Intemporel T1 & 2

Chapitre 17 : Gabriel

Azylis est ici. Tout prêt de moi... Elle a rejoint Aevin. Par quel mystérieux hasard ?... Je retiens un geste instinctif de jalousie. Ils sont là-bas, tous les deux, heureux, et ils peuvent profiter tout à loisir de la vie... Allons, je suis ridicule.

Je suis maintenant debout dans ma cellule, adossé au mur. J'aimerai avoir un peu plus de lumière. Et un journal.

J'aimerai connaître un minimum l'actualité. Ça fait si longtemps que je suis coupé des nouvelles de mon pays... Ces jeunes qui rejoignent les maquis dont Aevin vient de me parler... Ça m'inquiète terriblement. Y a-t-il vraiment des troubles graves ?

Derrière la porte, j'entends le garde faire tomber quelque chose sur le sol. Je suis étonné. Car d'habitude, il est tout le temps impeccable, bien droit, immobile.

Je m'approche légèrement de la petite ouverture et jette un coup d'œil au couloir, par curiosité. Le garde ramasse l'écran qu'il vient de faire tomber.

Je le vois laisser échapper deux ou trois jurons. De toute évidence, son écran s'est au moins rayé dans sa chute contre le sol.

Que peut-il bien vouloir regarder ? J'ai soudain une illumination. Les résultats de la Loterie. Je n'ai pas de montre, pas d'appareils quelconque où voir l'heure, mais je suppose que le moment où ils affichent les résultats ne doit pas tarder à arriver.

Aevin n'aurait pas dû m'en parler. Car maintenant, un espoir dément me sert le cœur. Oh oui ! J'aimerai tant gagner... Dans combien de temps apparaîtront les résultats ? Je ferme doucement les yeux. J'y ai assisté tant de fois à cette solennelle annonce...

C'est au palais que ça se passe. Je peux voir d'ici la scène...

***

Edilyn entre d'un pas vif dans la pièce. Le salon de réception est aussitôt éclairé par la multitude des flashs des photographes. Elle esquisse un fin sourire plein de charme et réponds aux saluts par de légers hochements de tête.

Dans la salle, alors qu'elle s'assoit avec grâce face aux caméras dans un fauteuil richement décoré, les compliments fusent de partout.

Aujourd'hui, tout le monde est prêt à être plus que positif. Pour la terre entière, c'est un petit bout d'espoir pour chacun.

La porte de la grande salle s'ouvre de nouveau. Le roi et la reine entrent. Aussitôt, tout le monde se relève, Edilyn la première. Devant les caméras, la reine embrasse tendrement sa fille sur le front.

Et, comme chaque année, elle ne peut s'empêcher de penser amèrement que Gabriel n'est pas là pour partager ce jour de fête... Il lui manque.

Dans les yeux d'Edilyn, elle remarque le reproche. Sa fille a deviné ses pensées. Mais aujourd'hui, ce n'est pas un jour comme les autres. C'est la fête. Au moins pour les caméras.

Pourtant, pour Edilyn, c'est simplement un reproche de ne pas avoir chassé de son cœur ce fils indigne.

Elle a raison. Aujourd'hui, ce n'est pas un jour comme les autres. Gabriel est revenu. Il n'est qu'à quelques mètres, séparé des bras de sa mère par quelques murs, mais aussi par une puissante barrière mentale... Non, elle non plus ne risquera pas une nouvelle déception.

Le roi ne montre rien de ses pensées. Ses yeux brillent de joie et son sourire rayonne pour les visages qui l'entourent. Mais quand il s'asseoit, sa fille est la seule à remarquer le léger tremblement qui agite sa main.

Dans la salle, c'est maintenant le silence. Tout le petit rituel de chaque année avant que le résultat ne s'affiche sur le panneau géant derrière la famille royale.

Anydor, un conseiller de quarante-cinq ans, s'avance d'un pas lourd vers le centre de la petite assemblée.

Il s'incline une nouvelle fois. Les caméras grésillent. Elles se mettent en marche. A la même minute, toutes les caméras du monde démarrent dans chacun des pays existants. Partout, une scène similaire se produit.

Anydor prend la parole. Sa voix grave et mélodieuse apaise les âmes enfiévrées de l'assemblée.

-Bonjour à tous. Aujourd'hui, il est exactement onze heures, je le précise, et c'est le moment tant attendu où démarre une nouvelle version de la Loterie Mondiale. Ce tirage au sort, chaque année, fait rêver des dizaines de millions de personnes... Il apporte à un unique gagnant, la célébrité, l'argent, et un tour du monde chez les dirigeants ou les plus hautes personnalités connues...

Il fait une petite pause. Edilyn regarde d'un air distrait le bout de sa chaussure et joue un instant avec le bas de sa longue robe rouge cintrée. Cette cérémonie l'ennuie un peu plus chaque année.

Le pire, ça avait quand même été l'année dernière lorsqu'elle avait dû pendant une semaine subir la présence d'une fille sans intérêt, mais fascinée par la princesse, c'est à dire elle-même.

Anydor se tait, salue une nouvelle fois, puis regagne sa place. Sur l'écran, comme sur tous ceux de toute la population connectée, s'affiche le compte à rebours et la musique désormais célèbres.

Edilyn relève la tête. Lorsque le pays s'affiche, un frisson parcourt l'assistance.

Astra.

Il lui reste quelques secondes pour rêver. Que pourrait-elle bien demander comme faveur ? Elle a déjà tout... Les caméras ne la fixent pas et elle en profite pour laisser échapper un nouveau soupir.

Cérémonie populaire... Quel intérêt pour une fille de son rang ?

Elle détourne les yeux de l'écran. Le nom s'affiche. Et brusquement, elle retourne la tête. Et si...? Si Gabriel gagnait ? Non, ce n'est pas possible.

Elle ne le veut pas. Maintenant qu'elle s'est résolue, elle est décidée à aller jusqu'au bout. Gabriel ne doit plus lui faire d'ombre.

Il ne doit pas menacer son accès futur au pouvoir. Et, de toute façon, ce sont les juges qui le condamneront... Ses yeux se posent sur l'écran. Dans la salle, les applaudissements d'usage retentissent. Avec un léger sourire, Edilyn suit le mouvement et tape dans ses mains.

Le nom qu'elle a lu lui est totalement inconnu. Ce n'est pas celui de Gabriel Astra. Et c'était la dernière chance de son frère.

Anydor s'avance en grande cérémonie vers la famille royale. C'est le moment de faire un discours. Avec une immense surprise, Edilyn voit son père lui proposer d'y aller d'un mouvement de la main.

Sans attendre, elle remercie d'un hochement de tête, incapable de combattre le stress qui l'envahit tout à coup et la légère impatience.

Mais, une fois au centre de la salle, devant les caméras, elle retrouve tout son sang-froid.

-Bonjour à tous ! Je dois dire que je suis extrêmement émue de m'adresser à vous pour la toute première fois en ce jour si spécial... C'est un habitant d'Astra qui a gagné. Ou plutôt, une habitante, puisqu'il s'agit d'une dame de toute évidence. Avant qu'elle ne vienne réclamer ses gains, il vous reste encore quelques minutes ou quelques heures pour parier...

Une petite pause. Un petit coup d'œil à l'écran. Comment s'appelle la gagnante déjà ? Edilyn continue d'une voix sûre d'elle-même.

-Est-ce une enfant ? Une adolescente ? Une femme âgée ?... Nous pouvons tout supposer... Car, après tout, nous ne connaissons d'elle que son nom. Même si nous avons terriblement hâte de la découvrir plus en détails... Je n'ai plus grand chose à dire si ce n'est... Bravo à...

Personne n'entend sa voix et la fin du discours. Dans la salle, tout le monde applaudit. La reine jette un coup d'œil à l'écran.

Azylis d'Alcy.