•Thaïs• (Chapitre 99)

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Nous gardons tous le silence, émus de ce que Sarah a bien voulu partager avec nous.

La journée passe très rapidement et lorsque je pose la tête sur mon oreiller de feuillage, le soir, je ne peux m'empêcher de regarder la nouvelle de notre équipe.

-Sarah ?

-Oui, quoi ?

Il fait totalement nuit et nous dormons côte à côte sur des matelas de larges feuilles. D'un commun accord, nous avons laissé Bir-Hakeim dans le dortoir des garçons.

-Vu la situation, je voulais te remercier d'avoir accepté ma panthère... Et m'excuser d'avoir ravivé d'aussi mauvais souvenirs...

Elle tourne la tête pour me cacher ses yeux sombres.

-Je t'en prie. Ne t'inquiète pas, ce n'est pas bien grave.

Elle se rallonge, me signifiant ainsi clairement la fin de la discussion. Je pince les lèvres. Son histoire m'a bouleversé. Si seulement elle consentait à nous donner son nom de famille...

Nous pourrions peut-être nous débrouiller pour faire des recherches et savoir comment a évolué l'état de son père...

Il y a forcément une solution. Je déteste passer à côté de personnes qui ont visiblement besoin d'aide sans rien faire.

Je regrette de lui imposer la présence de ma panthère. J'ai faillis renoncer à la garder avec nous. Et puis j'ai dû de toute façon me raisonner.

La seule façon de la faire partir serait de la tuer... Déjà qu'il a été plutôt difficile de la séparer de moi ! Qui possède un manuel explicatif pour l'éducation des panthères sauvages par ici ?

Paradoxalement, la mieux placée, c'est Sarah. Mais je n'ai pas besoin de l'interroger pour savoir qu'elle ne souhaite pas reparler de ce pénible souvenirs.

J'ai l'impression que nous avons bien progressé. La confession de Sarah nous a soudé un peu plus.

Après tout, autant se serrer les coudes puisque nous ne sommes plus que cinq dans notre équipe. Corysande et Sylvia...

Mes doigts se crispent malgré moi et je sens ma respiration s'accélérer. J'ai du mal à les écarter de mes pensées. A oublier leurs éclats de rire joyeux pour ne pas pleurer... Je me redresse légèrement.

La respiration de Sarah s'est faite plus régulière et je devine qu'elle s'est rendormie. Je me calme lentement. Je suis maintenant la seule éveillée, à plat ventre sur mon matelas et je ne peux m'empêcher de me soulever légèrement.

Je place ma tête dans mes coudes pour mieux réfléchir. Je n'ai pas vraiment l'impression que Sarah nous ait dévoilé toute sa vie.

Il me semble que d'autres souvenirs la rongent encore. Et il y a une question que j'aimerais lui poser. Elle s'est enfuie de chez elle à quel âge exactement ? Car elle ne nous a donné aucune date...

Seul indice : le relâchement des panthères. Je me rappelle très bien de ce projet gouvernemental qui avait fait un tabac. Il avait eu lieu... Il y a quatre, cinq, six années ou plus ?

Je ne me souviens plus vraiment. Mais il y a une chose dont je suis absolument certaine. Ce n'est pas du tout un fait récent. Où s'est réfugiée alors Sarah après sa fuite ?

C'est ce point là qui reste obscur. Elle n'a pas pu aller chez sa famille, car celle-ci l'aurait obligatoirement renvoyée chez son père... Alors ? Mais peut-être que ce ne sont pas vraiment mes affaires...

Pourtant, je ne supporte pas l'idée de rester là sans rien faire. J'ai un autre indice sur le caractère de Sarah : elle sait se battre. Mais en quoi est-ce que cela m'aide ?

Je jette un coup d'œil aux membres endormis de ma petite équipe. Sarah, étrange dans son sommeil car forcément beaucoup plus calme, Hedwige, ma meilleure amie...

Je corrige immédiatement intérieurement. Non, ma seule véritable amie. Je pense fugitivement à Edilyn.

Je crois que je peux sans me sentir coupable ne plus vraiment l'appeler "amie". Trois filles. Nous avons encore pas mal de place. Je suppose que le commandant nous assignera encore pas mal de recrues.

Deux garçons. Christian, que j'ai malgré moi beaucoup de mal à apprécier et Guy. Je connais un peu moins ce dernier. Il est du genre parfait.

Charmant, poli, courtois, il fait lui aussi un peu déplacé dans un lieu pareil. Et s'il est d'un naturel très réservé, ça ne l'empêche pas de beaucoup rire avec nous...

J'entends alors soudainement un léger craquement. Je me tourne vers l'entrée de notre cabane. Bir-Hakeim me fixe de ses yeux qui me paraissent presque fluorescents dans le noir. J'ai du mal à retenir un sourire.

Lorsqu'elle s'approche de moi à pas feutrés, je fais cependant attention à ce qu'elle s'installe à ma gauche et non du côté de Sarah. Je ne voudrai surtout pas embêter celle-ci.

Je finis par reposer ma tête sur le sol et m'endors presque instantanément, la main dans la fourrure de ma panthère, allongée à mes côtés. La nuit passe toujours trop vite.

On met du temps à s'endormir, à cause des milliers de pensées qui vous hantent, mais on se réveille toujours trop tôt. Cette vérité générale se vérifie aujourd'hui puisque je me réveille quelques heures plus tard en sursaut.

Qui a décidé de me verser un seau d'eau sur la tête en guise de réveil ? Je vous préviens, il va y avoir une punition générale si le coupable ne se dénonce pas rapidement...

-Hedwige ! Qu'est-ce que tu fabriques ? Tu ne pouvais pas me réveiller normalement non ?

Elle éclate d'un rire frais et joyeux.

-Ce n'est pas toi qui me disait qu'il fallait apprendre à voir positif ? Eh bien, regarde les choses du bon côté : tu n'as pas besoin de faire ta toilette matinale...

Et voilà, elle a réussit à me faire éclater de rire... Je me retourne brusquement, soudain inquiète, et mes yeux font le tour de la cabane.

Je ne vois ma panthère nulle part. Je n'ose pas trop poser de questions pour ne pas gêner Sarah et me contente d'espérer qu'elle est quelque part dans les parages.

J'attrape rapidement une tunique légèrement froissée et un pantalon de soie passe-partout que j'enfile à une vitesse record.

Je coiffe à une allure défiant toute concurrence mes cheveux légèrement frisé et fait une coiffure qui pourrait de loin ressembler -et encore pour quelqu'un d'indulgent- à une queue de cheval.

Mes bottes noires viennent compléter ma tenue sans que je puisse m'empêcher de songer qu'il va encore me falloir au moins trois quart d'heure pour arriver à les enlever ce soir. L'inconvénient d'avoir des bottes légèrement trop serrées...

Une fois prêtes, nous nous dirigeons toutes les trois vers le "couloir" qui permet de passer d'une cabane à l'autre. Il s'agit en fait d'une échelle de bois posée de manière horizontale entre deux cabanes avec comme rampe deux cordes.

Au début ça fait un peu bizarre mais on s'habitue avec le temps... Nous rejoignons la cabane-réfectoire ou les garçons nous attendent déjà.

Ils sont toujours plus rapides à se changer le matin. Je constate avec un sourire que Bir-Hakeim est paresseusement allongée dans un coin.

Mon sourire se fane pourtant sur mon visage lorsque Christian me tend avec une mine grave une enveloppe blanche scellée avec un cachet de cire rouge.

Moyen archaïque de communication. Mais vu la tête des garçons, je crois deviner que c'est plutôt des mauvaises nouvelles qui s'annoncent en perspective...

Je prends pourtant l'enveloppe d'une main ferme. Il ne me reste plus qu'à en découvrir le contenu.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant