Il fait nuit. Pour une fois, j'ai la chance d'être profondément endormie au milieu de mes camarades. Mais évidemment, cela ne pouvait pas continuer longtemps. Une main me secoue rudement et je pousse un léger grondement de protestation. Comme on me secoue plus fort, je demande d'une voix sourde en ramenant sur moi la couverture :
-Mmm... 'est quel heure ?
-Deux heures du matin... Mais il faut absolument que je te parle, Thaïs...
-Laisse tomber Yves, à cette heure ci, moi, je dors et...
Je me redresse d'un bond, tout à coup très bien réveillée. Je dévisage Yves, assis à un mètre de moi, d'un air incrédule. Ma panthère doit être partie chasser pour ne pas m'avoir alertée de sa présence... Et tout le reste des habitants de la cabane dort profondément.
Je secoue la tête, tentant de remettre mes idées en place. C'est bien Yves... Le même garçon aux cheveux légèrement bouclés et au regard pétillant. Je remarque juste des cernes supplémentaires en dessous des yeux, signe de soucis ou de fatigue je ne sais exactement.
Mais la première chose que je ressens clairement, c'est une colère irraisonnée. Je me lève et l'entraîne vers la porte de la cabane ou nous nous asseyons tous les deux, les jambes dans le vide.
Je demande d'une voix froide :
-Voilà, maintenant je suis bien réveillée, qu'est ce que tu voulais me dire ?
Yves paraît légèrement pris au dépourvu, ce qui est bien une première depuis que je le connais. Il porte une combinaison de combat, impeccable, et un pistolet ultra perfectionné à la ceinture. Je résiste à l'envie de lui hurler dessus pour ne pas réveiller ceux qui ont la chance de dormir encore.
Devant son silence, je reprends pourtant, vindicative.
-Qu'est ce que tu croyais ? Que j'allais t'accueillir avec un grand sourire ? Qu'est ce que tu tenais tant à me dire ?
Il esquisse alors un pâle sourire et sa fatigue se marque un peu plus sur ses traits.
-Je ne sais pas à quoi je m'attendais... Je crois que j'avais juste mis de côté dans mon esprit l'opinion que vous deviez tous avoir maintenant de moi... Je suis venu pour t'expliquer, Thaïs.
-M'expliquer les raisons de ton ignoble comportement ? Ça m'intéresse assez... Vas-y, dépêche toi, que je puisse retourner dormir.
Yves ne relève pas et la curiosité m'envahit lentement. Je me détends subrepticement et hausse les épaules dans le noir, plus pour moi-même d'ailleurs que pour Yves. Celui-ci me répond d'une voix étrange, comme beaucoup trop contrôlée.
-Tu te rappelles que dans notre section, il n'y a pas de cas particuliers n'est ce pas ? Nous étions tous liés au maquis par un secret... Moi y compris.
Je tressaille dans le noir. J'ai toujours su qu'ils regroupaient les sections selon l'ordre d'arrivée : ou parce qu'on était forcé de venir pour une quelconque raison ou parce que l'on était réellement motivé pour changer le regime. Mais je me suis quelque part toujours dit au fond de moi même que ma théorie avait une faille : certains d'entre nous, Yves par exemple, je ne les voyais pas tenus par une quelconque menace.
De toute évidence, je me suis trompée. Si je ne suis pas prête à pardonner à Yves tout son comportement des dernières semaines, je suis en revanche capable de ressentir l'élan de pitié qui me traverse. Je sais ce que c'est que de subir un poids dont on a aucune envie. Je reprends donc la conversation, mais beaucoup plus doucement.
-Alors, vas-y, explique toi...
-C'est... C'est dur à dire. Je ne trouve plus mes mots...
Je souris dans le noir malgré moi.
-Le Yves que je connaissais n'avait jamais aucun problèmes pour parler...
-Dommage que j'ai changé alors...
Il sourit pourtant à son tour, et même si je sens qu'il est crispé, je remarque qu'il se détend très légèrement avant de poursuivre.
-Bref, ce n'est pas pour bavarder que je suis venu, mais bien pour te donner des explications. Je vais donc te raconter mon histoire... Dit comme ça, ça peut faire curieux, mais c'est malheureusement ma seule justification... Le jour de mes quatorze ans, j'ai reçus un petit aéronef mono-place en cadeau d'anniversaire. Ce petit engin m'a plût au delà de tout ce qu'on pouvait espérer... J'avais l'impression d'être tout à coup devenu indépendant ! Un seul défaut à ce tableau de rêve : mes parents, dont surtout mon père, très bricoleur, l'avait conçu de manière à ce qu'il ne dépasse pas les 90 km/h. Mais c'était réversible... J'ai donc retroussé mes manches et me suis mît sérieusement au bricolage...
Je ne comprend toujours pas ou Yves veut en venir mais ses explications sont juste passionnantes : je découvre une part de sa personnalité dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Je garde le silence pour l'inciter à continuer, ce qu'il ne tarde pas à faire, après avoir prit une profonde inspiration.
-J'ai réussis à manœuvrer suffisamment le boîtier des vitesses pour me laisser une marge de 200 km/h. Lorsque je suis monté sur mon engin ainsi traficoté, j'ignorais que je ne reviendrai à la maison plus jamais dans le même état... Mon père ne m'avait pas prévenu que la limite de vitesse n'était pas seulement une protection mais aussi une nécessité car l'aéronef n'était plus tout neuf... Les freins et la direction ont lâchés sur une des routes du centre. Accident. La conductrice et sa fille, dans l'autre engin, n'ont pas eu ma chance, elles sont mortes sur le coup... Par ma faute. Mais je n'en avais alors tragiquement pas conscience...
Il fait une très légère pause avant de continuer.
-Moi, j'ai tout de suite était emmené aux urgences. Là, sur une table d'opération, ils ont constatés les dégâts... Aveugle, les membres presque coupés... Certains organes défoncés, littéralement. Mes chances de survie étaient presque nulles. Le médecin pourtant présent à ce moment là a décidé que rien n'était perdu et qu'ils devaient ce battre. C'est probablement à cet homme que je dois d'être encore en vie... Alors, tu connais la procédure, ils m'ont greffé partout de l'électronique... Même mes yeux sont faux. Mon cœur est en verre.
Je sens malgré moi le froid de la nuit m'envahir. Brusquement, la main de Yves posée à côté de moi ma paraît étrange, presque surnaturelle. Bien sûr que je connais les procédures... Mais je ne connais personne de "réparé" à ce point-là.
Je me tourne vers Yves et lui demande d'une voix blanche :
-Et tu as survécu... Mais quel est le rapport avec ton comportement ?...
Il plonge dans mes yeux les siens qui me paraissent alors terriblement froids et lointain. Sa voix est atone lorsqu'il m'assène ses derniers mots.
-Ils n'ont pas que fait me sauver la vie... Ils m'ont aussi greffés un mécanisme de contrôle. Lorsqu'ils l'activent, j'obéis malgré moi aux ordres qui résonnent dans ma tête. Mes yeux perdent toute expression et je ressemble alors à une carcasse vide... C'est le seul signe visible de l'extérieur. Rend toi bien compte : lorsqu'ils prennent mon contrôle, ils voient même à travers moi !
Il se prend la tête dans les mains avant d'exploser d'un rire terrifiant, sans joie.
-Mais je reste conscient... Quand ils m'ont fait exécuter certains maquisards, dont Sylvia et Corysande que je connaissais bien, j'étais conscient ! Mais je ne pouvais rien faire...
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Intemporel T1 & 2
Science-FictionLorsque Gabriel disparaît de façon soudaine de sa vie, Azylis se lance à la recherche de réponses. Mais ce qu'elle va découvrir dépassera de beaucoup tout ce qu'elle avait pu imaginer... Et le temps, impitoyable, s'égrène à une vitesse délirante. Ca...