•Thaïs• (Chapitre 111)

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Il fait nuit et tout le monde dort. Enfin, vu les ronflements d'Hedwige et de Sarah à mes côtés, je suppose qu'elles dorment.

Avec un long soupir, j'écarte le drap de toile grossière et me lève en prenant garde de ne pas réveiller les deux autres.

Je marche jusqu'à l'entrée de notre cabane et m'assois sur le rebord, les pieds dans le vide. Bir-Hakeim, jusque là immobile dans un angle, se lève également et marche vers moi de son pas incroyablement silencieux de félin.

Elle s'allonge près de moi et pose sa tête sur mes genoux. Sans vraiment réfléchir, l'esprit ailleurs, je me met mécaniquement à la caresser comme je commence à en prendre l'habitude.

Ça fait un petit moment que j'avais envie d'être seule avec moi-même pour réfléchir. Ce n'est pas si facile que ça malheureusement.

J'aime réfléchir la nuit. Ressasser mes journées, tenter de comprendre les autres. J'adore passer des heures cachée dans mes pensées qui tourbillonnent dans mon esprit à un rythme beaucoup trop rapide.

Ça m'empêche d'ailleurs toujours de m'endormir, ce qui fait qu'il me faut au minimum deux heures entre le moment où je m'allonge et celui où je m'endors. Quelle importance ?

Je crois qu'au fond de moi-même, je suis une grande rêveuse. Quoi que je fasse, systématiquement, j'ai toujours la tête dans les nuages... Je caresse un peu plus rapidement du bout des doigts les oreilles de Bir-Hakeim.

Encore une fois, quelle importance ? Je souris pour moi-même dans le noir. Chaque fois que je reste écartée des autres ne fus-ce que quelques minutes, j'ai l'impression de me déconnecter du monde qui m'entoure. C'est parfois assez déroutant...

Je baisse la tête et mes yeux rencontrent ceux de Bir-Hakeim, presque phosphorescents dans la nuit.

Qu'est ce que je pourrais imaginer ce soir comme belle histoire ? Je repense alors à tous ceux que j'ai quitté à cause d'Edilyn.

Enfin, admettons qu'ils n'étaient pas si nombreux que ça. Aevin et Eric. Mais qu'est ce que je les aime ces deux là !

Il m'a fallu beaucoup de temps pour parfaitement analyser ces sentiments. C'est un peu comme dans une amitié équilibrée... Mais elles sont rares.

Pour parfaitement aimer les autres, il faut chercher à les rendre heureux eux, et non à trouver notre propre bonheur. Ce n'est pas si facile à comprendre ni à mettre en pratique...

Il faut inverser la tendance, écouter au lieu de chercher à être écoutée... Quand on a compris ça, je crois qu'on a découvert le meilleur moyen d'être parfaitement heureux.

Bir-Hakeim pousse alors un petit ronronnement de gros chat un peu plus fort que les autres. Je souris dans le noir.

-Chut, ne réveille pas les autres, elles m'en voudraient je crois...

Mon chuchotement semble avoir l'effet escompté et ma panthère redevient complètement silencieuse.

Je souris une nouvelle fois pour moi-même. J'ai toujours aimé m'inventer des histoires. Généralement, elles m'occupaient l'esprit pendant plusieurs années avant que je ne passe à autre chose.

Je créais des milliers de personnages et tout un monde difficile à décrire. Le premier de mes récit dont je me souviens distinctement était une histoire de tigres et de souterrains. Le second, celui qui a duré le plus longtemps je crois, une histoire avec des chevaux sauvages vivant dans une île gigantesque... Je me rappelle des héros que j'avais imaginé et de tout le temps que j'ai perdu à rêvasser en ajoutant régulièrement de nouveaux détails.

Le dernier récit que j'ai imaginé était beaucoup moins inspiré de livres que j'aurais pu lire. A croire que j'avais un peu grandis. C'était l'histoire d'une ville séparée en deux...

Je souris calmement pour moi-même. Dans cette histoire, il y avait une panthère... C'est peut être la raison de la présence de celle-ci ici... Et de ma répulsion à l'idée de la tuer.

Je la caresse de nouveau doucement. Je m'amuse à ébouriffer son pelage tacheté. J'ai l'impression de me revoir, il n'y a pas si longtemps, quand je jouais avec les tapis à laisser avec mes doigts des traces sombres... Qu'il suffisait d'enlever en caressant les poils du tapis dans le bon sens.

Je tente de rassembler mes pensées. Combien de temps est ce que je viens de perdre sur mon sommeil ?

Je hausse une fois de plus les épaules avec désinvolture pour moi-même. Au pire, je serais un peu fatiguée demain...

Quelle est mon monde imaginaire aujourd'hui ? Cette pensée me travaille tout à coup. Car je connais la réponse.

Je n'en ai pas. Preuve de maturité ? Désir de grandir ? Ou tout simplement vide intérieur ?...

J'aurai tendance à pencher pour cette dernière solution mais j'ai une nette tendance à apprécier les histoires un peu trop dramatiques.

Néanmoins, cette idée me dérange. Je crois que j'ai une réponse plus précise à apporter mais je refuse de l'assumer.

Je secoue la tête, en colère contre moi-même, et tente de reprendre le fil de mes pensées en en écartant certaines.

Je murmure à l'intention de Bir-Hakeim :

-Je ne suis pas raisonnable, hein ?

Elle relève la tête et donne un léger coup de tête dans ma main pour m'inciter à reprendre mes caresses. Je souris dans le noir et hausse une fois de plus les épaules.

Je me remets à la caresser et fixe des yeux le ciel. L'univers, les étoiles... Un monde étrange.

Une question m'a toujours travaillée. Où se trouve la fin de notre univers ? Et qu'y a-t-il après ?

Je ne peux imaginer ni une fin, ni une infinie. Et cela m'étonne. Quelle est la réponse alors ?

Je secoue de nouveau la tête en riant silencieusement. On dirait bien que Sarah déteint beaucoup trop sur moi. Voilà que je commence à faire de la philosophie.

Je me relève doucement. Cela doit bien faire deux heures que je rêvasse ici. Je regagne doucement mon lit par terre et m'allonge le plus silencieusement possible.

Bir-Hakeim regagne son angle assez paresseusement et se rallonge en baillant d'une manière que je ne peux pas m'empêcher de trouver terriblement humaine.

Alors que je ferme doucement les yeux, je repense tout à coup à Sarah. Une sans-abri... Pas étonnant qu'elle sache se battre.

Un visage vient tout à coup une fois de plus hanter mes pensées et je m'endors, un léger sourire aux lèvres.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant