•Azylis• (Chapitre 64)

974 197 56
                                    

La porte se referme. J'entends le cliquetis des verrous que l'on tire. Il n'a fallu que quelques secondes pour que mon monde s'effondre.

Qu'est-ce-que je préfère ? Il me semble maintenant évident qu'ils ont fait le lien entre moi et le pilote de l'aéronef. Comment ont-ils su ?

Cela reste un véritable mystère. Mais ce n'est pas sur cela que mes pensées se concentrent.

L'allusion à la justice laisse entendre que je serais très bientôt jugée. Je peux tenter de fuir et sûrement mourir ou attendre la peine qui m'attend : l'effacement.

Je comprends soudainement mieux la peur de Mahaut. Nos souvenirs, notre identité...

Ce serait perdre Gabriel une nouvelle fois. Un instant, un très bref instant, je suis tentée par cette idée.

Tout oublier, repartir à zéros, ne plus penser à mes tourments...

Et puis je me reprends. Non, il n'en est pas question. J'aime trop de gens autour de moi pour accepter l'idée de disparaître.

Je vais tenter de fuir. Superbe idée, tout le monde applaudit. Mais comment faire ?

Je retiens un sourire. Dommage que Gabriel ne soit pas avec moi. Il a bien réussi à prendre la poudre d'escampette deux fois de suite...

Et que dit le célèbre proverbe ? Jamais deux sans trois... Oui, vraiment, dommage qu'il ne soit pas là...

Je regarde Mahaut et demande dans un murmure :

-Tu as une idée ?

Elle me regarde et prend un air abattu que je ne lui ai jamais vu.

-C'est fini Azylis... Jamais ils ne nous laisseront une chance de fuir.

Je me lève d'un bond et la secoue par les épaules.

-Tu ne peux pas te décourager aussi vite. Ce serait jouer leur jeu. Nous avons une chance. Il y en a toujours une...

Mahaut relève la tête et me fixe, sans réagir au fait que l'ai secouée comme un prunier.

-Une chance sur combien ?

-Je n'ai jamais été douée en mathématiques et je n'aime pas les statistiques... Aucune idée donc.

Ma sotte plaisanterie ne détend pas l'atmosphère. Mais qu'importe. Je détache mon regard de Mahaut pour me tourner vers les fenêtres.

Je m'approche lentement et tente d'ouvrir la porte vitrée qui mène au balcon.

La poignée refuse de tourner. Elle doit être commandée électriquement depuis l'extérieur. Inutile donc d'espérer ouvrir une fenêtre.

Je grimace amèrement. Et si Mahaut avait raison ? Et si cette chance que j'invoque n'existait pas ?

Alors je n'ai plus qu'à pleurer sur le sort qui m'attend... Je ne veux pas perdre mes souvenirs. C'est impossible.

Mes pensées reviennent malgré moi à la comparaison de deux époques. Celle ou je suis actuellement et celle d'où je viens.

Y a-t-il réellement eu une bonne évolution ? Je n'ai encore rien vu dans ce monde qui ne me donne envie d'y rester.

Mon dragon surgit brusquement de sous un fauteuil pour se poser sur moi. Il lit donc bien mes pensées... Même si nous n'arrivons pas encore à communiquer...

Ma main vient caresser ses ailes curieuses d'un noir de geai. Oui, il a raison, cette époque possède quand même quelques points positifs.

Mais on y est pas libre. Et les peines ne sont pas tout à fait ce que j'appellerai "des peines légères".

Je retourne vers mon fauteuil et m'y laisse tomber plutôt que je ne m'y assieds. Que faire ?

Pour la première fois depuis que je suis arrivée dans cette époque, je ressent exactement ce que je suis : une petite fille perdue dans un autre monde qui n'a personne à appeler au secours...

Je ramène mes genoux contre moi et y pose ma tête. Il faut que je réfléchisse sérieusement. Au moins une fois dans ma vie.

Il n'est pas question de rater le rendez-vous avec Gabriel. Je redresse brusquement la tête et me lève d'un bond, prête à en découdre avec le nouvel arrivant.

La porte de mon appartement est en effet en train de s'ouvrir silencieusement.

Je reste silencieuse et ne salue effrontément pas. J'en ai assez de leurs codes qui me sont de toute façon totalement inconnus.

Mais la curiosité réussit à calmer la colère qui montait en moi. Que peut bien me vouloir de nouveau la reine ?

Mahaut la regarde avec une colère au fond des yeux -la même que la mienne deux minutes plus tôt- qu'elle ne cherche pas à cacher.

Mais la reine ferme rapidement la porte avant de se rapprocher de nous. Mahaut attaque immédiatement.

-C'est à cause de vous que nous sommes prisonnières ici ?...

La reine hausse un sourcil.

-Non, et parles plus bas si tu ne veux pas que je m'en aille !

Cette fois-ci je calme Mahaut d'un regard et c'est moi qui prend la parole.

-Que venez vous faire ici ?

Mon ton est aimable car c'est malgré tout ma curiosité qui l'emporte. La reine s'assoit dans un siège et je fais de même.

Elle me fait signe de baisser la voix. Que craint-elle ? Je ne comprends pas son attitude.

-Dans le palais court partout le bruit que tu es le pilote de l'aéronef, Azylis... C'est vrai ?

Je la regarde en silence quelques secondes. Je ne peux pas lui faire confiance, je le sais. Pourtant, là, inexplicablement, je décide d'être honnête.

Comme quoi, il a toujours quelque part un ange gardien pour veiller sur nous et nous aider à faire les bons choix...

-Oui, ceux qui disent cela ont raison...

Les traits de la reine se crispent. J'y lis en même temps un curieux mélange d'espoir et de crainte.

-Alors tu connaissais mon fils ?...

-Nous étions très proches.

J'ai répondu d'un ton parfaitement neutre. Mais ma simple réponse la bouleverse.

-Était-il froid, distant, antipathique quand tu l'as connu ?

Drôle de question... Comment aurais-je pu être amie d'un garçon pareil ?

-Non, bien sûr que non...

-Alors, il a vraiment changé !

La joie dans sa voix me rend heureuse. J'aime répandre la bonheur autour de moi. Surtout quand c'est aussi facile...

Mais je me rembrunis soudain. Je viens de repenser à ma situation actuelle. Je décide à mon tour d'interroger la reine.

-Majesté, quand serais-je jugée ? M'enlèvera-t-on vraiment tous mes souvenirs ?

Ma hantise. Ne plus voir le sourire de mon frère le jour de son anniversaire quand il souffle les bougies, ne plus jamais me rappeler la joie de mes nombreux quotidiens...

Non, ce n'est pas possible.

-Demain. Ils t'effaceront demain...

Un frisson me parcourt. Je n'ai plus qu'une seule solution : me résigner.

La reine se tourne alors vers moi.

-Dans ce pays ce n'est plus vraiment moi qui dirige... Il y a le parlement et...ma fille. Mais je ne laisserai pas faire cette injustice.

Je relève la tête sans en croire mes oreilles. Avons-nous entendu la même chose Mahaut et moi ?

Devant son air soudain intéressé et les mains qu'elle crispe sur les bras de son fauteuil, oui, nous avons entendu la même chose.

La reine continue d'une voix calme de femme habituée à diriger.

-Alors, on l'organise ton évasion ?

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant