•Edilyn• (Chapitre 128)

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Je sors de la chambre d'Eric et le laisse sous la bonne garde de l'infirmière. Je rejoins mon petit salon et me laisse tomber sur une chaise.

Je place ma tête entre mes mains, les coudes posés sur une table de bois vernie, et entreprends de tenter de renouer avec de vieux souvenirs.

L'idée d'avoir un jour été "effacée" me répugne. Mais je sais qu'avec beaucoup de bonne volonté et des objets ou des personnes auxquels rattacher des souvenirs, on peut combattre et briser l'effet du sérum,

Je me concentre donc, focalisant mes pensées sur le visage de l'infirmière que je viens d'apercevoir et qui ne cesse de me perturber.

Des images floues se forment alors dans ma tête.

***
Des années plus tôt, au Palais Royal d'Astra.

-Chut ! Alors, on a dit qu'on jouait à cache-cache, qu'est ce qu'on attend ?! On y va ?

-Calme toi Edy, je te rappelle qu'on a promis d'être sage...

Je regarde mon frère et éclate de rire devant l'étincelle malicieuse qui brille au fond de ses yeux. Aevin s'empresse d'intervenir.

-Eh !... tu as promis d'être sage... Pas nous !

Je regarde ceux qui sont pour moi les deux personnes les plus drôles au monde. Même si mes deux "grand frère" ne m'acceptent pas toujours dans leurs jeux, j'adore les suivre partout en riant... Et aujourd'hui est un jour merveilleux, puisqu'on s'est tous mis d'accord...

-Qui compte ?

Gabriel me prend dans ses bras et me fais tourner en l'air comme une toupie. J'eclate de rire comme à chaque fois. Lorsqu'il commence à me chatouiller, je continue de rire en criant :

-Arrête ! Arrête, d'accord, c'est moi qui compte !

Mais il me repose par terre et s'exclame, lui aussi avec un grand sourire :

-Mais non, ne t'inquiète pas, je compte, file te cacher !

J'acquiesce et n'attends pas plus longtemps pour foncer dans un des corridors du premier étage.

Nous n'avons qu'un an d'écart, bien sûr, mais cela fait tout une différence à cet âge là et Gabriel semble s'amuser à jouer le grand frère responsable.

Je traverse en courant les couloirs, à la recherche de n'importe quelle cachette possible. Aucune ne me paraît assez bien.

J'aperçois alors la "porte interdite". Nous savons tous que nous n'avons pas le droit d'aller dans cette partie du palais.

Je sais ce qu'il y a derrière : un véritable hôpital doté de tout l'équipement moderne possible. Mais, avec mon côté malin et intelligent de petite fille, je sais aussi autre chose. Il n'y a personne le soir après huit heure... Et on ne ferme pas à clef.

L'aventure est très tentante. Je m'approche à petit pas de la porte et me hausse sur la pointe des pieds pour atteindre la poignée. Il y a aussi un boîtier pour passer des cartes, mais je n'ai évidemment rien de tel sur moi.

J'entre doucement dans ce lieu interdit, certaine que jamais Gabriel ou Aevin ne penseront à venir me chercher ici. Je referme la porte et avance à petits pas dans l'appartement.

J'ai un peu peur, je ne suis venue qu'une fois ici, quand j'étais tombée du pommier ou j'avais tenté de grimper... Pour suivre Aevin. Et à ce moment là, il ne faisait pas nuit...

Je n'ose pas allumer l'électricité, et je ne sais de toute façon pas comment faire car ils ont dû ranger les télécommandes.

Plus du tout rassurée, j'avance vers une salle du fond et me cache derrière une petite commode.

Accroupie sur le sol glacé, j'observe le décors de mes yeux inquiets. Une plante verte, deux lits, des murs blanc, deux petites commodes, du matériel médical.

Je me sens tout à coup très fière et plus assurée en réalisant que les autres ne sont pas encore là. Ils ne m'ont pas trouvée...

Mais la porte de l'autre pièce s'ouvre à ce moment précis. Je m'apprête à sortir pour aller au devant d'eux lorsque je m'arrête net, gagnée par la frayeur.

Il faut dire que le décors lugubre et le manque de lumière ont réussi à fortement m'impressionner.

Je me replie un peu plus sur moi-même et rends une oreille attentive. C'est bien ce que je craignais... Des adultes.

Je songe avec une grimace a la dernière fois ou maman m'a trouvée dans une partie interdite du palais. Je n'ai pas eu de chocolat pendant trois semaines...

L'idée ne me plait pas et je tente de disparaître un peu plus dans ma cachette. J'entends pourtant distinctement les paroles de deux hommes qui discutent gravement. Il y a aussi un râle étrange, comme une respiration saccadée.

-Docteur, vous pouvez faire quelque chose ? S'il vous plait... Nous ferons tout ce que vous voudrez...

La réponse ne tarde pas à venir.

-J'ignore si l'on peut encore faire quelque chose pour votre fille... A vrai dire, je crois qu'elle est condamnée depuis longtemps mais que le moment est venu...

La première voix garde un instant le silence avant de chuchoter quelques mots :

-Non... Je vous en prie, il existe forcément...

-Non, il n'y a aucune solution. Enfin... Je peux l'ausculter si vous y tenez... Venez, passons dans la pièce d'a côté.

Je n'entends aucune réponse mais je sens mon cœur accélérer de vitesse. Que vont-ils dire s'ils me trouvent ici ?

La lumière s'allume ici aussi et les deux hommes s'approchent du premier lit, heureusement assez loin de moi. L'un d'eux y dépose une jeune fille dont je n'aperçoit d'elle que ses longs cheveux noirs qui tombent à terre.

C'est elle qui fait ce drôle de bruit de machine usée jusqu'à la corde en respirant...

Je ferme les yeux mais entends de nouveau la voix aux accents paniqués :

-Alors ? Docteur, je vous en supplie !...

L'homme plus âgé se contente de secouer la tête.

-Vous venez de le dire vous-même... Je suis médecin, pas chargé de faire des miracles... Or, le cas de votre fille relève malheureusement maintenant de ce domaine. Je ne peux plus rien pour elle.

Je n'entends plus rien, si ce n'est la respiration de la fille allongée. Je ne comprends pas tout mais je sais qu'ils sont encore là. Celui qui n'est pas docteur demande tout à coup :

-Vous savez... Vous m'aviez dit que vous faisiez des expériences...

-Oui.

-Vous m'aviez parlé des... Des sphère Acia...

-Oui. Vous voulez le tenter pour votre fille ?

Je n'entends plus que des sanglots, sans bien comprendre ce qui se passe. Et puis, j'entends un souffle unique, une réponse presque lâchée du bout des lèvres dans un frisson d'horreur :

-Oui. Si on ne peut pas sauver le corps de ma fille, sauvez au moins son âme...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant