Gabriel (Chapitre 121)

817 157 22
                                    

Dissoudre le système monarchique.

Quelques mots... Si joliment tournés. On dirait une phrase diplomatique et non les paroles d'une mère à son fils. Je sens une colère et une amertume dont je ne soupçonnais même pas l'existence m'envahir rapidement. Je me dirige silencieusement vers mon fauteuil et me rassois, les mains crispées sur les accoudoirs.

-Vous ne pouvez pas faire ça...!

Ma mère me fixe des yeux, légèrement froide et détachée. Elle ne répond que par un mot.

-Pourquoi ?

Je sens l'horreur et l'appréhension me gagner. Je ne sais que répondre. J'ai l'impression dans cette pièce d'être le seul à saisir l'ampleur de ce que ces quelques mots provoquent en moi. Je croise alors le regard de ma mère.

Derrière la façade de dureté qu'elle s'est composée se cache une immense souffrance, inavouée. Je me décide à répondre.

-Vous ne pouvez pas faire ça... Vous voulez détruire mon monde ! Et le vôtre...

Je vois ma mère froncer les sourcils. Sa raison l'emporte déjà sur ses sentiments. Je n'imagine même pas le temps qu'il a dû lui falloir pour arriver à une aussi belle maîtrise de soi-même sur un sujet aussi douloureux.

-Je te rappelle que tu as été destitué, ce n'est donc plus "ton monde"...

Je crispe un peu plus mes doigts sur les accoudoirs. J'ai l'impression que des milliers de choses que je croyais immuables au cours du temps s'effondrent à l'intérieur de moi.

-Ce n'est pas ce que je veux dire. Je crois à la monarchie... A ce qu'elle représente... Avec ou sans moi.

Ma mère tente de sourire mais doit rapidement abandonner cette idée.

-Justement... Que représente t-elle aujourd'hui ? Crois tu que la justice et l'équité seront les valeurs d'Edilyn ?

Je n'ai rien à répondre. Et pourtant, je refuse d'envisager ne fus-ce qu'en image l'impossible.

-Vous ne pouvez pas faire ça...

Ma mère clôt le débat d'une parole et d'un geste.

-Nous le pouvons. Et nous allons le faire. Ne crois pas que ce soit facile, Gabriel. Mais jusqu'à preuve du contraire, c'est encore nous les dirigeants. Si tu as une autre solution à nous soumettre, n'hésite surtout pas, mais moi, je n'en vois aucune. Il est temps de se reconcentrer sur votre mission qui consiste à vous échapper d'ici. Quand tu seras en 2016, qu'est ce que cela fera alors qu'il y est ici une république ?

Je ne réponds rien et garde le silence, conscient d'être le centre de l'attention générale. Je ne veux pas laisser percer ma souffrance. Je ne veux pas, je ne peux pas laisser détruire ainsi ma vie et mes racines sans me battre. Mais je sais que je n'ai pas mon mot à dire. Et que de toute façon, je n'ai rien de raisonnable comme arguments à opposer...

Je ferme les yeux un dixième de seconde et me décide à répondre à ma mère.

-Vous avez raison... Puisque je serais en 2016, quelle importance qu'il y ait ou non une république ici...

Je sens les traits de mon visage se durcir un peu plus. Azylis me sort de mes pensées en intervenant dans la discussion.

-Récapitulons. Nous allons devoir attendre quelques jours que les troubles éclatent dans la ville, ce qui nous servira de diversion. De votre côté, même si cela ne nous concernera plus, vous arriverez à vaincre les révoltés grâce à votre projet d'une république... Mais ou allons nous attendre ? Certainement pas ici, ce serait trop dangereux... Chez Aevin ?

Je laisse la question flotter dans l'air sans tenter de chercher une réponse. Je me sens beaucoup trop amer au fond de moi. Si je ne crois plus en mon pays, que me reste-il ? Azylis... Une bouffée d'amour et de gratitude m'envahit tandis que cette idée s'impose à mon esprit tourmenté.

Ma mère prend alors la parole.

-Allez chez Aevin ne me semble pas envisageable. On vous a déjà beaucoup trop vu dans les parages. Gabriel, tu te souviens de la maison où nous avons passé pas mal de nos vacances ?

Je réponds d'une voix que j'espère être normale mais qui se révèle complètement atone.

-Oui. Celle qui se trouvait en banlieue ? Tu penses qu'on serait suffisamment cachés là-bas ?

Ma mère hoche la tête, un air pensif au visage.

-Oui, car toi, tu n'es plus recherché actuellement. La seule a être véritablement en danger ici, c'est Azylis. Et il ne faut surtout pas qu'elle se fasse prendre... De plus, là-bas, vous serez à un endroit plus que stratégique. A quelques kilomètres du centre de contrôle... C'est réellement le lieu idéal.

J'acquiesce silencieusement. Mahaut ou Lydie, je n'arrive plus à m'y retrouver, n'a plus repris la parole depuis le début de la conversation. Mais elle se lance alors avec la voix de Mahaut :

-Il y a quelque chose d'important que je dois vous dire...

C'est Azylis qui l'interroge.

-Qu'y a-t-il ?

-Eh bien... Je sais que fouiller dans les affaires d'autrui, c'est mal, mais lorsque j'étais dans l'appartement d'Edilyn je n'ai pas pu m'empêcher de visionner certains enregistrements. Elle est tellement sûre d'elle qu'elle ne les efface pas de ses mémoires et ne les protège pas par des codes...

Nous sommes suspendus à ses lèvres tandis que je tente de me composer un visage calme. Qu'allons-nous apprendre ? Au visage de Mahaut, je devine déjà que ce ne seront pas de bonnes nouvelles. Elle continue résolument, en plongeant ses yeux dans ceux d'Azylis.

-La plupart des messages étaient totalement incompréhensibles pour moi qui ne suis pas au courant de ses habitudes personnelles, mais j'en ai parfaitement compris un. Elle est régulièrement en contact avec un certain Raymond. C'est un tueur à gages, d'après ce que j'ai pu comprendre, et il est à ses ordres depuis pas mal de temps...

Ma mère pâlit un peu plus mais elle conserve un visage impénétrable. Pourtant, lorsque Mahaut s'interrompt, elle ne peut s'empêcher de la presser de continuer.

-Un tueur ? Tu as appris autre chose ?...

Mahaut baisse lentement les yeux vers le superbe tapis à nos pieds.

-Oui. Il est actuellement à la recherche d'Azylis. Pour te tuer, cela semble évident. Et je crois qu'il a retrouvé ta trace.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant