Une enfance volée qui a tout gâché...

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La croyance populaire selon laquelle tout le monde naît égaux est fausse. Personne ne vient au monde avec les mêmes possibilités, celles-ci sont parfois même enlevées avant que le fœtus ait fini de croître dans le ventre de sa mère. Un bébé qui avait une mère fumeuse ou alcoolique n'a pas un développement aussi avantageux que celui dont la mère ne fumait pas et ne buvait pas durant sa grossesse. De la même façon, un enfant qui grandit sans un parent n'a pas la même vie qu'un autre qui a ses deux parents.

Moi, mon grand frère, il n'a pas de père. Enfin, il en a bien un, comme tout le monde, mais... le sien est parti. Il est parti depuis longtemps, puisque ma mère a eu Harry et moi avec un nouvel homme. J'ai 15 ans, Ashton en a 22. Il était déjà parti bien avant que ma mère ne rencontre mon père et fasse un enfant avec lui. Ashton n'a jamais connu son père biologique, qui est plus un donneur de sperme qu'un père.

Est-ce que l'absence d'un père peut mener aussi loin? Je veux dire, même si c'est triste de penser qu'un adulte responsable de lui a quitté le navire, il a quand même eu Warwick, mon père, pour le remplacer. Il n'était pas seul au monde sur une île déserte avec une noix de coco pour seule compagnie! Il avait ma mère, un beau-père et, éventuellement, une sœur et un petit frère. Ce n'est peut-être pas la famille qu'il aurait dû avoir, mais il nous a.

Est-ce à cause de cette raison qu'il a... Je ne sais même pas comment l'expliquer pour le moment. Mais est-ce parce qu'Harry et moi étions là qu'il est devenu comme il est? Étant l'aîné, nous étions sous sa responsabilité. « Ashton, va voir si ta petite sœur est encore endormie » lui disait souvent ma mère. « Ashton, peux-tu surveiller Lauren pendant que je vais travailler? » demandait mon père en attendant que maman revienne du boulot. Il était notre gardienne : les parents n'avaient donc pas à payer quelqu'un pour faire le boulot. Il était à la maison de toute façon, autant le rendre utile j'imagine. Bien sûr, il nous aime! Sauf que l'amour qu'il a pour Harry et moi ne lui rend pas les soirées auxquelles il n'est pas allé, les activités extrascolaires auxquelles il n'a jamais eu le temps de participer, les filles avec qui il n'a pas pu sortir, ainsi continue la liste. Involontairement, nous l'avons empêché de s'épanouir en tant qu'enfant et en tant qu'adolescent. Maintenant, il est un adulte – et j'ajouterais un adulte perturbé. Je dirais qu'il l'est depuis longtemps, c'est juste que personne n'a eu le temps – ou pris le temps? –de réaliser.

Quand il avait peut-être 10 ans, je l'ai vu brûler des fourmis avec une loupe. Assis dans le jardin, il s'amusait à les tuer en se servant des rayons du soleil. Un sourire était comme collé à son visage, on aurait dit qu'il y prenait plaisir.

Vers l'âge de 13 ans, Ashton a tué le chien de la voisine. Non, je n'ai aucune preuve, je ne l'ai pas vu faire, mais je sais que c'est lui. J'ai trouvé un couteau tâché de sang dans le lave-vaisselle, un couteau de cuisine dont il est le seul à se servir. Le corps de l'animal était sur la galerie de la voisine, sur son petit tapis juste devant la porte. « J'vais tuer ce sale petit rat s'il arrête pas de japper après le camelot tous les matins », qu'il avait déjà dit. Je dirais qu'il a exécuté ses menaces.

Aujourd'hui, assise dans ma chambre, je fais des devoirs. Harry fait pareil dans la sienne. Les parents préparent le repas dans la cuisine à l'étage juste au-dessus de ma tête, Ashton devrait bientôt rentrer de son entraînement de natation. J'écoute de la musique afin d'être mieux concentrée sur ce que je fais. C'est ironique, mais c'est ainsi que je fonctionne. Je suis dans ma bulle, mon petit monde.

Ma petite bulle est percée par un énorme fracas qui survient d'en-haut. La maison en a presque tremblé. En retirant mes écouteurs, j'entends des cris. Ceux de ma mère. Ils me glacent le sang. Jamais un son pareil n'est sorti de sa bouche auparavant. Je sors de ma chambre; Harry avait déjà fait pareil. Il est debout au pied des escaliers, incertain. Hésitant, tout comme moi d'ailleurs.

Ensemble, mais surtout en silence, nous montons les marches qui mènent au rez-de-chaussée. À travers les barreaux de la rampe, on jette un coup d'œil aux alentours, et sans doute aurais-je préféré éviter de le faire. Je vois mon père allongé sur le sol près de la table, une poêle à gauche de sa tête. Ma mère est en larmes à ses pieds, terrifiée, pétrifiée. Je ne comprends pas ce qui se passe. Lorsque je vois Ashton revenir de je ne sais où avec un pistolet, tout devient clair pour moi. C'est lui qui effraie ma mère, c'est de lui qu'elle a peur. Il a sans doute assommé mon père avec la poêle afin de le mettre hors d'état de pouvoir nuire à ses plans quelconques.

Comme ma mère, Harry et moi sommes incapable de bouger. Que pouvons-nous faire? Il est un étudiant universitaire, nous ne sommes que des enfants! Il est plus grand, il est nettement plus fort, il est fou. La peur m'empêche de faire quoi que ce soit. Impuissants, nous regardons maman supplier notre frère de ne pas tuer notre père. Il sourit, il rit même. Il prend plaisir à voir ma mère aussi triste et apeurée. Il ne semble avoir aucune empathie pour la femme qui a tout fait pour lui, pas plus qu'il en a pour l'homme qui l'a élevé comme son fils.

Après un moment de silence où Harry et moi retenons notre respiration afin de passer inaperçu, un moment de silence qui n'a pas l'air d'avoir de fin, la détonation du fusil retentit, surprenant tout le monde dans la maison. Sur qui a-t-il tiré? Je vois du sang se répandre sur le plancher. Le sang de mon père. En me déplaçant, j'aperçois le trou de la balle dans le torse de mon père. Je crois qu'il a atteint son cœur. Bon sang, il a tué mon père...

Je n'ai même pas le temps de réaliser la situation, celle-ci s'aggrave tout de suite. Il fait de même avec ma mère, mais il rate l'endroit où il visait. Il touche l'épaule, mais ce n'est pas assez pour la tuer. Je regarde mon frère, dos à moi, en train d'assassiner mes parents. Il tire une seconde fois sur notre mère, puis une troisième. Les larmes coulent sur mes joues alors que je serre Harry dans mes bras afin de l'empêcher de craquer. Les secondes passent, mes sanglots se font de plus en plus bruyants. Ashton se retourne, et ses yeux scintillent presque en s'apercevant de notre présence. Son visage n'a plus rien d'humain, il est défiguré par la haine. Il agite son arme entre ses doigts avant de soudainement tirer vers nous. Je retiens mon souffle quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, que sais-je? Quand je vois Harry s'écrouler dans les marches, laissant derrière lui des traces de sang, je réalise que la balle qu'Ashton a tirée a trouvé une cible au hasard : mon frère cadet. Je suis horrifiée. Je réalise qu'il n'a aucune pitié, qu'il est un psychopathe/sociopathe. Je me lève, je retrouve l'usage de mes jambes et je cours. Je m'enferme dans ma chambre, je verrouille la porte derrière moi. J'ai peur – et c'est le plus gros euphémisme du monde. De peine et de misère, je parviens à mettre l'une de mes commodes devant la porte de ma chambre afin de l'empêcher de s'ouvrir.

« Lauren, ouvre la porte!, crie-t-il, étirant chacune de ses voyelles. Tu vas voir, on va s'amuser! »

Je l'entends cogner de plus en plus fort contre ma porte. Bientôt, elle cèdera sous son poids. Prise de panique, je me construis une mini-échelle jusqu'à ma fenêtre, trop haute pour que je puisse y grimper autrement. Je l'ouvre avant de me soulever à l'aide de mes avant-bras. Ma tête est à l'extérieur lorsque la porte explose littéralement en pièces. Je ne me retourne pas, je continue ma progression vers la sortie. Tout à coup, je sens des doigts s'enrouler autour de mes jambes. Je crie, je me débats, je m'agite en tentant de le faire lâcher prise. J'échoue.

« On allait quelque part? »

Je sens mon corps se faire tirer vers l'arrière, mais je n'ai aucune prise à l'extérieur pour empêcher mon frère de me ramener dans la maison. Il tire tellement fort que je tombe sur le plancher, face contre terre. Je me suis cognée contre le calorifère. J'ai mal à la tête. Je me sens étourdie. Je ne veux pas perdre connaissance alors qu'un homme armé est à mes côtés. Je lutte pour rester éveillée. Je regarde Ashton dans les yeux, je le supplie du regard, j'implore silencieusement sa clémence, en vain. Il est un monstre sans compassion.

Un coup de feu, je crois. Une détonation forte qui résonne dans mes oreilles et dans ma tête. Une douleur intense. Une chute. Une fin.

Mille et une vies. [Imagines]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant