faisait parfois de petits concerts dan s des bars et, souvent, j'avais l'autorisation d'aller avec lui même si je n'avais pas l'âge d'entrer dans la salle. Il est celui qui m'a appris à jouer de la batterie.

C'est décousu, je sais, c'est ainsi que les idées me viennent. J'ai parfois l'impression de ne pas avoir eu d'enfance, qu'elle a été bâclée. Je devais toujours veiller sur mon frère et ma sœur, les sortir au parc, leur montrer le bon exemple... J'étais sous pression. Le moindre de mes gestes, le plus petit mot pouvait leur montrer un mauvais chemin, un modèle à suivre qu'ils ne devraient pas imiter – et qu'ils copiaient quand même. Je comprends, c'est moi le plus vieux, c'est donc à moi de leur indiquer la bonne voie. Je comprends aussi que maman ne l'a pas eue facile, qu'elle en a bavé. Je lui en ai fait baver.

« Pourquoi il est parti? Pourquoi il m'aime pas? Est-ce que c'est à cause de toi? C'est ta faute, c'est ça? C'est parce que je te ressemble qu'il m'aime pas la face? Qu'est-ce que je lui ai fait pour qu'il me déteste?!, que j'ai déjà crié à ma mère au début de ma puberté. »

Je ne suis pas fier de tout de ce que je lui ai dit. J'étais en colère, certes, mais je n'aurais pas dû me défouler sur elle, sur celle qui est restée et qui a tout fait pour moi, pour me rendre heureux et pour m'offrir une vie convenable. À plusieurs reprises également, j'ai hurlé « t'es pas mon père, c'est ta faute s'il revient pas, t'as pris sa place! » à Warwick. Je le regrette aussi. Je sais bien que c'est faux. Mon père m'a oublié, ce n'est pas parce qu'un autre homme est avec ma mère qu'il va revenir.

J'ai piqué plusieurs crises à Lauren et Harry. Au fond, je les aime, mais il y a des moments où je voulais vivre ma vie. Je voulais être libre de faire et dire ce qui me chantait sans toujours avoir à me soucier des plus jeunes. Ce n'est pas leur faute s'ils ont un père alors que le mien s'est évaporé.

Voilà que ce matin, il a appelé. L'inconnu. L'étranger. Le géniteur qui s'est enfui. J'ai 20 ans, j'approche des 21. C'est maintenant qu'il se manifeste. Pourquoi? Pourquoi maintenant, pourquoi après tout ce temps? Est-ce parce que j'ai fait la première partie des One Direction avec mon groupe? 2 fois? Pendant 2 tournées mondiales? Parce que je suis connu et que j'ai du succès, je deviens digne d'intérêt? Hé bien non, je ne suis pas d'accord.

J'ai attendu toute ma vie. Depuis ma plus tendre enfance, j'ai espéré le voir franchir la porte de la maison, annonçant son retour pour toujours. J'ai rêvé à des lettres que je n'ai jamais reçues, des cadeaux qui n'ont jamais été envoyés ni même achetés. À l'adolescence, j'ai souhaité un père qui viendrait me sortir de mon quotidien. 15 ans. Je l'ai attendu pendant plus de 15 ans. Le revoilà, maintenant. Alors que je l'avais oublié.

J'ai accepté son départ. J'ai accepté le fait qu'il ne m'aimait pas, que je ne l'intéressais pas et qu'il ne voulait rien savoir de moi. J'ai fait le deuil de ce père biologique qui ne ferait jamais partie de ma vie. C'était long, c'était difficile, mais j'y suis parvenu. Il ne viendra pas tout gâcher.

Après 15 ans, il est trop tard pour revenir. Je suis heureux. Je n'ai plus besoin de lui. Je n'ai pas besoin d'un père pour m'apprendre à faire pipi debout, à parler aux filles ou même pour m'apprendre les secrets de mon corps durant la puberté. Tout ça, c'est fini. Il a tout raté. Mais je suis en paix avec mon passé. Warwick l'a effectivement remplacé, et c'est probablement mieux comme ça. Ce géniteur qui ressort de nulle part après toutes ces années, il ne viendra pas s'inviter dans ma vie, il ne fera pas partie de mon avenir. Si le petit Ashton n'était pas assez bien pour lui, Ashton Irwin des 5 Seconds of Summer est trop bien pour ce vaurien.


Mille et une vies. [Imagines]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant