Gabriel (Chapitre 181)

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Edilyn est maintenant face à moi, et j'ai l'impression que nous sommes deux animaux lâchés dans une arène et prêts à s'entretuer.

Mais quelque chose au fond de moi se rappellera toujours de nos jeux d'enfant, des sourires échangés, de la joie que je ressentais quand je la voyais courir vers moi le matin dans le parc, les cheveux ébouriffés par le vent...

De toute évidence, vu le regard froid qu'elle fixe sur moi, elle est loin de laisser son esprit vagabonder à de semblables souvenirs.

Elle redresse alors la tête et ses yeux font lentement et posément le tour de la salle. Rien n'échappe à son contrôle. Les gardes aux armes braquées sur notre groupe, moi, Thaïs et sa panthère, Maly, à qui elle adresse un léger rictus, et le commandant à quelques pas de distance qui s'est approché.

Elle prend alors la parole avec une voix forte, pleine d'autorité, et qui résonne dans l'immensité de la salle.

-Bonjour à tous. J'ai cru comprendre que vous vous apprêtiez à obéir à... Mon frère.

Son ton est méprisant sur les derniers mots et mes ongles me pénètrent un peu plus la paume de mes mains jusqu'à ce que je sente une légère goutte de sang perler sur mon bras.

Dans les rangs des maquisards, l'agitation et le doute sont maintenant sur tous les visages. Elle est là : celle pour qui ils se sont désespérément battus. Celle qui leur donnait un but... Alors pourquoi cette soudaine hésitation, ce doute qui apparaît au fond de leurs yeux ?

Parce qu'ils n'ont jamais vraiment su où ils allaient. Mis au pieds des principes qu'ils scandaient quelques minutes plus tôt, les voilà qui hésitent, sans vraiment en avoir conscience.

L'homme qui avait pris l'initiative de m'obéir, le chef des soldats, s'avance d'un pas de la rangée où il se trouvait.

-Nous sommes fidèles à la monarchie. Mais vous en êtes la véritable représentante, princesse. Nous vous obéirons en toute lettre, nous sommes vos plus fidèles serviteurs.

Et il ploie, un genoux à terre. Les gardes le suive tous. Cet homme sans avenirs, perdu au milieu des camps et que personne n'avait jamais remarqué jusqu'ici, révèle maintenant son génie de meneur. Son autorité semble déjà presque aussi forte que celle du commandant lui-même...

Mais ses paroles sont un coup de poignard empoisonné dans mon cœur. J'ai l'impression de ne plus sentir mes poings tellement je les serre. Je prends alors d'une voix forte la parole.

-Alors Edy...

Ses yeux luisent d'une lueur sauvage en entendant son surnom. J'ébauche un fin sourire sarcastique avant de continuer.

-Ces hommes se sont battus pour toi ! N'est-il pas juste qu'ils sachent tes prochains ordres ? Jusqu'où tu désires les mener ?

Remous dans la salle. Tout le monde sent la tension monter d'un cran et je vois Yves, toujours aux côtés d'Edilyn, lancer un coup d'œil inquiet vers la porte.

De toute évidence, il n'est pas sous domination. Mais alors, de qui espère t-il l'arrivée prochaine ? Mon cœur tambourine un peu trop fort dans ma poitrine tandis que je me remets à espérer.

Tous les yeux sont fixés sur Edilyn. Elle adresse un splendide sourire au commandant qui fait un peu plus ressortir sa beauté mais qui est aussitôt annulé par la froideur de ses paroles.

-Commandant, les hommes que je vois aujourd'hui, sont-ils aussi fidèles à notre cause que vous le prétendiez ?

Elle s'approche de sa démarche souple vers l'homme qui continue de jeter des regards haineux à Thaïs. Il perd pourtant ses moyens devant Edilyn tandis que la salle entière suit le débat avec passion.

-Princesse ! Bien sûr qu'ils vous obéiront, ils iront avec vous jusqu'au bout du monde si vous le leur ordonnerez...

Elle s'arrête et jette un regard aux jeunes soldats qui s'agitent légèrement, mal à l'aise.

-Je n'ai pas l'intention d'en demander tant à des hommes si fidèles...

Soulagement dans la salle. Edilyn se retourne vers moi et m'adresse un nouveau froid sourire avant de continuer.

-J'ai gracié le prince Gabriel. Mais le revoilà se mêlant de la politique... On dirait que vous n'avez pas profité suffisamment de ma clémence...

Elle s'amuse alors à tourner autour de moi de quelques pas avant de soudain s'immobiliser et continuer.

-Cela appelle un jugement... Une peine. Une nouvelle punition. Jusqu'où narguerez vous notre justice prince ?

Ce vouvoiement soudain m'est insupportable. Je sais qu'elle cherche juste à me faire sortir de ma réserve. À me mettre hors de moi.

-Edy... Je ne me mêle pas de politique. Je fais une ballade de santé...

À moi de jouer avec ses nerfs. Il n'y a aucune raison qu'elle soit la seule à s'amuser ici.

Elle hausse les épaules avec un nouveau sourire et se tourne vers Yves en lui lançant sèchement quelques mots :

-Emmène Thaïs... Maintenant.

Les yeux soudains inexpressifs, la démarche presque mécanique, Yves acquiesce, de nouveau sous contrôle.

Thaïs se met alors à hurler de rage et de colère. Les soldats, témoins inutiles de la scène, regarde le drame miniature se jouer devant leurs yeux.

-Edy ! Nous étions amies, nous étions...

-Tu as bien fait d'employer le passé. Et cesse donc d'utiliser ce surnom ridicule. Pas de pitié pour ceux qui désirent renverser notre pays !

Elle a lancé ses mots plus forts, avant de soudain presque chuchoter afin que nous soyons les seuls à l'entendre.

-Tu resteras en vie tant que ton frère le sera... Va t-en maintenant, je ne veux pas te voir une minute de plus.

Qu'est ce qui brûle soudainement dans ses yeux ? On dirait de la jalousie à l'état pur combiné à la colère. Yves a déjà mis en joue Thaïs et l'oblige à avancer. Elle se retourne vers moi et je m'apprête à bondir, étonné moi-même de ma réaction digne d'un preux chevalier, lorsque Edilyn m'arrête d'un geste avant de murmurer :

-Va à son secours et Yves la tuera. C'est l'ordre que je viens de lui transmettre.

Thaïs s'éloigne vers la porte, entraînée par Yves et suivie de sa redoutable panthère qui rase les murs en poussant de temps en temps un dangereux feulement de rage.

Je lève la tête vers les soldats, toujours positionnés sur tout le pourtour de la salle. Que comprennent ils au juste de la situation ?

Que nous nous disputons. Mais il y a la princesse parfaite... Et le prince assassin.

On sait déjà à qui ils donneront raisons...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant