Se souvenir. Se souvenir. Deux mots qui me tournaient en boucle dans la tête. Il fallait que je réussisse à retrouver dans ma mémoire les détails de cette sinistre nuit...
Je fuyais. Je fuyais les murs sombres de la prison, les coups et les bastonnades et tout cet univers. Les bâtiments disparaissaient derrière moi au fur et à mesure que j'avançais en courant.
Je le savais d'instinct. Je n'avais devant moi qu'une dizaine de minutes, quinze au plus, avant qu'ils ne lancent les recherches. Pourquoi m'étais-je enfui ? Où aller ?J'étais entouré d'une forêt au climat et aux plantes presque tropicales, et je savais par les gardiens de la prison qu'elle était immense et s'étendait sur plusieurs milliers de kilomètres.
En prenant la décision de fuir, j'avais pensé que la forêt serait mon alliée. Mais c'était le contraire. Car les arbres lugubres, les sombres marécages on l'on trébuchait et les fauves qui chassaient la nuit, tout y était pour mettre une sacrée ambiance...
Et tout à coup, je les ai entendu. Les premiers aboiements des chiens. Ils étaient encore loin mais ils n'allaient pas tarder à me rejoindre. Et ou me cacher ? Au sommet d'un arbre ? Grimper sur les lianes aurait été facile mais je savais d'avance que ce n'était malheureusement pas une solution.Une clairière. Un espaces de quelques mètres dépourvu d'arbre ou d'eau saumâtre. Je m'arrêtais quelques secondes pour reprendre ma respiration. Elle était sifflante, entrecoupée de haut le cœur que je ne pouvais pas réprimer. Je n'avais absolument plus la force de courir.
Et les gardes se rapprochaient. J'étais la proie. Ils étaient les chasseurs.
Un craquement. Une brindille brisée. Mais pour mon oreille exercée, pas de doute, une présence derrière moi.
Je me retournais d'un bond. Le cœur tremblant, je fixais l'ombre des arbres. Et une silhouette se détacha de la muraille de verdure.J'eus l'impression de ne plus pouvoir réfléchir. J'avais été rattrapé. Mais par une personne seulement ? Deux choix s'offraient alors à moi : fuir ou me battre... Si l'inconnu n'était pas armé. Ce qui était peu probable. J'étais mort...
-Numéro 438 ?...
Je tressaillais au son de cette voix ironique qui s'élevait dans le silence. Je la reconnaissait. Mais je ne baissais pas ma garde pour autant. On ne sait pas ce qui peut arriver. On ne sait jamais.-Il n'y a pas de numéro 438 ici. Je m'appelle Gabriel. Et tu le sais.
Je la vois hausser les épaules avec une insolence voulue. Mais pour moi, ce détail est important. Je ne suis pas qu'un prisonnier parmi d'autre portant un numéro... Je suis aussi un homme, une identité. Elle reprend la parole.
"Elle" c'est à dire mon amie d'enfance, Marguerite Savigny...-Tu entends les chiens ? Dans deux minutes, au plus tard, si je ne t'aide pas, tu ne seras de nouveau plus que "numéro 438"...
J'ai conscience de l'absurde situation où nous sommes. Et de son côté irréel. Comment dire ?... Une jeune fille et un prisonnier en fuite discutant tranquillement dans une forêt tropicale déserte de tout habitant dans un immense périmètre autour du pénitencier ? Que fait-elle ici ? Mais surtout, comment est-elle arrivée ici ?
Je ne pose pourtant aucune de ces intéressantes questions. J'ai plus important à faire...-Tu peux m'aider ?
Elle me regarde à peine. Elle écoute les aboiements des chiens qui se rapprochent.
-Oui. C'est pour ça que je suis là. Dépêche-toi, suis moi.
Elle tourne déjà les talons pour replonger dans la forêt à la recherche de je-ne-sais-quoi. Mais je l'attrape brutalement par le bras.-Pourquoi te ferais-je confiance ?
Nos regards se croisent. Le mien, polaire, bleu d'un ciel sans nuage, si trompeur sur ma nature, et le sien, sombre, presque noir. Elle hausse de nouveau les épaules. D'un mouvement du menton, elle désigne la forêt derrière moi ou retentissent les cris et tous les bruits de la chasse.-C'est moi ou eux.
Présenté comme ça évidemment... Je me met à courir derrière elle sans plus songer à poser des questions. Incroyable ce qu'on peut trouver comme ressources au fond de nous-même quand la peur nous traverse un peu plus...
Comment se repère t-elle ? Je suis sa chevelure noire qui disparaît régulièrement entre les plantes sauvages devant moi. Et nous arrivons dans un autre espace dégagé.
Je lève les yeux. Et je crois rêver. La porte de la liberté, de ma liberté, est là devant moi.
Un engin sombre et métallique sur lequel se reflète la pâleur lunaire. Avant, j'étais pilote d'exploration. Je connais ces engins mieux que ma poche.-Marguerite ? Merci...
Mais elle ne m'écoute pas. Tournée vers les bois que nous venons de quitter, je vois ses yeux s'agrandirent d'horreur. Ils nous ont rattrapé.
Mais je ne me laisserai pas faire. Un nouvel espoir me pénètre le cœur. Et je me précipite vers la machine. Je n'ai que quelques secondes...
Marguerite, elle, n'aura plus jamais le temps de rêver. Je le devine en pénétrant dans l'engin. Sans avoir besoin de me retourner et malgré les nombreux cris, j'ai reconnus le bruit.Le bruit caractéristique des menottes qui se referment sur les poignets, pour l'éternité.
Ce bruit résonne encore à mes oreilles.
Car je n'ai rien fait. Je ne me suis même pas retourné. Je reprend conscience de ma situation. Mon cœur bat si vite que j'ai l'impression d'avoir de nouveau vécu ces sinistres événements. Et pourtant, je suis toujours calmement assis dans ma cellule. Et j'ai mal, terriblement mal. Des milliers de questions continuent de me hanter. Je suis responsable de ce qui est arrivé à Marguerite, soit... Mais que lui est-il arrivé après mon départ ? La prison à vie ?Et si c'était pire ? La peine capitale... Pour avoir aidé un assassin à fuir. Je repense aux yeux bleus d'Azylis et l'espace d'un instant j'éprouve le besoin de lui confier mes pensées. Puis je recule dans l'ombre de la cellule, me tassant un peu plus sur moi-même. Que dirait-elle si elle savait que je m'interroge sur la mort possible de quelqu'un à qui je dois la vie ?
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Intemporel T1 & 2
Science FictionLorsque Gabriel disparaît de façon soudaine de sa vie, Azylis se lance à la recherche de réponses. Mais ce qu'elle va découvrir dépassera de beaucoup tout ce qu'elle avait pu imaginer... Et le temps, impitoyable, s'égrène à une vitesse délirante. Ca...