Intemporel T1 & 2

Thaïs (Chapitre 141)

J'ai les mains qui tremblent malgré moi. Je suis toujours assise dans la cabane, il fait nuit, et Yves me regarde maintenant, guettant ma réaction.

Je n'ose pas le regarder. Trop de questions se bousculent en moi. Ainsi, il peut être contrôlé à distance ? Et brusquement, comme en manière de protection, je décide de l'interroger plutôt que de m'appesantir sur mes propres pensées.

-Et, Yves, pourquoi es-tu venu me raconter ça ?

Il hausse les épaules et je le voix balancer d'avant en arrière ses jambes dans le vide. Puis il se tourne vers moi, souriant malgré le côté dramatique indéniable de la situation.

-Parce que je n'en pouvais plus, il fallait que je parle à quelqu'un... De tous les gens que j'apprécie ici, tu es la plus digne de confiance... Et je sais que tu pourras m'aider. Que ferais tu à ma place ?

Je fronce les sourcils et décide de réfléchir quelques secondes. Si tout ce qu'il vient de me raconter est effectivement vrai, alors je peux entièrement le pardonner... Et donc essayer de l'aider. Je me tourne carrément vers lui.

-Je suis bien contente que tu sois venu me voir. Ton attitude incompréhensible des derniers jours m'avais mise bien en colère, je dois te l'avouer... Mais du coup, je suis heureuse de pouvoir te pardonner. Je détestais l'idée de perdre un ami... Mais avant de te répondre, j'ai une autre question. Pourquoi n'ont-ils pris ton contrôle que maintenant ?

Il sourit dans le noir de nouveau, et je retrouve celui que j'ai toujours connu : quelqu'un d'éternellement de bonne humeur.

-Je n'ai aucune certitude mais une petite théorie personnelle sur le sujet... A mon avis, ils n'avaient pas besoin de moi avant... Mais maintenant qu'ils s'apprêtent à lancer une opération de grande envergure, ils ont besoin de chefs fiables... Et sans ce rôle, qui de meilleur que quelqu'un qu'on peut téléguider à distance sans que les autres sans aperçoivent ? C'est aussi pour ça que je suis venu te parler. Méfiez vous tous de moi, ne m'approchez pas. Même si je semble normal, je peux tout à coup être utilisé...

Je reste un instant songeuse. Ses mots me frappent de plein fouet tant ils me paraissent terrible. Je me décide à me secouer un peu.

-Bien, merci de l'avertissement... Du coup, je suppose que tu n'avais pas le droit de venir me voir ?

-Non, effectivement. Thaïs, le temps presse, et j'ai absolument besoin de conseils. Tout seul, je me contenterais juste d'essayer de survivre. Mais je veux ton avis... Si tu penses que je suis un danger réel et que je devrais...

-Non, ne fait surtout pas ce genre de bêtises !

-Quelle bêtise ?

-Disons essayer de chercher de mettre un terme à ta vie...

-Ah, je n'en avais pas envie mais je voulais te l'entendre dire ! Parce que je ne suis pas plus courageux que cela, moi... Mais j'ai quand même une certaine envie d'éviter de tuer d'autres personnes et...

-Et...

-Thaïs, attention, ils...

Je recule brutalement. Les yeux de Yves sont en train de redevenir atones, vides de toute expression. Maintenant qu'il m'a avertie, une panique étrange se repend dans mes veines. Ses yeux me fixent et je tente de reculer de nouveau, sans succès. La main gauche de Yves emprisonne d'une poigne de fer mon bras.

Sa voix est étrange, hachée lorsqu'il prend la parole.

-Mademoiselle Thaïs... Quelle bonne surprise...

Je retrouve un semblant de courage pour lancer quelques mots, les joues en feu sous l'effet de la colère :

-Qui êtes vous pour manier ainsi les hommes et détruire leurs vies ?

-Le commandant. Et je ne vous ai absolument pas oublié, petite peste. A bientôt...

Yves exécuté un petit signe de la main puis se lève mécaniquement. Ils descend l'échelle à pas lents, bien loin de son adresse et de son agilité habituelle. Sous le choc, je penche la tête pour le voir grimper en bas dans une barque et s'éloigner à coups de rames contre l'eau marécageuse.

Je murmure pour moi-même.

-Promis Yves, je vais faire quelque chose... Je ne sais pas encore quoi exactement mais je le ferai, tu peux compter sur moi...

Je reste encore quelques minutes immobile, toujours sous le choc. Ils ne m'a curieusement pas fallu trop de temps pour admettre ce qu'il vient de me révéler. Il y a quelques années, un problème de très grande ampleur de ce genre avait eu lieu dans les pays relativement pauvres. La plupart des habitants possédaient une puce de contrôle.

Je ne me souviens plus vraiment des journaux que j'avais lu naguère... Je sais que ces puces étaient incorporées généralement pendant une opération. Elles pouvaient se trouver partout dans le corps du patient mais généralement là où il avait été opéré...

Pour Yves, cela devient carrément plus compliqué... Son opération a été générale. Peu importe, je trouverais le moyen de l'aider. Je ne supporte pas l'idée de le laisser seul avec sa détresse. Remarque, il a l'air de subir ça plutôt bien... Je pense qu'il est au courant de l'existence de cette puce depuis très longtemps... Peut être même depuis son réveil de l'opération.

Il doit bien être trois heures du matin maintenant... La fatigue m'empêche d'aligner plus de deux pensées cohérentes. Je me dirige à tâtons vers l'endroit où je dors et m'allonge le plus doucement possible sur le sol. Tout le monde â l'air profondément endormi... Je me tourne alors sur ma gauche, regardant l'unique personne du bout de rangée.

Je retiens un cri de surprise. Deux yeux brillent dans l'obscurité. Allongée sur le sol, je retiens un juron. D'abord Parce que Sarah m'a surprise, ensuite parce qu'elle ne dort pas.

Je chuchote quelques mots rapidement :

-Tu as entendu toute notre conversation ?

Elle hoche lentement la tête avant de répondre.

-Oui, et je dois dire que c'était plutôt intéressant... Bonne nuit.

Et sans attendre de réponse de ma part, elle se retourne ostensiblement et tire un peu plus la couverture vers elle. Cinéma ou vérité, je ne saurai le dire, j'entends quelques minutes plus tard une respiration régulière s'élever dans le noir et qui laisse supposer qu'elle s'est rendormie.

Je soupire, un peu perdue, avant de lentement reposer la tête contre le sol.

Décidément, les nuits sont agitées par ici...