Eric... J'ai tellement peur... Que fait-il ici ?
Brusquement, le combat qui se déroule dans l'arène ne m'intéresse plus. Envolés, mes soucis pour Marguerite. Il n'y a désormais plus que ce petit garçon qui paraît endormi qui compte...
Le garde est reparti et mes parents se sont rassis dans leurs fauteuils. Ils ne comprennent pas la situation mais refusent de simplement me regarder.
Je sais pourtant que si je me tourne vers ma mère pour lui dire que cet enfant va mourir, elle m'aidera alors à le sauver.
Mais je veux d'abord comprendre la situation. J'allonge Eric sur deux chaises tout en songeant que c'est déjà un véritable miracle en soi qu'il soit arrivé jusqu'ici.
J'ai la gorge serrée en constatant à quel point il est maigre. De toute évidence, il s'est enfui de mon appartement pour venir me retrouver dans la précipitation.
Des fils pendent encore à ses bras et je pose une main hésitante sur son front. Il est brûlant. Paradoxalement, en même temps que cela m'inquiète, ça me rassure.
S'il a de la fièvre, c'est au moins qu'il est bien vivant.
Eric commence alors lentement à revenir à lui. Ses yeux s'ouvrent quelques secondes plus tard et je soupire intérieurement de soulagement. Il faudra que je pense à récompenser ce garde qui lui a permis d'arriver jusqu'à moi.
-Eric, ça va ? Tu es sûr ?
Il hoche lentement la tête. Ses yeux fiévreux me fixent. Je vois bien qu'il veut me parler.
Mais même si j'ai vraiment envie d'entendre ses explications, je m'y refuse. Ses efforts pour me transmettre ses pensées réduisent encore un peu plus le peu de force qui lui reste tout court.
Je pose un doigt sur sa bouche. Mais il secoue la tête dans une mimique si angoissée que je me décide à le laisser parler.
-Que veux-tu me dire ?
Je sens dans mon dos la curiosité de mes parents. Jamais je ne leur avais dit mon attachement à un enfant.
Je crispe mes lèvres. Je me fiche de leurs espoirs. A l'heure qu'il est, je parie qu'ils pensent tous les deux que je ne suis peut-être pas si cruelle que ça...
Bah, qu'ils regardent plutôt leur fils en train d'affronter celle qui lui a permis de s'enfuir, des années plus tôt...
Eric parvient à trouver au fond de lui suffisamment de force pour prendre la parole.
-Edy... Je suis venu parce que...
-Parce que ?...
Je l'encourage doucement à parler. Je sais maintenant que c'est de toute évidence la meilleure façon de l'aider. Car il a l'air d'avoir quelque chose de gros sur le cœur...
J'ai un peu peur de ce qu'il veut me dire mais je suis prête à l'entendre si cela peut le soulager. Il reprend lentement.
-Elle m'a dit...
Je fronce les sourcils. Cette fois-ci je suis vraiment inquiète. Qui "elle" ? Je le laisse pourtant continuer sans l'interrompre.
-Elle a dit que... Que tu allais tuer ton frère et une autre fille ! Edy, c'est vrai ?
Je ferme les yeux. Je vais détruire celle qui lui a dit ça... Je vais... Mais que puis-je répondre ? Je sens dans mon dos mes parents qui guettent ma réponse.
-Celle qui t'a dit ça n'a pas dû tout comprendre et...
Mon regard glisse malgré moi vers les deux cavaliers sur les dragons. Ils ne resteront pas éternellement en selle. Dans quelques fatales secondes, il y en aura bien un qui finira par tomber...
Eric surprend mon hésitation soudaine. C'est d'une voix étonnamment claire qu'il reprend.
-Si, elle avait raison. Il est bien là le combat de dragon... Edilyn, arrête-le s'il te plait. Maintenant.
Je relève la tête sans oser le regarder. Je ne peux pas ruiner tant d'efforts pour en arriver là... Pourtant, lorsque Eric reprend la parole, je sens la panique me saisir.
-Si tu les laisses mourir Edy, alors laisse-moi mourir aussi. Ne me soigne plus. De toute façon, je ne me laisserais plus faire...
J'ai l'impression d'être une mère devant un fils capricieux. Sauf qu'Eric n'a rien de l'enfant capricieux. Et que c'est l'heure des choix.
Je sais qu'aujourd'hui, si je ne mets pas fin au combat de dragons, Eric se laissera mourir. Il est ma seule véritable raison d'aimer la vie.
Je redresse la tête et croise le regard de ma mère. Je me relève lentement avant de lâcher en regardant Eric :
-D'accord. J'arrête ça.
Il n'y a rien d'autre à dire. Vous ne pouvez pas expliquer à un enfant droit et honnête que vous étiez en train de jouer avec deux vies. Je sais qu'il me fixe sans me voir véritablement tandis que je m'approche du micro.
Ma mère a reculé pour me laisser passer. Mon père a le regard dans le vague. Mais je crois que s'il était seul, il se laisserait aller à pleurer pour la première fois de sa vie sans doute.
Lorsque je m'approche du micro, le silence se fait dans le stade. Seuls les deux dragons continuent de tourner en cercle. Mais leurs cavaliers attendent mes paroles. Je sens l'appréhension de tous.
Je me tourne de manière à avoir le regard fixé dans celui d'Eric.
-Habitants d'Astra ! Aujourd'hui, nous avons vu un certain courage se mettre en œuvre. Les deux combattants, votre prince Gabriel ainsi que Marguerite Savigny ont tous deux refusé de sauver leur vie au prix de celle de leur adversaire...
Le silence se fait. Personne n'a l'habitude de m'entendre parler ainsi. Même moi, il me semble que je suis comme une étrangère à mon propre esprit.
-C'est pourquoi, parce que le courage est une véritable preuve de noblesse de cœur, nous avons décidé à l'unanimité de gracier les deux condamnés...
Je croise les yeux d'Eric. Il est rayonnant. Il sourit comme je ne l'ai jamais vu sourire. Moi, chaque mot que je dis m'arrache les lèvres.
Je grimace. Je suis en train de saccager une année d'efforts pour évincer Gabriel... Misère de malheur, je vais devoir tout recommencer...
-J'ordonne donc la désactivation du sol électrifié et la fin du combat. Longue vie aux deux graciés...
Et c'est le délire. La foule est en liesse. Mais ce n'est pas le prénom de Gabriel ou de Marguerite qu'elle hurle.
Pour la première fois depuis des années, c'est le mien.
La foule me porte en triomphe.
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Intemporel T1 & 2
Ciencia FicciónLorsque Gabriel disparaît de façon soudaine de sa vie, Azylis se lance à la recherche de réponses. Mais ce qu'elle va découvrir dépassera de beaucoup tout ce qu'elle avait pu imaginer... Et le temps, impitoyable, s'égrène à une vitesse délirante. Ca...