•Gabriel• (Chapitre 94)

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Ils m'ont demandé de me préparer. Peut-on vraiment un jour se préparer à mourir ? J'avais demandé à ma mère de sauver en priorité Azylis.

Elle m'a obéit. J'ignore toujours ce qu'elle est actuellement devenue. A-t-elle reçu mon mot et mes fleurs ? A-t-elle perdu la totalité de ses souvenirs ?

Ces quelques questions prennent tout à coup beaucoup d'importance dans mon esprit tourmenté.

Je regarde le vêtement qu'ils m'ont donné à enfiler. Des bottes de cuirs, un pantalon noire, une chemise impeccable. Pas de casque. Si je veux mourir vite, je n'aurai qu'à sauter de mon dragon la tête la première vers le sol...

Le vrai problème dans tout ça c'est que je n'ai jamais été un suicidaire. Je dirai même que j'ai un instinct de survie très développé par rapport à la moyenne.

Je grimace. Cette foi-ci, il n'est pas question que je me défile. Je ne peux pas laisser une nouvelle fois Marguerite payer à ma place.

J'ai presque peur de la revoir. Mon cœur tremble à cette idée. Sans elle, à quoi aurait vraiment ressemblé ma vie ?

J'aurais probablement été rattrapé dès le premier soir de ma fuite. Je n'aurais jamais connu Azylis ni toutes les folles aventures que je traverse en ce moment. Je dois mes quelques véritables années de bonheur à Marguerite.

***

Deux gardes me poussent dans la salle. Je lève la tête. Le dragon qu'on m'assigne est une belle bête aux écailles rougeoyantes.

Je regrette tout à coup de ne m'être jamais intéressé à ce sport avant. Je remarque tout à coup que dans la pièce, il n'y a pas que mon dragon.

Il y en a également un autre aux écailles bleutés. Mon cœur tambourine dans ma poitrine lorsque j'entends quelques cris dans l'autre couloir, a l'autre bout de la pièce.

Deux gardes apparaissent alors, encadrant une jolie jeune fille de dix sept ans peut être. Je tente de rassembler mes souvenirs. Marguerite n'a même peut être que seize ans.

Dans les capsules de survie, on ne grandit pas... Les gardes s'en vont tout en prenant soin de fermer à clef les issues.

Quand ce sera l'heure du début de ce combat entre deux graves condamnés de la justice, je sais que tout le mur du fond coulissera pour nous laisser entrer sur la piste.

Mais pour l'heure, ce ne sont pas ces quelques détails qui m'intéressent. Je fixe Marguerite des yeux. Elle est tout à fait semblable à mon souvenir. Ce sont des mots banals qui sortent de ma bouche.

-Tu n'as pas changé...

Elle redresse brutalement la tête et ses cheveux légèrement ébouriffés volent autour de son visage.

-Mais toi si.

Son ton est presque accusateur. Je la regarde plus attentivement. Il me semble que les traits de son visage se sont légèrement durcit.

-Pardonne moi si ma remarque t'a dérangée...

Elle passe une main lasse sur son front.

-Tu te rends compte ? Nous discutons de tout et de rien comme si rien n'avait changé... Je viens de me réveiller d'un sommeil que je croyais éternel, je réapprend tout juste ce que c'est que le goût de la vie et on m'annonce que je vais devoir mériter cette seconde chance...

J'ai la bouche sèche.

-En gagnant ce combat.

Elle hausse les épaules et répond avec une franchise qui me déconcerte.

-Ce combat ? En te tuant oui... Pourquoi se cacher la vérité ?

Je grimace.

-Je crois que parfois il vaut mieux une illusion réconfortante qu'une vérité qui blesse...

Elle reste songeuse un instant.

-Non, je ne pense pas. J'ai eu le temps de réfléchir vois-tu, et je n'ai jamais désiré ne pas connaître la vérité. Connaître son destin permet de mieux l'anticiper, d'avoir une emprise sur sa vie.

Les mots jaillissent de ma bouche sans que je prenne le temps de réfléchir.

-Mais quelle emprise avais-tu sur ta vie dans ta capsule de survie perdue au milieu de l'espace ?

Elle me dévisage plus attentivement.

-Probablement aucune.

Elle a raison, la situation est totalement surréaliste. Aucun de nous n'est capable d'agir normalement comme deux amis qui viennent de se retrouver après une longue séparation.

Nous savons bien que dans quelques minutes notre séparation sera éternelle... Toute la technologie de notre monde n'a jamais pu être suffisante pour passer la barrière de la mort.

-Tu te sens coupable ?

Sa franchise me désarçonne une fois de plus. Je réponds au tac au tac avec toute mon honnêteté possible.

-Oui.

Elle penche la tête sur le côté. Je connais cette mimique. Elle l'emploie chaque fois qu'elle est devant un problème compliqué à résoudre. Elle reprend la parole.

-Et tu as décidé de mourir et de ne pas te battre c'est ça ?

Je pince les lèvres.

-C'est exactement ça.

Elle éclate alors d'un rire étrange qui me remue pourtant au plus profond de moi même. Curieusement, il est tout sauf joyeux.

-Alors il va falloir te battre pour perdre, Gabriel.

-Je ne comprends pas ce que tu veux dire.

-C'est pourtant on ne peut plus clair. Moi aussi j'ai prévu de te laisser la vie sauve.

Je tressaille. La tentation d'accepter est si proche, si facile... Mais je ne pourrai jamais vivre avec un poids pareil sur la conscience.

-Je refuse Marguerite. C'est mon tour. Tu m'as déjà beaucoup trop aidé...

-Tu crois vraiment que la vie se fait chacun son tour comme dans un jeu bien orchestré ?

-Non. Mais une chose me paraît cependant évidente : après tout ce que tu as traversé par ma faute, ce n'est certainement pas ton jour pour mourir aujourd'hui.

Elle me fixe des yeux. Elle a en fait changé. Plus mure, plus sûre de ses principes, pleines de questions sans réponses... Mais dans tout ça, une question me turlupine.

-Marguerite, pourquoi veux tu risquer ta vie une nouvelle fois pour moi ? Pourquoi m'as tu sauvé la vie il y a maintenant déjà quelques années ?

Ses yeux sombres se fixent dans le vide. Elle est ailleurs. Mais moi, j'ai besoin de réponses. Avant que nous entrions sur la piste. Elle prend la parole et ses mots m'étonnent à un point que je ne croyais pas possible.

-Par respect de mes valeurs...

-Qu'est ce que cela veut dire ?

-J'ai toujours eu un profond respect pour la monarchie. J'ai toujours cru qu'on ne condamnait pas les princes. Je te connaissais, je savais que tu avais tué Sady. Tu as emporté avec ce geste tout ce en quoi je croyais. Mais je sais aussi que tu avais droit à une seconde chance. Et je n'ai jamais pu supporter la tricherie.

Ma bouche se dessèche.

-Quelle tricherie ?

-Tu ne savais pas ? C'est Edilyn qui t'a fait destituer et qui t'a enlevé ton titre d'héritier du trône.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant