Départ imprévu

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Roséanne est partie. Il faut croire que son destin devait être tragique, parce qu'il a brusquement pris fin avant même qu'elle ait 21 ans. Sa vie débutait, elle n'était encore qu'une enfant maladroite dans un monde d'adultes. La jeune femme n'avait pas encore trouvé sa place nulle part. Son avenir, elle ne le connaissait pas. L'étudiante changeait de programme universitaire comme d'autres changent de sous-vêtements. Roséanne essayait, puis se trompait, mais jamais elle ne s'arrêtait. Elle voulait se trouver. Malheureusement... Elle a trouvé la mort avant.

C'est arrivé soudainement. Même si elle était confuse vis-à-vis de son avenir, Roséanne était heureuse. Elle avait deux parents aimant, un petit frère et beaucoup d'amis. Elle était bien entourée. Elle avait même un Harry! Un petit ami attentionné, charmant, doux et sensible. Ce n'était pas une personne du genre à sortir tous les soirs, elle était plutôt calme. Elle buvait à peine, elle ne fumait pas, elle ne se droguait pas, elle ne mangeait presque pas de sucre! Mais il faut croire que son heure était venue – la mort est plus ponctuelle que les médecins apparemment. Sans préavis, son cœur a cessé de faire son travail. Ce n'est pas comme s'il était épuisé, il regorgeait encore de jeunesse! Pourtant, une nuit, tout a pris fin. Son cœur a peut-être décidé de se reposer, de prendre exemple sur elle et de dormir. Évidemment, puisqu'elle était seule dans son lit, endormie, Roséanne n'a pu alerter personne avant qu'il ne soit trop tard. Elle est simplement partie. Elle n'a pas eu froid, elle n'a pas eu mal, elle ne s'est juste... jamais réveillée.

Au matin, en voyant que la porte de la chambre était toujours fermée, sa mère s'est dit qu'elle avait eu une panne d'oreiller. Elle est allée la voir, question de la sortir de ses rêves avant qu'elle ne soit en retard à l'université. Elle a tout fait pour faire émerger sa fille de son sommeil. Elle lui a parlé, elle lui a crié dessus, elle a tenté de la tirer hors du lit mais, peu importe ce qu'elle faisait, Roséanne ne bougeait pas. Rien ne bougeait, pas même sa poitrine.

Arrivée à l'urgence, la mère a fait le tour de la famille afin de leur donner des nouvelles au téléphone. Elle a également contacté Harry, qui a débarqué une dizaine de minutes après la fin du coup de fil. Lorsqu'on lui a dit que les médecins n'arrivaient pas à la réanimer, il a tout plaqué. Il a laissé ses cahiers sur son pupitre, il s'est levé et a quitté sa classe en courant, et ce, malgré le professeur qui lui sommait de retourner à sa place. En arrivant, essoufflé par sa course (l'hôpital se trouvant à proximité de l'université), il a dû s'y reprendre à trois fois pour expliquer à la réceptionniste pourquoi il était là.

En suivant l'infirmière qui le guidait à la salle réservée aux familles des patients que l'on tentait de sauver aux soins intensifs, les pensées d'Harry se bousculaient dans son esprit. Roséanne n'était pas malade, elle n'avait pas de problème cardiaque et elle était en santé, alors que faisait-elle sur une civière à l'urgence?

Madame Carter était assise sur une chaise, le dos courbé, la tête enfouie dans ses mains. Elle semblait prête à s'écrouler sur le plancher. Monsieur Carter, lui, était adossé à un mur, les yeux dirigés vers le ciel comme s'il adressait une prière silencieuse à un être supérieur. Josh, le benjamin, balançait ses jambes, trop petites pour toucher terre. Lorsqu'il a vu arriver Harry, il s'est précipité vers lui et s'est agrippé à sa jambe.

« Harry, est-ce que Rose va dormir pour toujours? »

Il le regardait de ses petits yeux verts, le regard empli d'espoir. Harry lui a souri, ne sachant quoi faire ni quoi dire. Lui-même ignorait à quel point la situation était grave. Madame Carter lui avait seulement dit que le cœur de Roséanne ne battait plus lorsqu'elle a voulu aller la réveiller. Les médecins tentaient de la réanimer, ils ignoraient depuis combien de temps la jeune femme était cliniquement morte et gardaient donc espoir.

Au bout de 20 minutes, un médecin est venu voir la famille réunie dans la salle. Le médecin a retiré ses gants de latex, et tous les adultes ont compris. L'air désolé du membre du personnel voulait tout dire : ils n'avaient pas réussi à la ramener. Monsieur Carter s'est laissé glisser le long du mur, complètement dévasté. Sa femme s'est effondrée sur sa chaise, les épaules tremblant à cause des sanglots qui la secouaient violemment. Josh a raffermi sa prise autour d'Harry. À 8 ans, il n'a pas tout compris. La situation lui échappait, comme s'il lui manquait un morceau pour parvenir à achever son puzzle. Même si le concept de la mort lui était inconnu, il voyait bien que ce n'était pas normal que ses parents soient comme ça.

« Docteur, il faut que je la voie.

-Je suis désolé, mais...

-Docteur, je vous en supplie, j'ai besoin... il faut que... je dois... »

Harry avait l'air si découragé que le médecin a cédé. Josh a souhaité aller avec lui, il voulait comprendre. Tous les deux, se tenant par la main, ils ont suivi le médecin jusque derrière un rideau. Sur la civière reposait le corps de Roséanne, sans vie depuis maintenant sept heures. Josh s'est approché de la civière, il voulait voir. Harry l'a assis sur le lit avant de s'écrouler à côté de lui.

« Rose va se réveiller bientôt, hein Harry?

-Non, bonhomme, elle va dormir encore longtemps.

-Comme Aurore?

-Comme Aurore.

-Mais non, il faut juste que tu l'embrasses, t'es son prince charmant!

-J'aimerais bien que ce soit si simple... Même si je l'embrasse, Rose va... rester ainsi.

-Qu'est-ce qu'elle a?

-Elle est... victime d'une grosse malédiction que rien peut briser.

-Dans ce cas, je veux dormir moi aussi.

-Quoi?!

-Si on se réveille en même temps, je vais pouvoir la revoir. »

Devant la naïveté de l'enfant face à la mort, devant son innocence face à la solution miracle qu'il venait de dire, Harry s'est mis à pleurer. Il l'a pris dans ses bras, pourtant incapable de lui expliquer qu'il ne la reverrait jamais. Hier encore, Roséanne avait des projets, des rêves, de l'énergie, une vie...

Aujourd'hui, il ne restait plus que des parents en deuil, un petit frère déboussolé et un cadavre froid sur une civière d'hôpital.

Mille et une vies. [Imagines]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant