Intemporel T1 & 2

•Azylis• (Chapitre 61)

Je dévisage quelques secondes la reine avant de me tourner vers Mahaut en quête d'un quelconque secours.

Mais elle se contente d'hausser effrontément les épaules et d'ignorer royalement mon regard suppliant.

-Madame... Vous voulez peut être que j'aille vous chercher un verre d'eau ?...

C'est vraiment stupide mais c'est tout ce que je trouve d'un minimum intelligent à dire sur le moment.

Elle redresse la tête.

-Non, merci c'est inutile.

Elle se relève de son siège et s'approche lentement de la fenêtre. Elle ne me regarde plus, pourtant je pourrais jurer qu'elle regrette de s'être ainsi laissée aller.

La reine continue à mon attention en tournant vers moi la tête.

-Je suis vraiment désolée de ce petit éclat... C'est juste que... Quand je vous vois, j'ai terriblement mal au cœur.

Que répondre ?

-Mais pourquoi ?

-Parce que vous symbolisez à vous seule tout ce que j'aurai aimé avoir...

Se rend t-elle compte qu'elle parle avec de véritables énigmes ? Elle continue de parler et son discours me pénètre lentement le cœur.

-Je n'ai jamais parlé de ça à personne. Ça ne se fait pas... Mais je ne peux plus me taire devant vous... Vous êtes trop différente...

Combien de personnes m'ont parlé de cette fameuse différence ? Dans ces yeux aux accents brisés qui me fixent, je sais que c'est un précieux compliment.

-Vous pouvez me tutoyer déjà... Ensuite, en quoi suis-je tellement différente ?

Je parle à la reine en ayant moins peur. Ça rassure quelque part de découvrir les faiblesses de l'autre.

La reine m'adresse un lumineux sourire. Pourtant, ces paroles restent mélancoliques et tristes.

-Imagines-tu ce que c'est que d'apprendre que son fils est un assassin ? Qu'il va être condamné à la prison à vie ?...

Je ne veux pas imaginer une horreur pareille. Mais j'aimerai lui dire que quelque part, je peux comprendre sa hantise. Parce que j'aime Gabriel...

-Non, je ne peux pas imaginer une semblable situation... Mais de toute façon, vous aurez toujours Edilyn à vos côtés...

Je sais, c'est étrange d'essayer de consoler quelqu'un en lui disant que l'un de ses enfants rattrapera l'autre. Mais je ne suis pas une psychologue réputée moi...

-Edilyn ?... Crois-tu vraiment que je ne l'ai pas déjà perdue ?

Quelle conversation surréaliste. Pourquoi me pose t-elle cette question, à moi, alors que je suis justement tout à fait d'accord avec ce qu'elle vient de me dire ? Mais je ne peux pas l'avouer...

La reine se tourne brusquement vers Mahaut et semble se reprendre.

-C'est ce que tu as dit, Azylis, à propos de Mahaut, qui m'a tellement marqué. Je n'avais jamais entendu auparavant quelqu'un parler comme toi... En fait, ça m'a juste vaguement rappelé les débats qu'il y avait eu à leur création... Mais si vite oubliés !...

Elle se dirige vers la porte. Elle paraît déjà plus forte et m'adresse un sourire aimable.

-Je te fais confiance Azylis... Évite d'ébruiter cette conversation.

La porte claque. Je reste sous le choc. Je dois avoir une vision vraiment très personnelle des notions comme "vie privée" ou "à ne pas dire aux inconnus".

Mahaut ne me révèle pas ses pensées. Je l'interroge.

-Que penses tu de cette visite impromptue ?

-Beaucoup de surprise principalement... Le reste est confus dans mes pensées.

Je souris à cette phrase. Elle vient de résumer exactement et très fidèlement mon état d'âme.

J'ai au fond de moi l'impression que la reine était venue me dire quelque chose de très précis mais qu'elle n'a probablement pas osé me le révéler. Un mystère de plus...

Je commence à en avoir terriblement l'habitude.

J'entends alors le bruit des pas cadencés des gardes dans le couloir. Pas possible... Une troisième visite ? Mais je pensais qu'aujourd'hui était censé être pour moi une journée de repos !

Encore une fois, nous ne devons pas avoir les mêmes définitions dans notre dictionnaire.

Mahaut semble inquiète. J'avoue que tout ce va-et-vient me met moi aussi les nerfs à vif.

La porte de mon appartement s'ouvre et un garde en grand uniforme apparaît. Je reconnais sans difficulté le jeune homme qui m'avais avertie du piège à mon arrivée dans cette époque.

Même si lui ne peut pas me reconnaître, des sueurs froides me coulent le long du dos.

-Oui, bonjour, que voulez-vous ?

Le garde incline la tête d'un air très protocolaire.

-Nous voulions vous avertir que jusqu'à nouvel ordre, vous êtes consignée dans votre appartement ainsi que le robot dénommé Mahaut.

Je tressaille et mes mains se crispent malgré moi. La peur fait battre mon cœur un peu plus vite.

Cela pourrait-il avoir un quelconque rapport avec la visite de la reine ? Mais non, ça n'a pas de sens...

Alors quoi ? Et si c'était... Non, c'est impossible... Ils m'auraient retrouvé ? Ils sauraient que je suis le pilote de l'aéronef ?

-Pourquoi suis-je consignée ici ?...

-Pour des raisons que nous ne sommes pas autorisés à vous révéler. En tout cas, la porte sera fermée à clef et deux gardes veilleront à ce que vous ne sortiez pas. Vos fenêtres seront également surveillées et vous avez la totale interdiction d'aller sur le balcon.

J'ai l'impression qu'en entendant ce petit discours, ma bouche se dessèche petit à petit.

-C'est inique ! Dites moi au moins la raison de cet emprisonnement... Il doit bien y avoir une justice quelque part, non ?

Il acquiesce froidement.

-Je vous conseille fermement de ne pas faire de bêtises... Oui, il y a une justice et croyez-moi, vous ferez connaissance avec elle dans les plus brefs délais...

Je ne trouve rien à répondre. Mes pensées semblent s'emmêler les unes aux autres.

Il recule avec l'intention visible de sortir de la pièce.

Il revient tout à coup.

-Excusez moi, j'ai oublié de vous prévenir d'un dernier détail...

Après ce qui vient de me tomber dessus, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait m'arriver de pire.

-Qui a-t-il ?

Le jeune homme aux cheveux bruns lâche quelques mots du bout des lèvres.

-Si vous tentez de fuir, nous avons l'autorisation de faire usage de nos armes pour vous retenir.

Je jette un coup d'œil au revolver perfectionné accroché à sa ceinture. L'ambiance de la pièce me semble tout à coup assez peu sympathique, pire qu'il y a quelques instant.

Comme pour enfoncer le clou, le jeune garde poursuit :

-En clair, si vous prenez la fuite, vous risquez la mort. A vos risques et périls, comme on dit...