Azylis (Chapitre 172)

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La lettre tremble légèrement dans ma main. Tugdual esquisse un désarmant sourire.

-S'il te plaît, ne la lit pas maintenant... Quand tu seras seule plutôt. Je n'ai pas envie de voir ta réaction, d'assumer ce que j'ai écris, même si cela peut paraître étrange.

J'acquiesce et glisse dans ma poche l'enveloppe de papier légèrement froissé. Tugdual la portait sur lui, dans une pochette imperméable. Je suppose qu'il voulait qu'on la trouve intacte sur... son cadavre.

Mes parents semblent profondément choqués, ce qu'on peut comprendre. C'est ma mère qui reprend rapidement la parole en se tournant vers son fils.

-Une lettre pour une disparue ? Mais rien pour nous ! Explique-toi, maintenant, tu en as l'occasion. En quelle langue faut-il te dire qu'on t'aime et que te disparition nous aurait tous détruits ?

Tugdual prend lentement son souffle avant de lever son regard, d'abord sur Meredith et moi, ensuite sur mon père et ma mère.

-Laissez-moi un peu de temps. Mais je vous le promet, je vous jure de ne jamais recommencer.

Tugdual tient toujours ses paroles. S'il peut aujourd'hui promettre une chose pareille, c'est que son suicide programmé avait effectivement quelque chose à voir avec moi. Mes doigts se crispent dans ma poche sur le papier de la lettre à cette simple idée.

Meredith détourne les yeux de notre frère. La colère brille dans son regard, même si je devine une certaine fragilité cachée derrière. Elle me demande d'une voix vive, sans me laisser le temps de réfléchir :

-Bien, si l'on admet ton histoire, ou est ton prince charmant actuellement ?

-Toujours en 2716. Nous avons rendez-vous dans une semaine.

Je sens toute ma famille se crisper. Les premières lueurs de l'aube commencent à apparaître derrière les carreaux de la fenêtre. Le chat est remonté sur son perchoir et je tente de m'accrocher aux détails pour éviter la réaction de ma famille. C'est mon père qui est le plus violent et le plus prompt à prendre la parole.

-Repartir ? Dans une semaine ? Tu te rends compte de ce que tu nous dit ?! De ce que tu nous demandes d'accepter ?

-Mais je pourrais revenir dans l'heure suivante... Vous n'attendrez pas longtemps.

Tugdual fronce une énième fois les sourcils et échange un coup d'œil légèrement complice avec Meredith, même si celle-ci semble encore sous le choc. Il prend la parole.

-Si tu peux revenir dans l'heure, pourquoi nous avoir fait attendre sept ans ?

Inconsciemment, sans même s'en rendre compte, ils sont lentement en train d'accepter les explications. Et c'est le moment le plus difficile. Celui de faire mon abracadabrante proposition. Je leur laisse le choix.

-Je peux encore revenir sept ans plus tôt... J'ai choisis de respecter votre douleur. Il me semblait... étrange et déplacé de l'effacer, d'écrire une nouvelle vie. Juste en revenant plus tôt. J'aurai effectivement disparu pendant plusieurs mois, mais pour vous je serais revenue deux jours plus tard. Je voudrais maintenant vous laisser le choix. Voulez-vous que je revienne des années auparavant vous expliquer, que j'efface votre douleur, puisque je ne trouve pas d'autre mot ?

Un léger silence plane quelques secondes dans la pièce. Le petit chat est revenue se frotter dans les jambes de Meredith et réclamer des caresses.

Ma mère prend lentement la parole, comme si elle mesurait soigneusement chacun de ses mots.

-Si tout cela est réel... Je préfère que tu n'effaces pas ce que nous avons vécu. Je n'aimerai pas avoir vécu une vie dont je ne garderai aucun souvenir...

Meredith croise les jambes et pose posément sa tête entre ses mains pour mieux me dévisager.

-C'est le paradoxe temporel non ? Tu pourrais revenir en arrière et tuer tes parents avant ta naissance. Mais dans ce cas-là, tu ne pourrais pas exister... C'est un peu ça ton choix non ?

Je tente de me concentrer pour trouver une réponse à peu près logique. C'est difficile car en plus des derniers jours qui se sont révélés particulièrement épuisants, une nuit blanche n'arrange rien du tout.

-Mmm... Aucune idée. Tout ce que je sais c'est que je peux choisir de vous avertir des années plus tôt de mon voyage ou pas...

Je me tourne à ces derniers mots plus particulièrement vers ma mère. Elle semble maintenant tout à fait prête à croire mon incroyable histoire... Elle m'impressionne, car j'ignore si j'en aurai été capable aussi vite dans le cas contraire.

Mon père secoue la tête et fronce les sourcils, exactement de la même façon que Tugdual, et je ne peux m'empêcher de penser que cela doit être un petit trait familial.

-Restons comme ça... Je ne veux pas que l'on touche à ce que je suis aujourd'hui, à mes souvenirs. Quelqu'un a-t-il une objection ?

Il dévisage mon frère et ma sœur avant de se tourner vers moi. J'acquiesce lentement jusqu'à ce que Meredith ne reprenne la parole.

-Azylis... Tu comptes repartir dans une semaine au milieu du futur ?

-C'est exactement ça...

Tugdual et Meredith, au moins réconciliés en apparence, échangent un regard complice avant de se tourner tous les deux vers moi, dans une attitude que je ne peux m'empêcher de trouver inquiétante. Qu'est-ce qu'ils vont me dire encore ? Un sourire m'échappe pourtant malgré moi, heureuse de retrouver cette belle intimité familiale. Jusqu'au moment ou Tugdual se décide à reprendre la parole.

-Alors, on a une demande à te faire. Meredith et moi...

Il jette un petit coup d'œil à nos parents et je le vois échanger une légère grimace avec notre père qui semble déjà avoir comprit ce qui va suivre avant de de nouveau se tourner vers moi.

-On voudrait venir avec toi.

-Quoi ? Pas question !

J'ai littéralement bondi de mon siège. Je ne vais quand même pas repartir dans le futur sauver quelqu'un qui m'est précieux pour en risquer deux autres ! Mais je sens que Tugdual et Meredith n'ont pas finis d'étaler leurs arguments. Et que nos parents n'interviendront pas en ma faveur, même si je devine la peur cachée de ma mère que nous disparaissions tous soudainement de sa vie.

Tugdual reprend d'une voix posée, une lueur de défi et d'amusement au fond des yeux.

-Après tout, quel est le problème ? Soit tu nous a mentit et tu as réussi à disparaître par je ne sais quel tour de passe-passe, et tu ne peux pas nous emmener dans le futur, auquel cas nous te surveillerons de très prêt pour t'empêcher de de nouveau disparaître dans une semaine... Ou bien...

-Ou bien ?

Meredith reprend lentement la parole sans me quitter des yeux.

-Où bien tu nous a caché quelque chose. Par exemple qu'il y a du danger là où tu vas aller. Et dans ce cas-là, on veut pouvoir t'aider. Ou te retenir ici. A prendre ou à laisser... Alors, quelle est ta réponse ?

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant