Le froid a ses avantages.

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L'autobus me dépose tout près de la cabine où de nouvelles personnes l'attendaient. Évidemment, la voiture de ma mère n'est pas dans le stationnement – ni dans les environs. Elle n'est pas encore arrivée. Il fait froid, je suis levée tôt, je suis fatiguée et j'ai hâte de retourner chez moi après cette journée. La personne qui devait m'amener de l'arrêt de bus à la maison est quelque part ailleurs, je dois donc attendre.

Je fais quelques pas dans le gazon couvert de neige avant de m'arrêter à mi-chemin entre le stationnement et la porte du dépanneur dont la cabine d'autobus est sur son terrain. L'endroit est désert, aucune voiture en train de se faire remplir d'essence ni de stationnement utilisé par un client parti s'acheter des cigarettes.

Le temps passe. Chaque minute, je regarde l'heure sur mon iPod en soupirant. J'ai froid, je veux rentrer chez moi. Rentrer au chaud.

*

L'autobus 51 vient d'arriver. Plusieurs étudiants en sont sortis. Je les ai vus passer devant la fenêtre à laquelle je tourne normalement le dos, mais à laquelle je fais maintenant face. À travers tous les autres, il y a cette fille aux cheveux turquoise, celle qui se démarque parmi les têtes blondes et les têtes brunes. Celle que je remarque régulièrement. Elle s'approche du dépanneur. Elle n'entre jamais s'abriter du froid hivernal. Peut-être que, cette fois, elle le fera.

Elle s'arrête devant la fenêtre, près de l'endroit réservé aux fumeurs. Sa tête est orientée vers la gauche, vers la route empruntée par ceux qui viennent la chercher. Elle reste là, elle attend.

*

Je regarde l'heure sur mon iPod, il est 13 h 27. Ma mère n'est toujours pas là. Je suis arrivée depuis maintenant 15 minutes et j'ai froid. Je gèle. Les membres de mon corps engourdissent, surtout la partie inférieure. Je ne sens presque plus mes orteils. Si j'avais du poil sur les jambes, des glaçons pendraient au bout.

Il est maintenant 14 h. Les minutes défilent sur l'écran de mon gadget électronique, les voitures font de même sur la route devant moi, mais ma mère n'arrive pas.

*

Il est 14 h. Le thermomètre près de la fenêtre indique -23 degrés. La belle inconnue est dehors, exposée à ce froid depuis une trentaine de minutes déjà. Elle tremble de froid, je le vois. Je ressens quelque chose, un sentiment que je n'arrive pas à nommer. Ce n'est pas de la pitié, c'est autre chose. C'est une autre chose qui me pousse à l'inviter à entrer, tandis qu'il y a une peur en moi qui me hurle de ne rien faire, de ne pas lui parler. Je suis tiraillé, je ne sais pas quoi décider.

Finalement, la peur s'efface lorsque mon regard rencontre ses yeux verts.

*

Je me dandine d'un pied à l'autre en tournant en rond, mon regard scrutant ce qui m'entoure. En regardant vers le petit dépanneur, j'aperçois du mouvement à l'intérieur. C'est le joli commis qui me fixe de ses yeux bleus comme un ciel d'été, il me regarde alors que je le regarde aussi. Il disparait soudainement de la fenêtre, brusquement. Le rose me monte au visage, la teinte vire au rouge lorsque la porte du commerce s'ouvre et qu'il en sort. En tee-shirt. À -23 degrés. Il s'approche de moi.

« Hey, qu'il me lance simplement, un petit sourire sur le visage, laissant apparaître une fossette au coin de sa bouche.

Hey.

J'voudrais pas paraître louche, mais ça fait plusieurs moments que je te vois attendre dehors et puis je te trouve très jolie, ah et il fait froid aussi, mais toi, tu restes à l'extérieur et bref, tu veux entrer?, qu'il débite extrêmement vite, prenant à peine le temps de respirer. Je t'offre un café, ajoute-t-il, ne laissant même pas le temps à mon cerveau de tout analyser ses propos. »

Il est là, devant moi, ce joli commis avec qui je m'étais imaginé plusieurs conversations, conversations menant éventuellement à une relation idéalisée. Voilà qu'il m'invite à entrer prendre un café que je n'aurai même pas à payer. Je fige, je bloque, mon cerveau est sur pause. Je dois avoir l'air idiote, plantée devant lui sans rien faire ni dire.

Après ce qui me semble être un trop long moment pour rester dans les normes de la normalité, j'opine de la tête.

*

Ça y est, j'ai osé. J'ai invité la jolie fille à entrer dans le dépanneur pour boire quelque chose à mes frais. J'ai osé lui adresser la parole. J'ai osé lui proposer d'entrer prendre un café. Elle a accepté.

Heureux, je sautille vers le dépanneur, la belle inconnue sur mes talons. Je lui ouvre la porte, ce qui fait naître sur son visage un sourire timide.

« Au fait, je m'appelle Luke. »

*

J'ai presque sursauté lorsque sa voix a retenti dans ce silence quasi romantique. Je me suis arrêtée devant le présentoir de bonbons, surprise. Le dénommé Luke continue sa route jusque derrière la caisse, tapote quelques boutons et revient ver moi.

« Café, thé, tisane, chocolat chaud?

Café, j'aimerais bien.

Quelle saveur?

Vous avez vanille française?
Évidemment, c'est le meilleur. Gros format, ça te va?

C'est pas nécessaire de prendre le plus cher, surtout...

Surtout que je l'ai acheté avec mon rabais d'employé. »

*

Elle est trop mignonne, cette fille. Elle ne veut pas me ruiner, abuser de ma paie et gruger mon salaire pour un café que je lui ai offert. C'est charmant. Ce doit être une bonne personne.

Je glisse ma carte d'employé dans la machine et choisis le café, qui commence à se préparer. Lorsque la dernière goutte de café tombe, je prends le gobelet et mets le couvercle dessus avant de le tendre à celle... dont j'ignore toujours le nom. Mes doigts frôlent les siens, gelés.

« Et toi, tu t'appelles?
Maryssol.

Maryssol? C'est ton vrai prénom?

C'est un surnom.

Déviré de quel prénom?
Marie-Soleil.

C'est vraiment joli. Maryssol, laisse-moi être le soleil qui réchauffe ton cœur. »

*

Wow. Cette phrase, je ne m'y attendais pas. Je ne m'attendais pas à tant de poésie et de romance au moment où j'ai accepté son offre, où j'ai accepté son café. On ne se connaît pas. On ne se connaît pas alors qu'on se regarde en cachette depuis des mois. Maintenant, parce que ma mère a oublié de venir me chercher, tout va changer.

« Le changement fait peut-être peur, mais il n'y a rien de pire que son absence. »

Mille et une vies. [Imagines]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant