Intemporel T1 & 2

•Edilyn• (Chapitre 44)

Nous nous regardons en silence. Chacun enfermé dans sa propre douleur. Mais je refuse de me laisser une nouvelle fois entraîner dans ce tourbillon de sentiments.

Je blinderai mon cœur, une nouvelle fois, comme je l'ai déjà fait. Je refuse que l'on sache ma faiblesse. Et le seul à la connaître, ici, c'est toi Gaëtan... Crains pour ta vie.

Le froid envahit de nouveau mon esprit, mes yeux s'éclaircissent, je respire un peu plus librement. Mais je déteste ce que je peux voir dans le regard de Gaëtan. De la pitié. Pas pour mon amour perdu d'avance mais pour la perte de mon humanité...

Mais je serais forte. Il reprend la parole.

-Edilyn, tu es un monstre. Qu'as-tu fait de Thaïs ?... J'avais des doutes, mais je n'en ai plus. Qu'as-tu fait ?

Je ferme un instant les yeux et revoie l'image de la jolie et ravissante jeune fille venue pour m'annoncer ses fiançailles avec Aevin. La jalousie qui m'avait envahie sur l'instant. Et qui m'habite toujours...

Je m'en rappelle de ça aussi. Elle refusait la demande en mariage d'Aevin car elle ne voulait pas être pour lui toute sa vie une charge. Elle n'avait pas fait d'étude... Mais l'année dernière, par un hasard comme il en existe peu, elle avait gagné la Loterie...

Et enfin réaliser deux rêves : avoir la garde de son petit frère et enfin accepter la demande d'Aevin.

Qu'ai je fait ? Je m'en rappelle aussi, hélas trop bien...

Mais Gaëtan en face de moi s'exaspère. Il veut des réponses.

-Edilyn... Pourquoi a-t-elle dû fuir dans les maquis ? Je suis certain que d'une façon ou d'une autre tu y est lié !... Réponds moi, je t'en supplie. Il faut que je sache...

Je ferme un instant les yeux. Le ton de mon interlocuteur passe en quelques secondes du plus complet abattement à la colère puis vice-versa.

-Très bien. Je te raconte tout et tu jures de ne rien dire à personne. À prendre ou à laisser.

Il me fixe, légèrement hésitant. A-t-il le droit de garder pour lui des informations dont dépendent le bonheur de deux autres personnes ? Thaïs et Aevin... Mais d'un autre côté, il faut qu'il sache... Il ferme devant moi un instant les yeux avant de dire d'une voix blanche :

-Vas-y, je t'écoute. Tu as ma parole que je ne dirais rien à personne.

Et je commence à raconter sans faux-semblants, sans rien cacher. Qu'est ce qui me pousse à fissurer ainsi ma carapace d'indifférence ? Peut-être le désir d'enfin confier à quelqu'un mes tourments...

***
1 an auparavant. Deux mois après la Loterie.

Je la vois arriver vers moi dans le grand salon. Je lui ai donné rendez-vous hier et elle vient vers moi, rayonnante, confiante. Thaïs...

En m'appercevant, elle s'exclame immédiatement.

-Edilyn ! Ça y est, la période des fiançailles est finie ! Nous nous marierons dans quelques jours avec Aevin... Si tu savais comme je n'arrive pas à croire à ce bonheur parfait...

Je reste parfaitement stoïque lorsqu'elle me sert dans ses bras. Son émotion est telle que je sens les larmes de joie rouler sur ses joues. Je retiens les miennes, amères. La jalousie m'aveugle, envahit tout.

Elle recule. Son sourire s'efface face à mon manque de réaction.

-Tu...tu n'es pas contente ?

-Thaïs, il va falloir faire un choix aujourd'hui...

Je m'éloigne, lui montrant ainsi la distance que je veux désormais mettre entre nous deux. Je suis la princesse. Elle est la fille qui n'a jamais pu faire d'études. Le visage de Thaïs se ferme. On a l'impression que je viens de lui asséner une gifle.

Lorsqu'elle prend la parole, sa voix est froide.

-Un choix ?

-Entre ton frère et Aevin.

-C'est ridicule. Nous en avons parlé et Aevin est parfaitement d'accord pour que nous le gardions avec nous, même une fois mariés... Ce ne sera pour lui qu'un enfant de plus. Nous serons heureux tout les trois. Pourquoi dis-tu une chose pareille ?

Je me retourne d'un bond et elle retient un mouvement instinctif de recul face à mon regard trop sombre.

-Ton frère n'est plus chez toi. Il a été enlevé.

-C'est... C'est ridicule. Impossible !...

Sa voix tremble. Elle perd toute résistance face à cette phrase que j'énonce trop calmement.

-Va chez toi et vérifie si tu veux... Tu n'en parles pas à Aevin. Tu acceptes mes conditions. Ou il meurt.

Elle pâlit soudainement un peu plus. Elle vient de comprendre. Ce n'est pas n'importe qui qui lui prend aujourd'hui son bonheur. C'est moi. Et je suis la princesse. J'ai tous les pouvoirs.

-C'est... Ce n'est pas possible... Tu n'aurais pas fait ça ? Pourquoi ? Pourquoi, Edilyn ?...

J'esquisse un froid sourire. Ce n'est même pas un mouvement joyeux du visage. Juste un étirement des lèvres.

-Ça me regarde. Tu as fait ton choix ?

Ma voix irréelle, déplacée, étrange, chez moi, sa meilleure amie, tout la convainc que je ne bluffe pas, que ce n'est pas une mauvaise blague. Elle redresse la tête et me fixe. Deux larmes amères roulent le long de ses joues.

Dans ses yeux posés sur moi, il y a un courage que je n'aurai jamais. Elle renonce à son amour. Thaïs, à cet unique instant, pourrait réussir à transformer mon âme. Mais quelques minutes passent et je parviens à me détacher de ce regard.

Elle prend la parole.

-J'ai choisis. Rend-moi mon frère. Je ferais ce que tu voudras.

Je m'approche d'elle avec un bracelet à la main. Elle tend le bras en silence. Je serre autour de son mince poignet le bandeau de métal.

-Maintenant, je saurais tous tes actes, toutes tes paroles. Transgresse mes ordres ou enlèves le bracelet et ton frère le paiera de sa vie. Ou pire. Tu as juste le droit de vérifier que ton frère a effectivement disparu...

Sa voix est automatique lorsqu'elle répond :

-Quels sont les ordres, princesse ?

-Va dans les maquis, je vais te donner un plan pour te diriger. Donne ton vrai nom à l'arrivée. Et surtout, en sortant de cette salle, ne va voir personne, n'explique pas ton départ. Surtout pas à Aevin. Je garde ton frère.

Elle se dirige vers la porte. Tout est dit, qu'y a-t-il à ajouter ? Elle se tourne une dernière fois vers moi en plongeant ses yeux magnifiques dans les miens.

-Pour la première fois depuis mon enfance, je pouvais enfin être heureuse. Mais en deux minutes, tu m'as tout pris. Il ne me reste plus rien. Je ne peux pas choisir Aevin en condamnant mon frère. Mais ce qui me fais le plus mal, c'est de savoir que c'est toi qui fais ça. Ma meilleure amie. Je t'aimais tant.