J'imagine que cette histoire devrait s'appeler « Le choix ».

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Je n'arrivais pas à croire que ma famille ait été si odieuse avec elle. C'était la première fête à laquelle elle assistait et ils avaient déjà commencé à la critiquer, c'était incroyable. Je n'allais rester pas avec eux à les écouter insulter ma petite amie dans son dos.

« Tira, on s'en va, déclarai-je soudainement. »

*

Alors que je discutais avec Karen, Michael apparu à mes côtés, et je sursautai presque lorsqu'il annonça qu'on partait. Après tout, le repas n'était pas encore terminé, le dessert n'avait pas encore été servi.

« Comment ça, pourquoi? La soirée vient à peine de commencer!

-Crois-moi, il vaut mieux qu'on y aille. »

J'avais vu le regard qu'il avait jetait à sa mère, un regard rempli de reproches. Je ne savais pas ce qu'il sous-entendait par ce froncement de sourcils, je ne comprenais pas ce qui lui prenait ni pourquoi il tenait tant à ce que l'on quitte la célébration de Noël. Il prétextait une fatigue à laquelle je ne croyais en aucun cas, mais je n'avais pas tellement d'autre choix que de partir avec lui. Après tout, nous étions dans sa famille, ça aurait donc été étrange pour moi de rester s'il n'était plus là. Je saluai rapidement les oncles et les tantes avant de le suivre jusqu'à la voiture.

« Maintenant qu'on est que tous les deux, tu peux m'expliquer ce qu'il y a? »

Il ne répondit pas tout de suite. Je savais que nous avions une trentaine de minutes de route à faire et que la noirceur est déjà tombée, qu'il n'aime pas conduire lorsque le soleil est couché, mais je savais aussi que ce n'était qu'une excuse qui cachait une autre raison. Il aurait pu rester plus longtemps, quitte à faire une sieste dans son ancienne chambre ou à me demander de conduire sur le chemin du retour, mais il ne l'a pas fait. Il voulait vraiment partir, et je ne sais pas pourquoi.

Michael démarra la voiture et ne prit même pas la peine de s'attacher avant de commencer à rouler, il démarra en trombe. Étonnement, il avait l'air calme. Ses mains n'étaient pas crispées sur le volant, sa respiration était lente. La seule chose qui le trahissait était la vitesse démesurée à laquelle il avançait. Il roulait au-dessus de la limite de vitesse, et pas que de quelques kilomètres/heure ! Il roulait à presque 120 km/h dans une zone de 70 km/h, ce qu'il ne faisait jamais. Il n'avait son permis officiel que depuis un an, ce n'était pas le conducteur le plus expérimenté qui soit, et surtout pas dans les conditions météorologiques actuelles.

« Michael, tu roules trop vite là. »

*

Je n'en revenais toujours pas, je ne comprenais pas comment les membres de ma famille avaient pu être aussi méchant. Ça me donnait envie de vomir. Je me retins, je restais concentré sur la route. Malgré tout, ce n'était pas assez pour oublier ce que j'avais entendu à la soirée. Mes yeux regardaient en avant, mais mon esprit était resté prisonnier de ce qui s'est passé.

« Michael, qu'est-ce que t'as? »

Ce fut la voix de Tira qui me ramena au moment présent, qui me fit sortir de ma conduite automatique.

« Qu'est-ce que tu veux que je te dise?

-Pourquoi t'as voulu qu'on parte si tôt? Qu'est-ce qui est arrivé?

-J'ai entendu des membres de ma famille parler de toi.

-Et alors? »

Elle me demandait ça avec une intonation si innocente que j'enrageais en sachant ce qu'elle ne savait pas, à l'idée que ma révélation ne la démolisse.

« Et alors, Mike?, insista-t-elle.

-Tout ce dont il parlait était lié à ton poids et à la couleur de ta peau.

-Qu'est-ce que ça change?

-Ils ont pas le droit de dire des choses pareilles, ils devraient pas te juger alors qu'ils te connaissent même pas! »

*

Les gens ne devraient pas juger quelqu'un qu'ils ne connaissent pas, mais ils le font quand même. C'est sans doute la cruauté humaine qui refait surface, elle est présente partout, elle rôde aux alentours. Elle détruit les âmes pures, souille les cœurs honnêtes et transforme les êtres encore bons qui étaient sur Terre. Michael craignait pour sa petite amie, trop gentille pour rivaliser avec l'Homme et ce qu'il était.

« Michael, sérieusement, tu conduis dangereusement. Attache ta ceinture de sécurité et ralentis, si on a un accident, tu pourrais... »

En parler devait porter malheur, parce que ce fut ce qui arriva. Alors qu'ils discutaient, la pluie s'était mise à tomber. D'un coup, il pleuvait des cordes. L'asphalte était quasi-inondée après à peine deux minutes, la route était devenue extrêmement glissante. Même un conducteur expérimenté aurait eu de la difficulté à prendre une courbe aussi prononcée à une vitesse aussi élevée sur un chemin mouillé, alors pour Michael – qui commençait à peine...

La voiture percuta le garde-fou de plein fouet. Michael, n'étant pas attaché, frappa le volant avec son crâne. Tira perdit connaissance aussitôt après l'impact. C'était une fin de soirée qui ne devait pas se passer ainsi.

*

« Suivez la lumière des yeux, jeune homme.

-Mais Tira, il faut que...

-Vous la verrez quand j'aurai fini de vous examiner, alors restez tranquille. »

Je gigotais sur mon lit d'hôpital, mes jambes qui pendouillaient dans le vide n'avaient qu'une envie : sauter sur le plancher et courir jusqu'à ma petite amie. Mais je devais attendre et faire ce que le médecin me disait, j'avais l'impression de perdre mon temps. J'allais bien. Mais elle, ma Tira? Je ne savais pas. Le médecin n'avait même pas fini de m'indiquer où elle était que je précipitais déjà vers elle. J'avais le numéro de sa chambre, c'était tout ce qu'il me fallait pour aller la retrouver.

Je ne ralentis pas lorsque je franchis le cadre de la porte, je courus jusqu'au lit où elle était allongée. Il y avait tellement de fils et de machines reliés à son corps que j'eu peur de les compter. Je me sentis étourdi par tous les bruits qu'elles faisaient, je dû m'accrocher aux barreaux du lit tellement j'étais désorienté. Mais j'allais bien, ma main trouva la sienne et s'y agrippa, et j'espérais qu'elle faisait pareil dans sa tête. Elle était vraiment dans un sale état. On aurait dit que le pare-brise lui avait explosé dessus, ou était-ce la vitre de sa portière ? Je ne savais plus, je n'étais plus certain.

« Pourquoi t'es là? C'est moi qui devrais être allongé dans ce lit d'hôpital à me battre pour ma vie, pas toi! C'est de ma faute, j'aurais dû t'écouter, j'aurais dû ralentir. Pourquoi je vais bien? C'est toi qui portais ta ceinture, elle aurait dû assurer ta sécurité! C'est Noël, tu peux pas me quitter comme ça! »

Heureusement – était-ce vraiment une bonne chose? –, Tira ne partit pas. Moi non plus d'ailleurs. Je restais à ses côtés alors que le temps passait et que son état ne changeait pas, qu'elle était immobile et inconsciente comme lorsqu'elle était arrivée ici. Elle restait figée entre deux mondes à cause de moi. Plus les jours défilaient, plus les médecins perdaient espoir. Après plus d'un mois dans le coma, les gens ne redeviennent jamais comme avant – s'ils reviennent un jour. Leur cerveau reste paralysé. Je ne voudrais pas imposer ça à Tira, l'obliger à vivre avec cette énorme difficulté. Je mis mon égoïsme de côté et, en pensant à son bien-être avant tout, je me résolus à la laisser partir. J'avais l'impression qu'une partie de moi s'était envolée avec elle. Je dus faire un choix que je n'aurais pas eu à faire si je n'avais pas été aussi stupide, si j'avais ralenti. Tout est de ma faute...


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