Parfois, lorsqu’on regarde les patients qui nous sont présentés, on ne comprend pas pourquoi ils sont là ni ce qu’ils ont bien pu faire pour s’y retrouver. Il ont une chambre qui leur sont allouée, un dossier psychiatrique, des rencontres avec la psy, une équipe d’intervenants attitrés et, surtout, un motif – motif parfois invisible. Personne ne se trouve là par hasard. Chacun d’eux a obligatoirement une raison pour expliquer leur présence, bien que ce ne soit pas toujours évident à découvrir.
Il y a bien des cas où la folie est… visible. Elle ressort presque par tous les pores de la peau du client aliéné. Ses yeux sont perdus dans le vide la majorité de la journée, il marmonne ce que lui seul comprend, déambule comme un zombi – s’il a la permission de se déplacer librement... Il a tout simplement l’air d’une personne dont l’internement n’est plus une option, mais une nécessité. Ceci dit, il y a des cas où… la démence n’est qu’intérieure. Elle est là, c’est clair, sauf qu’on ne la voit pas. Notre nouveau patient, Harry, fait partie de ceux-là.
La première fois qu’il est entré, escorté par trois agents de la sécurité, je me suis demandé s’ils ne s’étaient pas trompés. À première vue, il avait l’air d’un jeune homme normal et banal. Il ressemblait à n’importe quel londonien début vingtaine, mais en beaucoup plus attirant. Il avait de longs cheveux bruns, bouclés et bien entretenus. Sa tête était penchée, le regard posé vers le sol. Lorsqu’il la releva, je fus éblouie par sa beauté, par ses traits bien tracés.
Ses yeux étaient verts comme… comme je n’en avais jamais vu auparavant. Bien sûr, des yeux verts, j’en ai vus! Mais aucune de ces teintes ne se rapprochait à la sienne.Il y avait quelque chose de différent dans sa couleur, quelque chose d’unique. Je me sentais hypnotisée par son regard envoûtant et captivant.
Le jeune homme avait aussi de belles lèvres sensuelles avec lesquelles il affichait un sourire en coin et qui laissait entrevoir de jolies dents bien droites. Pourquoi souriait-il alors qu’il se trouvait ici? Finalement, il n’était peut-être pas aussi sain d’esprit que je le pensais…
Et, en effet, il n’avait rien de sain ni de saint. Ce patient, au même titre que les autres, était ici parce qu’il l’avait mérité. Il était ici, parce que sa présence en société aurait été risquée.Il était ici, parce que ça ne tournait pas rond dans son esprit. Car sa belle mâchoire carrée et bien dessinée cachait bien des secrets que j’ai déterrés.
Lorsqu’il est arrivé à ma hauteur, Harry s’est arrêté.
« Mais qu’est-ce que tu fais au juste hein? Allez, avance, on est pas encore arrivé à ta chambre!, ordonna le gardien qui fermait la marche, lui donnant une poussée sur l’épaule. »
Mais Harry n’a pas bronché. Il me fixait intensément, c’en était troublant, voir même presque effrayant. Il ne cillait pas, son regard plongé dans mes yeux et dans mon âme. Un frisson parcouru tous les membres de mon corps, me poussant à me détourner pour sortir de la transe dans laquelle je semblais me trouver.
« Qui c’est?, questionnais-je, l’air de rien.
– Harold, notre…
– Harry, intervint le principal intéressé, votre nouveau pensionnaire. »
Sa voix… Dieu du ciel, sa voix! Sa voix était comme un mélange de douceur et de rudesse, de brutalité et de tendresse, férocité et de sensualité. Elle était rauque tout en étant apaisante. Elle donnait envie de partir tout en voulant rester. Il y avait quelque chose en elle qui donnait confiance, qui donnait envie de l’écouter parler. Bonne chose, puisque c’est en quoi consiste mon travail au Bethlem Royal Hospital de Londres. Je suis psychologue et j’en ai vu de toutes les couleurs. J’ai tout vu, tout entendu. Ou… du moins… je le croyais.
« Pourquoi Harry-Harold est-il ici?, demandais-je en jetant un coup d’œil à son dossier que l’on venait de m’apporter.
– Pourquoi ne me laisseriez-vous pas vous en parler moi-même?
– Déjà envie de parler à la psy?
– Oui, mais vous devriez faire vite avant que je ne change d’avis.
– Bien. Emmenez le patient à mon bureau, je vous y rejoins bientôt, ordonnais-je, et les gardes obéirent. »
Je pris une grande respiration, confuse. Ce qui venait de se passer… Était-ce réel? Je veux dire… était-ce vraiment arrivé? J’en doutais. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Jamais un nouveau venu n’avait voulu voir la psy la première semaine, encore moins le premier jour! Celui-là, il est vraiment étrange. Celui-là, il n’est pas comme les autres. Celui-là, je vais le suivre attentivement.
Je suis donc allée à mon bureau où il se trouvait, assis sur le sofa, les mains toujours liées. Les gardes étaient en train de lui enfiler une camisole de force, ce que je leur ai demandé de cesser.
« Ça suffit, que je commence ma thérapie.
– Mais, Dr Grace…
– Mais rien, Wallace. Allez, sortez! »
Après s’être jeté de petits regards inquiets, ce à quoi j’ai négativement hoché la tête en leur assurant que tout irait bien, ils sont sortis. Je me suis assise sur mon fauteuil, face au patient, et l’ai regardé. J’attendais qu’il parle, qu’il s’exprime, qu’il ouvre la bouche. S’il y a bien une chose que je ne fais jamais, c’est entamer la discussion.
« …Alors?
– Alors quoi?
– Vous ne dîtes rien?
– Je n’ai pas à dire quoi que ce soit, moi. C’est vous qui avez souhaité me rencontrer, c’est donc à vous de parler. Mon rôle est d’écouter ce que vous avez à exprimer, pas à vous forcer.
– Vous savez pourquoi je suis ici?
– Pas le moindre du monde.
– Vous ignorez donc la raison de ma présence dans cet institut?
– C’est ce que je viens de vous confirmer, oui.
– Vous aimeriez savoir?
– À vous de me le dire.
– J’ai commis des crimes qui vont à l’encontre de l’humanité.
– Vous n’êtes pas le premier dangereux criminel que je rencontre, Harry-Harold.
– J’ai tué plus de gens que vous ne pouvez l’imaginer en utilisant la pire des tortures.
– Le manque de sexe?
– L’abstinence sexuelle, même imposée à un obsédé, n’est rien comparé à ce que je leur ai fait vivre.
– Mais encore?
– Vous avez entendu parler du célèbre Harald le cannibale?– Quel est le rapport entre votre présence ici et ce dangereux psychopathe.
– Le lien entre nous est bien plus puissant que vous le croyez, Dr Grace. Le lien entre ce dangereux psychopathe et moi est que nous ne formons qu’un. Je suis lui, il est moi, nous sommes nous.
– Qu’insinuez-vous donc, Harry-Harold?
– JE suis Harald le cannibale. »

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Mille et une vies. [Imagines]
Roman pour AdolescentsReccueil de plusieurs segments de vies de différents personnages dans des situations particulières. Parfois tristes, parfois romantiques, parfois violentes, ces histoires sauront peut-être vous émouvoir. Elles peuvent vous faire rire, elles peuvent...