Mille et une vies. [Imagines]

There's no other place I'd rather be.

Ashton et Maïla étaient sortis en cette belle journée d'automne, ils étaient allés se balader sur le campus de l'université. La température était étonnement clémente en cette fin de novembre, il fallait en profiter. L'hiver allait arriver sous peu. Bientôt règnera le froid, la neigeemprisonnera les citoyens dans leurs demeures. Les routes seront presque impraticables, dangereuses même. Sortir sera aux risques et périls de chacun.

Les arbres ont perdu leurs feuilles, les fleurs ont fané, l'herbe a jauni, mais le soleil a gardé sa place dans le ciel. Il est toujours là-haut, brillant comme avant.

Les tourtereaux, main dans la main, abordaient le futur. Tout allait bien, ils étudiaient dans la même ville et se voyaient de façon régulière, mais qu'arriverait-il après? Après cette session, après l'autre qui suivra, pendant l'été et à la fin de leurs études? Pourront-ils se voir? Leur couple survivra-t-il jusque-là? Le futur est incertain, et ce n'est pas ce qui fait son charme. Le futur, le doute, l'inconnu, ça fait peur. Il vaut mieux essayer de ne pas y penser, question de ne pas gâcher le présent. Cela dit, c'est difficile pour les deux adultes. Ashton et Maïla sont de nature angoissée, un rien suffit à les tourmenter au point de les empêcher de dormir. Malgré tout, ils font de leur mieux. Ils se concentrent sur le moment présent, sur le maintenant, sur eux. Pour le reste, on verra quand ce sera nécessaire d'y voir.

Le campus était presque désert. Il faut dire qu'on est samedi, il n'y a pas de cours et les résidences ne sont pas si grandes, elles ne peuvent abriter des milliers d'étudiants. Parmi ces étudiants, certains ne sortent que très peu de leur chambre, ce qui réduit de manière considérable le nombre de piétons qui se promènent sur le campus un jour de fin de semaine.

Des résidences, le couple se rend jusqu'au petit espace vert aménagé en diagonale du pavillon multifonctionnel. Maïla adore regarder l'étang, elle se sent calme près de cet endroit. Dans les bras d'Ashton, elle regarde l'eau immobile.

« À quoi tu penses?

– On est comme cet étang. »

Ashton ne comprend pas la comparaison douteuse que sa petite amie vient de faire. Il a beau faire travailler ses méninges, rien ne lui vient. Pas la moindre explication. Évidemment, Maïla est restée là à fixer la masse d'eau pendant un moment, elle a sans doute eu une longue réflexion avant d'arriver à cette conclusion, mais Ashton n'a pas fait le même parcours mental et ne comprend donc pas pourquoi elle a dit ça.

«Tu peux m'expliquer en quoi?

– Pour l'instant, il y a pas de perturbation, tout va bien. Tout est beau, tout est calme. L'eau est sage, notre couple va bien... sauf que ça durera pas. Le vent va se lever, il va souffler et créer de petites vagues. Quelqu'un va lancer un objet qui va créer des ondulations, un insecte va danser sur l'eau et troubler la paix. D'une manière ou d'une autre, éventuellement, la paix sera détruite.

– Comme quand la session va se terminer? Comme quand je vais retourner en Australie pour les Fêtes et qu'on va être séparé?

-Ouais. »

Maintenant qu'Aston comprend, il peut se mettre à réfléchir à son tour. Après un aussi beau discours de la part de Maïla, il n'a pas le choix : il lui faut répondre quelque chose d'aussi beau, d'aussi poétique et d'aussi vrai que ce qu'elle vient de déclarer.

« Ouais, c'est certain. T'as juste oublié un petit détail.

– Lequel?

– Le vent peu bien souffler autant qu'il le souhaite, il peut bien gronder aussi fort qu'il le peut, ça non plus, ça dure pas. Après un moment, il arrête. Tout redevient calme, l'eau retrouve sa forme d'origine et les vagues s'estompent. L'objet lancé fini par caler au fond de l'étang; c'est comme si rien s'était produit. Les insectes passent pas leur vie à faire des ballets aquatiques, ils se tannent et s'en vont. Oui, la paix est troublée, mais elle l'est jamais longtemps. »

Rassurée par ces belles paroles, Maïla se détend. Ses épaules se relâchent, la tension qu'elle gardait au fond d'elle s'évapore. Elle disparaît au fond de l'étang.

« C'est quoi ça? »

Du ciel tombent des petites formes blanches. Celles-ci s'écrasent au sol, sur eux, dans l'eau. En peu de temps, tout est blanc : le sol, les arbres, les pavillons. L'air a changé, il est un peu plus froid qu'il ne l'était quelques minutes auparavant.

« Qu'est-ce qui se passe?

– C'est l'hiver, mon chou. C'est l'hiver, répète Maïla, un sourire sur les lèvres. »

Maïla ne peut s'empêcher de sourire en regardant Ashton s'extasier devant le paysage. Même s'il a 19 ans, en ce moment, il ressemble à un enfant qui vit son premier hiver canadien. Il sourit, il rit, il tend les bras et ouvre la bouche afin d'attraper des flocons avec sa langue et ses mains. Évidemment, il réalise assez vite que c'est une technique peu efficace, donc il s'agenouille dans la neige et amasse de la neige avec ses mains afin d'en faire des boules, qu'il lancesur les arbres.

« On peut faire un bonhomme de neige? S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît!

– C'est pas une bonne idée, Ash, t'es pas... »

Ashton a l'air d'un enfant de 7 ans, un jeune que tout impressionne – et qui fait à sa tête. Ses yeux scintillent comme les étoiles qu'on met sur les sapins de Noël alors qu'il roule une boule de neige afin de faire la base du bonhomme de neige. Avant même de l'avoir terminé, il s'arrête et se frotte les mains. Elles sont rouges.

« Comme j'allais te le dire, t'es pas bien habillé pour jouer dans la neige.

– Est-ce qu'il va falloir m'amputer les mains?

– On aura pas besoin d'aller jusque-là. On va juste rentrer à la résidence et boire un bon chocolat chaud. C'est bon au goût, c'est chaud dans le corps et la tasse va réchauffer tes mains froides.

– Finalement, l'hiver, c'est pas si mal.

– Mon pauvre chéri, t'as rien vu de ce qu'est l'hiver ici. Ce que t'as devant les yeux, c'est juste un aperçu. On s'en reparlera quand la température aura descendu. D'ailleurs, on va devoir t'équiper un peu question que tu survives, ok?

– J'pourrais survivre à n'importe quoi si t'es avec moi. J'suis bien ici, j'suis bien avec toi. J'voudrais être nulle part ailleurs. »