Thaïs (Chapitre 173)

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J'appuie à fond sur le levier et lève la tête vers le ciel.

Ça y est, la trappe permettant de sortir par le toit est entièrement ouverte... Espérons que l'aéronef que je maniais déjà petite fille est encore en état de fonctionner...

J'appuie sur les touches manuelles car tout l'informatique du bord a grillé depuis longtemps. L'engin s'élève lentement, d'abord de quelques centimètres puis beaucoup plus vite. Je le dirige tant bien que mal et évite de peu de le fracasser contre les murs.

On sort ! Je découvre lentement le paysage vu de l'extérieur du toit de la tour et renonce difficilement à l'envie de pousser un grand cri d'allégresse.

Je n'ai jamais eu autant de chance de ma vie... Je me tourne avec un grand éclat de rire vers ma panthère, les griffes solidement plantées dans le cuir des fauteuils et les yeux cerclés par la peur.

De toute évidence, elle n'a pas tout à fait l'habitude de s'envoler... Un léger soubresaut agite l'appareil et je me dépêche d'attraper le levier pour le maintenir en position horizontale.

Nous avons maintenant atteint une vitesse normale et je survole Ivy en tentant de me diriger. C'est assez difficile... Pour la première fois de toute sa construction, notre splendide ville en hauteur... se retrouve à terre.

Je contemple les grattes-ciel en morceaux et nos arbres gigantesques en feu en ralentissant légèrement la vitesse de notre appareil. Je murmure d'une voix d'outre-tombe à la seule intention de ma panthère :

-Tu sais Bir-Hakeim... Je crois que je n'ai jamais été aussi triste de ma vie... Une ville détruite. C'est un spectacle qu'on ne devrait jamais ne fut-ce qu'imaginer.

J'appuie rageusement sur le levier de vitesse et l'aéronef fait un saut en avant. Je me rappelle très bien des conseils d'Yves. Trouver le centre des combats, dans une tour, au deux-centième étage...

Et le dépôt d'armes que tout le monde tente désespérément d'avoir coûte que coûte. Je lève alors les yeux et constate avec horreur que nous nous trouvons pile au niveau d'une gigantesque tour en train de lentement s'effondrer.

J'appuie sur tous les boutons sans faire le tri sous le poids de la panique et notre aéronef se renverse en position verticale en commençant à plonger vers le vide.

-Non, non, non... Ça ne va paaaaaaas là...!

Mon hurlement ne fait que paniquer un peu plus ma panthère qui enfonce encore plus profondément ses griffes dans le siège...

Je crois que je peux tout à fait la comprendre ! Le sol s'avance à une vitesse délirante et de gros blocs de pierre et de verre mêlés commencent à nous rejoindre.

Ma main tremblante attrape alors le dernier levier que je n'avais pas encore touché et je rétablie l'aéronef dans une position correcte avant de lancer la vitesse au maximum.

Nous nous échappons de justesse et j'entends alors à deux mètre derrière nous le grondement sourd de la tour entrant en contact avec le sol. Combien d'hommes sont restés piégés à l'intérieur ?

Personne, je l'espère sincèrement... Je remarque alors que je suis complètement déboussolée et que je me dirige droit vers le centre du tronc d'un arbre gigantesque.

Je dévie de la trajectoire juste à temps et remonte vers le ciel le plus haut possible. Je ne peux alors m'empêcher de pousser un profond soupir de soulagement.

La compagnie des nuages et bien plus reposante que celle des tours et des arbres sur le point de s'écrouler ou tout comme.

Je jette un coup d'œil à ma droite, au siège passager, et ne peux m'empêcher d'être extrêmement soulagée de voir que Bir-Hakeim a su bien s'accrocher. Elle est toujours là mais pousse un feulement dégouté dans ma direction.

-Oh, ça va ! Moi aussi j'aurai sincèrement préféré arrêter tout ça !

Mais ne t'inquiète pas, maintenant je gère à peu près la situation et il ne devrait à peu près plus rien nous arriver...

Enfin, pas tout de suite.
C'est juste ce moment précis que choisit un gigantesque dragon pour jaillir juste devant nous des nuages.

J'effectue une énième brusque embardée et réussit à stabiliser l'aéronef. Mon cœur bat pourtant à cent à l'heure au moins.

-Pas possible, mais qu'est-ce qui se passe encore ?... Et... Nooon !

Le dragon ne semble pas en avoir fini avec nous.

Personne n'est sur son dos pour le diriger et il reste à nos côtés, montant parfois brusquement devant nous comme pour nous ordonner de changer de direction. C'est ça, il essaie de nous dire quelque chose...

Je le détaille plus attentivement tout en tentant de conserver à l'aéronef un trajet à peu près droit. Je n'ai jamais vu ailleurs de dragon aussi grand et surtout d'une forme pareille.

Entièrement noir même si ses écailles reflètent quand même la lumière du soleil, le rendant presque éblouissant, à la tête expressive et aux griffes acérées à chacune de ses quatre pattes. Je sens l'inquiétude me serrer lentement le coeur.

Qu'est-ce qu'il cherche à nous dire ? Je mets enfin le doigt sur ce qui me dérange depuis le début. Il n'a pas de maître sur son dos...

C'est formellement interdit. Personne ne risquerait son dragon dehors sans maître pour le diriger car cela équivaudrait à la mort pratiquement certaine de l'animal.

L'évidence s'impose aussitôt à mon esprit. Le maître est quelque part en danger et il a envoyé son dragon à la recherche des secours...

Nous en l'occurrence. Enfin, Bir-Hakeim et moi. Je grimace. C'est le moment de faire un choix terrible.

Vérifier ce que souhaite l'animal ou continuer comme prévu vers le dépôt d'armes...

Je réalise tout à coup que je n'ai pas vraiment le choix. Le dragon ne me laissera pas continuer dans une direction autre que celle qu'il me désigne assez expressivement.

Je lève la tête et lâche quelques mots en direction du dragon, criant pour couvrir le vent et également pour évacuer ma colère d'être une fois de plus contrecarrée dans mes projets :

-Ok, c'est bon je te suis...!

J'ignore s'il a compris mais il fait rapidement demi-tour et je le suis après quelques ennuis avec les manettes qui répondent assez mal.

J'y arrive et je remarque au passage que le dragon m'entraîne rapidement vers le lieu que je viens de quitter.

La zone de combat où les tours sont en train de s'écrouler les unes après les autres...

Pourtant, lorsqu'il plonge sous les nuages, je n'hésite plus à le suivre. Je lui fais instinctivement confiance, persuadée qu'il y a quelqu'un à sauver derrière toute cette histoire.

Et cela suffit maintenant à me calmer. Effectivement. En apercevant la plus haute des tours, celle qui attire directement le regard, je pousse un cri d'effroi que seule ma panthère peut entendre.

Deux personnes descendent mètres par mètres le long de la parois vitrée... Et il leur en reste plus de mille à franchir. Ils n'y arriveront jamais.

Pas sans aide.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant