Chapitre 10 : Azylis

1.3K 238 66
                                    

Prince... Non, ce n'est pas possible, j'ai raté quelque chose là... Devant moi, Aevin s'est remit à marcher, mais il va maintenant plus vite, et ses poings sont toujours contractés. Je voudrai bien éviter de l'interroger, mais j'ai besoin de réponses.

-Prince... D'ici ?
Cette fois-ci, je suis sur mes gardes. Lorsque Aevin s'arrête brusquement, je parviens à ne pas lui tomber dessus. Il se retourne lentement vers moi. Au fond de ses yeux danse une lueur étrange.

-Mais qui es-tu vraiment Azylis ?
Je tente de prendre une voix légèrement sarcastique, comme si marcher au milieu de cette forêt tropicale était parfaitement normal dans mon esprit.

-Tu l'as dit toi-même. Une fugueuse...
-Une fugueuse... Qui ne sais même pas que Gabriel est le prince d'Astra ? Qui n'a jamais entendu parler de son procès pourtant si médiatique ?

J'accuse le choc en silence. Je ne sais plus quoi répondre. Tout se bouscule en moi. Je voudrai hurler. Astra... Ce n'est pas un simple nom de famille... C'est aussi le nom de ce pays où j'ai atterris par un quelconque jeu du destin... Un procès ? Mais combien de secrets vais-je encore apprendre ?

Là, j'en ai nettement assez. Je veux des réponses, pas de nouvelles questions. Mais comment l'interroger plus en détails sur un procès dont logiquement j'aurai dû entendre parler ? Alors, ce sont d'autres mots qui sortent de ma bouche.

-Disons que l'actualité ça n'a jamais été mon truc... Pourquoi détestes-tu à ce point le...le prince ?

Un léger silence plane entre nous. Il ne baisse pas son regard. Pourtant, je le vois dans ses yeux, il ne veut pas me répondre. Alors, dans un geste que je ne me savais moi-même pas capable de faire, je pose ma main sur son épaule.

-C'est bon, garde-les tes secrets... Ce n'est pas ça qui m'importe.
C'est vrai. La tristesse incroyable qui se dégage des jolies prunelles sombres posées sur moi me donne envie de consoler, d'aider. Je ne peux plus demander des réponses à quelqu'un qui souffre. Chaque chose en son temps... Nous nous remettons à marcher dans un pesant silence. Jusqu'à ce qu'il lâche ce petit mot qui pourtant contient tout un monde :

-Merci...
Alors, l'âme plus légère tous les deux, le silence envahit nos cœurs en y apportant un calme bienvenu. La lisière de la forêt approche. Est-ce seulement une nouvelle route à traverser ?... Aevin s'arrête à la bordure des arbres. Lorsque je le rejoins, je retiens difficilement mon souffle.

C'est tellement beau, tellement fantastique, avec une touche de féerie qui semble planer un peu partout... Je voudrai rester là toute ma vie entière, rien que pour admirer le paysage...

-Alors, tu bouges ?
La voix d'Aevin m'arrache à ma contemplation. C'est une petite ville que je peux observer là sous mes yeux. Mais une ville bien différente des nôtres ! Les maisons sont coniques, ou d'autres formes tout aussi fantasques, et brillent de mille couleurs sous le soleil car elles sont entièrement vitrifiées.

Des routes circulent un peu partout, toujours de cette uniforme couleur blanche resplendissante, dans les méandres de la forêt, mais aussi en hauteur, se perdant au sommet des immeubles. Tout est incroyable. Il y a peu de circulation et de petits aéronefs de transports individuels voyagent ça et là... En volant ! A quoi servent les routes alors ? Mais je garde pour moi mes réflexions.

-Oui, oui, j'arrive, c'est là que tu habites ?
-Oui, c'est mon village...

Ah. C'est un village. Je retiens un juron qui allait m'échapper sous l'effet de la surprise. Mais à quoi ressemblent les villes alors ? Aevin sort sous mes yeux de sa poche un petit écran plat qui ressemble à n'importe quel téléphone un peu sophistiqué de mon époque.

Mais je suppose que celui-ci est capable de faire des miracles... J'avais raison. Deux minutes après avoir vu Aevin appuyer sur une touche de son écran tactile, un petit aéronef à deux places se stabilise devant nous, dans un léger nuage de poussière.

Il est arrivé par la droite, en suivant la route, planant à une vingtaine de centimètres au-dessus du sol. Je dirai qu'il ressemble à un engin de manège, en plus joli et plus sophistiqué, et sans toit. Très agréable aujourd'hui puisqu'il faut chaud mais je ne suis pas convaincue pour les jours de pluie. Interrompant mes réflexions, Aevin, légèrement impatienté, me demande :

-Alors, tu montes ?
-Oui, oui, c'est bon...
Avec une légère appréhension, j'enjambe le rebord de l'engin et m'assois dans le siège de droite. Deux minutes plus tard, Aevin est installé à côté de moi. Il pianote sur quelques touches de son écran avant de le ranger dans sa poche et nous démarrons sans un bruit sur la route.

Je m'aperçois rapidement que nous montons vers le haut des immeubles et je tente de calmer ma respiration, évitant de montrer mon vertige. J'ai depuis longtemps enlevé mon casque que je tiens à la main. Je ne voudrais surtout pas perdre mes chances de communication avec Ady. Mais, puisqu'il semble que nous ayons un peu de temps devant nous et qu'Aevin se soit calmé, autant lui demander à lui des réponses.

-Comme je te l'ai déjà dit, l'actualité, ce n'est pas trop mon truc... Alors, peux tu me parler un peu de la famille royale ?
Aevin tourne vers moi son regard ordinairement malicieux mais maintenant terriblement sérieux.

-Ne pas être au courant à ce point-là, c'est quand même un grave manque de culture... Pour te résumer, le roi et la reine actuelle ont deux enfants, le prince Gabriel et sa sœur Edilyn. Gabriel, en tant qu'ainé, était désigné pour être l'héritier du trône... Mais à son procès, à cause de ses méfaits, le juge l'a destitué de ses fonctions au profit de sa sœur. C'est aujourd'hui elle, l'héritière.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je ne regarde pas le fabuleux paysage défiler. Les maisons de verre, les tours, les arbres gigantesques, tout ça m'est bien égal. La seule chose qui compte, c'est ce que je vais apprendre maintenant.

-Mais pourquoi a-t-il eu un procès ? Qu'avait-il donc fait ?...

Les yeux d'Aevin se remettent à briller d'une lueur farouche. Il me répond après un léger silence.

-Parce que c'est un assassin. Et de la pire espèce.

C'est impossible ! Je ne peux pas aimer un tueur !... Je l'aurai su... Tout devient noir dans ma tête, mes pensées n'ont plus rien de cohérent, le vide m'engloutit.
Gabriel est un assassin.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant