Thaïs (Chapitre 118)

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J'ai beau tenter désespérément de me concentrer sur ma tache actuelle, c'est à dire scier une planche de bois, je ne peux pas empêcher mes mains de trembler et mon anxiété me gagner toujours un peu plus.

Edilyn, grâce au bracelet espion, doit aujourd'hui savoir que je n'ai nullement l'intention de tuer qui que ce soit, ordre ou pas ordre. Je grimace et tente de me calmer.

Défaire la boule d'appréhension qui me serre le ventre se révèle presque impossible. Je tente de me détendre sans succès et abandonne rapidement. Anxiété ou pas, si je veux finir de scier cette fichue planche, j'ai intérêt à me concentrer un peu plus sur ma tache.

Nous sommes tous les cinq dans l'un de nos dortoirs, celui des garçons, et nous l'agrandissons en mettant des planches solides entre deux arbres. Ainsi, nous allons pouvoir prolonger la cabane. En espérant que nous n'aurons pas un maximum de filles car nous avons nettement plus avancé dans les travaux ici que là-bas.

Je secoue les épaules et desserre légèrement les dents. De toute manière, que je m'en veuille ou non, tout est fait. J'ai dit à haute voix mes plans de désertion et je ne peux pas effacer le passé.

Je repense tout à coup à Gabriel. Le prince. Il a bien réussi, lui, à retourner dans le passé... Sans doute. Mais il avait été formé pour cela.

Il existe à Astra une école très célèbre de recherche qui forme des jeunes pour les voyages interstellaires ou inter-époques, ou on apprend la survie, l'histoire, et surtout le pilotage des machines.

C'est quelque chose que j'aurai peut être aimé faire, après tout. Et puis, cerise sur le gâteau, lorsque l'on recevait ces certificats après avoir passé les épreuves, on devenait un pilote officiel. Avec sa propre machine à remonter le temps... De quoi faire rêver tous les enfants.

Je secoue la tête et finit rageusement de scier ma planche. Sarah s'aperçoit de ma colère mais se contente de lever les yeux au ciel tandis qu'Hedwige m'interroge carrément.

-Qu'est ce qui ne va pas ?

-A peu près tout je suppose...

Je grimace en devinant que mon peu d'enthousiasme à la renseigner la vexe. Mais vu mon état intérieur, inutile de tenter d'expliquer des pensées que je ne comprends pas moi-même à d'autres...

Christian et Guy sont en train de fixer les planches du sol. Parallèlement, Sarah et Hedwige fixent les "murs" qui ne sont en réalité qu'un autre assemblage informe de planches. Et moi, je scie activement la matière première...

Je grimace une nouvelle fois et me tourne vers les garçons.

-Vous savez quoi ? J'espère sincèrement pour vous qu'il ne pleuvra pas trop... Car vu nos murs et notre plancher, je doute fort de l'étanchéité du toit...

Tout le monde éclaté franchement de rire sauf Sarah qui se contente de sourire et moi qui ait le ventre trop noué pour pouvoir penser à autre chose.

Deux heures plus tard, les agrandissements du dortoir-cabane semblent à peu près finis. J'ignore cependant si tout cela tiendra très longtemps. Je l'espère car je doute que les garçons apprécient que tout craque au milieu de la nuit et qu'ils se trouvent plongés dans l'eau...

Après tout, ce serait peut être une bonne nouvelle. Je grimace une énième fois en espérant parvenir enfin à me concentrer sur des pensées plus joyeuses. Mais il n'y a absolument rien à faire, je me sens d'une humeur massacrante. Et malheureusement pour moi, je n'ai plus de bout de bois sous la main...

Je soupire bruyamment et tends tout à coup l'oreille. Trois coups de feu à la suite. Je n'ai pas besoin de concerter les autres du regard, nous savons tous ce que cela signifie. Nouveau rassemblement...

Que va t-on encore nous apprendre ? J'en ai plus qu'assez de ces fichus rassemblements soit disant exceptionnels et qui ont pourtant lieu deux fois par jour...

Tout le monde -enfin cinq personnes précisons-le- semble partager mon opinion et c'est avec force soupir que nous descendons de nos arbres pour rejoindre les barques. Je monte dans la première avec Christian, ce qui en soit doit être une véritable première, et Bir-Hakeim, qui semble tout à coup s'être décidée à se joindre à nous.

Lorsque nous rejoignons le lieu de rassemblement, nous gagnons le plus vite possible notre position habituelle. Alors que nous sommes tous en carré, l'atmosphère est pourtant très différente de d'habitude.

Une longue cohorte d'adolescents que nous ne connaissons pas s'avance vers nous. D'un geste, le commandant nous ordonne de nous écarter pour leur laisser la place d'entrer au centre de notre petite formation.

Je sens la curiosité dans tous les regards. Les membres des autres maquis... Hedwige, jusque là assez distraire et regardant vaguement le spectacle semble tout à coup se raidir. Bir-Hakeim, assis près de moi, pousse un léger grondement devant l'excitation intempestive de mon amie.

Je me tourne le plus discrètement possible vers elle et lui murmure :

-Qu'est ce qu'il y a ?...

-Thaïs... Regarde ! Le garçon aux cheveux bruns, là, au quatrième rang...

Je suis du regard la direction qu'elle me montre et aperçois presque immédiatement le garçon dont elle parle. Je ne lui trouve rien d'extraordinaire si ce n'est qu'il possède un certain charme indéniable et une haute taille. Je me retourne vers Hedwige pour m'interroger de nouveau mais n'en ai pas besoin car elle s'exclame :

-Thaïs ! C'est mon frère...

Je fronce les sourcils pour me retourner d'un bond dans la direction du garçon. Celui ci semble terriblement tendu et fouille des yeux la marée de visages qui l'entoure. Je devine sans peine qui il cherche. Sans doute sa sœur...

Je tente de me rappeler le peu de détail que je connais à son sujet. C'est lui que nous avions contacté à cause de Gabriel pour joindre Azylis... Son prénom me revient tout à coup en mémoire.

-C'est Gary c'est ça ?

Hedwige acquiesce, l'esprit à cent lieux de tout ce que je pourrai bien dire. Elle guette le moment où leurs regards se croiseront. Elle ne peut pourtant s'empêcher de se demander à voix haute :

-Quelle raison pouvait-il bien avoir de gagner les maquis ?

  Je soupire. J'ai parfois l'impression que les gens sont capables d'être bien aveugles.

Elle pâlit fortement et je comprends alors que j'ai sans doute dit à haute voix ce qu'elle refusait désespérément de s'avouer. Il semble qu'elle ait peur d'avoir gâché la vie de son frère...

Leurs regards se croisent alors.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant