Chapitre 31 : Gabriel

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Je n'ai jamais vu un camp aussi étrange de ma vie. Quand je prononce le mot "camp", je m'attends à découvrir des tentes sur un grand terrain...

Mais ici, c'est très différent. En fait, c'est un immense ensemble de cabanes perchées dans une multitude d'arbres à différentes hauteurs.

L'eau est très profonde, ce qui représente une petite protection puisqu'il faut forcément un bateau pour parvenir jusqu'ici...

Le garçon qui m'avait répondu toute a l'heure se tourne une nouvelle fois vers moi.

-Bon, toi, le nouveau, on va te laisser au quartier général. A toi de te débrouiller pour te faire accepter... Bon courage.

Il n'a pas l'air de se préoccuper beaucoup de mon sort, ce qui m'est au fond complètement égal. Il dirige notre barque vers un arbre d'une taille plus que respectable.

Un petit ponton permet d'arrimer les barques. Je ne peux pas m'empêcher d'avoir une petite pensée pour tous les moments ou j'ai rêvé de parvenir à construire une cabane de ce genre en jouant dans la rivière près de chez nous...

Je descend de la barque et j'ai à peine le temps de remercier qu'ils font déjà demi-tour. Au fond, si je n'avais pas peur d'être reconnu et repris, je pense que je profiterai beaucoup de ce drôle de moment.

Car la curiosité me dévore. Qui est le commandant de ce fichu camp ? Et puis, quelle est l'organisation générale ?

J'esquisse un sourire en analysant mes propres pensées. Je suis en train de vouloir chercher leurs faiblesses pour ensuite mieux pouvoir les démonter... Je contemple pensivement le premier barreau de l'échelle de corde avant de commencer mon ascension. J'ai intérêt de changer rapidement de point de vue si je veux être accepté ici...

J'arrive enfin en haut parce que leur échelle fait quand même plusieurs mètres de hauteur... Je m'assois sur le rebord de bois et souffle quelques secondes.

D'ici le paysage est assez joli et étonnant. Je suis au niveau de beaucoup de cabanes du même genre. J'entends tout à coup une voix un peu sèche qui m'interpelle.

-Tu comptes rester longtemps, comme ça, immobile ?...

Je me retourne brusquement, légèrement exaspéré. Je n'ai que quelques secondes pour admirer le petit intérieur. Du parquet bien ciré, une ouverture, là où je suis assis, un bureau, un siège, un toit plat assez bas, deux fenêtres, une à gauche une à droite.

Je me relève en tentant de ne pas m'attarder à ma tenue couverte de boue et de vase. L'homme se tient debout devant moi à deux mètres, les mains sur les hanches, l'air pas commode.

-Non, non... Je venais parce que l'on m'a débarqué ici... On m'a dit que c'était un peu le quartier général.

Je crois que mon ton légèrement ironique sur la dernière phrase ne lui a pas vraiment plût.

-Dis-moi, tu viens réclamer une place dans nos rangs avec cette attitude ? Les fortes têtes dans ton genre, je les laisse croupir dans la forêt...

Je grimace. Cette idée ne me plait pas beaucoup. Je garde un silence prudent face à ces remontrances. Devant mon attitude plus obéissante, l'homme se calme sans pour autant quitter son air sévère.

Il recule et va s'installer derrière son bureau. Je me dirige vers la chaise avec la nette envie de m'assoir. Mais il m'en empêche d'un geste.

-Ici, ce n'est pas un palais... Ne fais pas ta chochotte, tu peux bien rester un peu debout... Donc, tu veux rentrer dans nos rangs ? Tes motivations ?

Je déteste la façon dont il me parle. Je baisse la tête pour éviter de lui montrer mon regard furieux.

-Heu... Disons que j'étais pour la fuite, mais que rester seul dans la forêt ce n'était pas vraiment mon idée de base...

Je souris sur les derniers mots et cela s'entend dans mes paroles. L'autre a sortit un registre ou il écrit quelques phrases. Il relève la tête, excédé.

-Tu recommences à faire de l'humour ?

-Heu... Non.

-Bien. Nom/âge/date de naissance. Tu es libre de t'inventer une identité mais dépêche-toi.

Je réprime un mouvement de surprise. Eh bien, lui au moins, il n'y va pas par quatre chemins... Évidemment, tous les jeunes qui se présentent fuient quand même le service militaire et sont recherchés alors...

Mon prénom est courant, je n'ai pas besoin de le changer. En revanche, mon nom de famille ! On va peut être éviter...

-Gabriel de Sarjava.

Il inscrit dans son registre le nom que je viens de lui donner sans broncher. Je lui donne également une date de naissance au hasard qu'il écrit également dans les pages jaunies et humides de son livre.

-Où dois-je aller maintenant ?

Il relève la tête, avec une mimique sur le visage légèrement sadique et amusée.

-Tu crois vraiment que je ne vais pas te punir pour tes plaisanteries stupides de tout à l'heure ? Tu espérais t'en tirer comme ça ? Avant de visiter le camp et de voir tes chefs de sections, tu vas me cirer le plancher...

Aie ! Je grimace intérieurement. Je comprends beaucoup mieux le côté impeccable et rutilant de cet endroit qui n'est rien de plus qu'une cabane. De toute évidence, je ne suis pas le premier puni...

L'espèce de commandant me désigne alors un seau et un chiffon qui traînent dans un coin et que je n'avais auparavant même pas remarqués.

Avec un soupir, je commence à m'en saisir et à me mettre à ma tache. Deux minutes plus tard les seuls bruits qui résonnent dans le bureau sont les grattements du stylo du comandant sur son registre et mes énergique coups de chiffon sur un sol qui n'en a nullement besoin.

Mais j'aperçois une nouvelle cause de distraction. Quelqu'un monte à l'échelle de corde. Une main apparaît, puis un coude, et enfin un visage.

La jeune fille entre dans la pièce sans même me jeter un coup d'œil.

-Commandant, rien de spécial à dire dans mon rapport d'aujourd'hui...

-Très bien, tu peux disposer Lydie.

Elle ne bouge pas d'un pouce et me dévisage d'un air de profonde réflexion. Je suis heureusement dans un coin d'ombre, penché vers le sol. Elle me désigne fort impoliment du doigt.

-C'est un nouveau ?

-Oui... Il sera d'ailleurs dans ton équipe. Ça m'a tout l'air d'être une forte tête...

Elle lève les yeux au ciel. Un frisson me traverse désagréablement. Non ! Ce n'est pas possible... Je crois rêver. Cette fille, je la reconnaîtrait entre mille.

C'est Sady.

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant