Debout devant le miroir, j'observe mon corps – ou plutôt les dégâts qui lui ont été infligés. Partout sur ma peau de glace, des ecchymoses. Bleues, rouges, jaunes et mauves, des récentes et d'autres qui datent, anciennes ou nouvelles. Je ne les compte plus, elles sont devenues trop nombreuses. Elles se multiplient sans cesse, augmentant au rythme d'une fonction exponentielle.
Celle-là, sur mon bras, je me souviens de la raison de sa présence. Il avait bu ce soir-là. Il s'était apparemment embrouillé avec un gars au bar pour une raison stupide typiquement masculine dans le genre « je peux pisser plus loin que toi » ou un truc comme ça. Il a perdu, à ce que j'ai compris. Il était énervé.
« C'est pas si grave, c'est qu'une petite compétition de gars saouls, ai-je lancé après l'explication qu'il m'a fournie.
– Pas si grave? T'as pas l'air de réaliser que j'ai perdu mon honneur et ma virilité!
– Tu dramatises, chéri, c'est pas la fin du monde.
– Pas la fin du monde? Tu veux peut-être que j'te montre c'que c'est, la fin du monde, hm?!, s'est-il exclamé, criant avec colère, et c'était même presque du mépris. »
Sa main s'est resserrée autour de mon bras. Alors qu'il me posait la question, ses doigts se sont enroulés à mon membre. Puis, progressivement, ils se sont contractés. Ils écrasaient ma peau comme s'ils voulaient la traverser, comme s'ils voulaient se rejoindre en passant à travers moi.
« Aïe, Ash, tu me fais mal... »
Mais c'est comme s'il ne m'entendait pas, comme s'il ne pouvait pas m'entendre. Comme s'il était dans une bulle que rien ne pouvait pénétrer, une sphère d'isolation extrême. Moi, je commençais à avoir sérieusement mal. La circulation de mon sang avait de la misère à se faire, mes extrémités devenaient blanches comme les nuages – plus qu'elles ne l'étaient déjà avant, an naturel. Je les sentais de moins en moins.
« Ashton, sérieusement... Je rigole pas, je sens pu mes doigts... J'aime pas ça... S'il te plaît, lâche-moi là. Ashton! »
J'ai haussé la voix pour que ma voix se rende jusqu'à ses oreilles et, éventuellement, à son cerveau. Il devait m'entendre, ça commençait à devenir urgent. Heureusement, il a compris. Ses mains, ses serres, ses griffes, peu importe le terme qu'on leur donne, m'ont libérée de leur emprise. Je me suis frotté le bras afin de chasser la douleur, mais je n'ai fait qu'aggraver le mal que je ressentais. Sur ma peau, un grand rond bleu de la grosseur de sa main.
« Oublie ça, va dormir. »
J'ai presque sursauté lorsqu'il a ouvert la bouche. D'abord, j'étais concentrée à fixer mon bras, à m'assurer que l'ecchymose était bien là. Ensuite, sa voix était rauque – elle ne l'avait jamais été auparavant, même quand il était malade comme un chien. Malgré tout, je n'avais pas envie d'aller dormir. Après ce qui venait d'arriver, j'étais bien trop alerte, bien trop réveillée pour aller me coucher. Je n'ai pas bougé du canapé. Après tout, je suis une adulte responsable et autonome de mes choix. C'est ce que je me suis dit avant de croiser son regard. Ses yeux brun-vert avaient viré au rouge et, alcool ou pas, c'était assez effrayant.
Je ne lui ai pas dit « bonne nuit chéri » ce soit-là. À vrai dire, je ne lui ai pas parlé après qu'il eût lâché mon bras. J'étais en colère contre lui. J'étais blessée aussi, deux fois plutôt qu'une. Mon bras avait mal, c'était encore sensible même après une dizaine de minutes. Quant au reste...
Il m'a fait mal. Il a laissé une marque sur moi. Mais bon, j'étais amoureuse, j'étais peut-être un peu aveuglée par mes sentiments, alors j'ai blâmé l'alcool pour son comportement. Lorsqu'il est venu s'étendre dans notre lit, je suis restée muette. J'ai fait semblant de dormir pour qu'il me laisse tranquille. Je l'aimais, mais je ne voulais plus l'entendre pour ce soir. Je crois que je n'aurais pas pu supporter sa voix rauque une seconde fois. Il s'est vite assoupi, ce qui n'a pas été mon cas.
« Ça va aller, May, ça va s'arranger, me suis-je dit dans ma tête. Oui, il a serré fort, mais... Il en était pas conscient. Il savait pas ce qu'il faisait, il a sous-estimé sa force. Il était presque saoul, c'était pas volontaire, c'est tout. Pas besoin d'en faire un drame, c'est terminé. C'était rien de plus que l'histoire d'une seule fois. »
Le pire, c'est que je me suis crue. J'ai vraiment pensé que c'était la boisson qui l'avait changé, mais j'avais tort. Il s'est seulement révélé à moi tel qu'il est, défauts et qualités tout inclus comme dans les hôtels de Cuba. Les fausses apparences des premiers mois avaient disparus, le prince était redevenu un ogre.
Peu à peu, il est devenu de moins en moins patient. Un rien le faisait piquer des crises, que ce soit pour le choix d'un film ou d'un resto ou encore la température. Il s'emportait de plus en plus souvent, c'était pénible à vivre. Toujours plus chaque jour.
Ces griffures, là, sur mon ventre, elles datent d'il y a quelques jours. Ashton les a faîtes pour que je me couvre plus – à son goût.
Le soleil commence à briller au point où il nous brûle, l'école achève, les boutiques recommencent à vendre de la crème glacée et des cornets qui en sont remplis, bref c'est presque l'été. Il fait chaud, les vêtements raccourcissent, c'est logique. Ainsi va la vie. Un matin où il faisait déjà 20 degrés, j'ai mis un short et un top qui laissait voir une partie de mon ventre. Lorsque je suis sortie de la chambre, j'ai croisé Ash. Je lui ai souri, puis j'ai poursuivi mon chemin jusqu'à la cuisine. Il a agrippé mon bras, me forçant à m'arrêter et à me retourner.
« Bah quoi? »
Il n'a rien dit. Quelques minutes, il s'est contenté de me regarder, ou plutôt de fixer mon haut. Sa mâchoire semblait un peu tendue, comme s'il grinçait des dents ou qu'il les maintenait ensemble pour éviter de parler. Peut-être qu'il se mordait la langue cette fois afin de se laisser le temps de réfléchir et de ne pas dire n'importe quoi.
« Tu comptes aller au parc comme...ça?, a-t-il demandé en pointant mes vêtements.
– Quoi, tu veux que j'y aille en talons hauts avec une robe de bal?
– J'te parlais de quelque chose de plus convenable, de plus digne de toi.
– Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire, plus digne de moi?
– Tu penses pas que tu devrais t'habiller mieux que ça, plus que ça?
– Y fait au-dessus de 20 degrés, Ash. J'veux pas méga transpirer, ce serait pas digne d'une fille.
– J'sors pas avec toi dans cette tenue.
– Bah dans ce cas, on sortira pas, c'est tout. »
Mais non, ce n'était pas tout. Il tenait à ce que je me change, coûte que coûte. Il m'a sourit avant d'enrouler son bras autour de ma taille et, de l'autre, il m'a griffé la peau du ventre. De longues entailles en diagonale qui couvraient toute la surface visible.
« Va falloir que tu mettes autre chose, sinon ça fera pas beau. »
Encore une fois, il a gagné. Il a eu ce qu'il voulait de moi. Sauf que ça suffit maintenant.
Mon corps n'est pas un sac de sable sur lequel il peut cogner quand il en a envie. Ma peau n'est pas une planche sur laquelle il peut faire ses griffes comme les chats. Je me regarde dans le miroir et... je n'aime pas ce que je vois. Je suis meurtrie de partout. J'ai l'air d'un arc-en-ciel avec tous les hématomes de différentes couleurs qui s'éparpillent sur moi, je n'en peux plus. Ça m'épuise d'être constamment sur la défensive.
Je ne veux plus vivre de situations comme celle-ci. Je ne veux plus d'un homme qui dirige ma vie et fait des choix à ma place. Je ne veux plus vivre dans la peur, c'en est au point où j'ai peur de la boisson et de tout ce qui pourrait le mettre en colère. Je ne peux plus continuer ainsi. Je ne veux plus voir d'entailles et d'ecchymoses sur mon corps, j'en ai mare de les voir s'entasser et s'accumuler. Je lui en ai déjà parlé, plusieurs fois déjà. Il ne veut rien écouter, tant pis pour lui. S'il ne peut pas m'aimer comme je le mérite, alors je ne peux pas rester à ses côtés.
L'amour m'a rendue aveugle, mais c'est fini. J'ai récupéré la vue, et je vois bien que cette relation se dirige tout droit dans le mur. Je ne resterai pas à bord, la voiture s'écrasera sans moi.
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Mille et une vies. [Imagines]
Ficção AdolescenteReccueil de plusieurs segments de vies de différents personnages dans des situations particulières. Parfois tristes, parfois romantiques, parfois violentes, ces histoires sauront peut-être vous émouvoir. Elles peuvent vous faire rire, elles peuvent...