Thaïs (Chapitre 147)

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-'Tension !

La planche tombe et je reste perchée sur ma branche, observant avec un brin d'agacement et de nostalgie ce qui reste de ce qui nous a tenu de maison pendant si longtemps.

Nous obéissons aux ordres du commandant : destruction générale de notre cabane et de tout le quartier général. Comme prévu, Aevin a réussi à changer de section et à se ranger sous mes ordres, ce qui n'arrête d'ailleurs pas de le faire rire... S'il m'appelle encore une fois chef ou capitaine, je ne préviendrai pas la prochaine fois que je ferai tomber une planche...

Les différents bouts de bois rejoignent rapidement le flot marécageux et je ne peux m'empêcher de penser avec un sourire que dans quelques mois, la nature aura reprit entièrement ses droits et qu'il ne restera plus rien de toute cette expédition.

Ça fait bien une heure maintenant que nous travaillions joyeusement à ce jeu de démolition... Ça plait à tout le monde sauf à Bir-Hakeim qui grogne à cause du remue-ménage et parce que Aevin a trouvé absolument indispensable de scier la branche ou elle était installée.

Pas de doute, il ne manque pas d'un certain courage, on peut lui reconnaître ça. A moins que ce ne soit de l'inconscience...

J'observe lentement mes camarades. Je crois que Sarah commence lentement mais sûrement à se socialiser un peu. Elle est moins farouche qu'avant et accepte même de caresser Bir-Hakeim de temps en temps. En revanche, Christian n'a absolument pas changé.

Les mêmes habits un peu décalés, toujours absolument impeccables, et un côté que je trouve absolument insupportable. Enfin, on ne peut pas vraiment dire que ce soit grave.

Hedwige... On s'entend toujours assez bien, cela varie selon les jours. En revanche, je regrette toujours autant que le hasard lui ai donné la place de cuisinier dans l'équipe. Nous avons tous cessé de demander à chaque repas qu'est ce qu'était à l'origine le contenu de nos assiettes car l'explication était toujours décourageante.

Mais maintenant, au moins, nous avons tous un estomac de fer et nous pouvons manger à peu près n'importe quoi...

Guy reste le personnage le plus emblématique de notre section. Courageux, un peu solitaire, personne ne le connaît vraiment. Il est souvent aux côtés de Christian, mais leurs personnalités sont réellement aux antipodes l'une de l'autre. Ce qui n'a pas l'air de les empêcher de s'entendre...

Aevin relève alors la tête vers moi pour hurler quelques mots. Je suis assise deux ou trois branches au dessus de lui dans l'arbre.

-Thaïs ! Ici, on a finit... Je crois qu'on peut rejoindre le lieu du rassemblement...

J'acquiesce et dirige mon regard vers Sarah qui jette à l'eau la dernière planche. Elle relève également la tête et esquisse un fin sourire avant de lancer :

-En effet, on va peut être arriver à être prêt à l'heure, pour une fois...

Aevin éclate de rire et prend un ton outragé.

-Si je comprends bien, je n'ai vraiment pas choisis la meilleure section, c'est ça ?

En me remémorant la haine du commandant à mon égard et la façon dont il nous avait tous regardé, je ne peux m'empêcher d'être entièrement d'accord avec ce jugement.

-En effet, à mon avis, tu as même fait le pire choix possible...

-Quelle terrible opinion de soi-même !... Ttt, vous êtes trop modestes...

Je souris, amusée de son discours, et entreprends de commencer à descendre de mon arbre. Les autres ne tardent pas à me suivre. Nous nous dirigeons vers les deux barques dont nous avons attachées les amarres aux racines d'un arbre, puisque nous venons de détruire très efficacement le ponton, et nous grimpons rapidement à bord.

Les rames effleurent l'eau et nous avançons en rythme. Un étrange silence règne entre nous, sans qu'il soit vraiment désagréable. Nous sommes juste tous en pleine réflexion. Que nous réserve cette journée étonnante ? Et celle de demain ? Et toutes celles des autres jours ?

Nous n'avons que de vagues certitudes, et c'est tout à fait insuffisant. Nous arrivons en vue des grands arbres qui marquent la fin de la partie marécageuse pour laisser place à l'îlot ou se trouve la clairière et nous tirons nos barques sur la terre ferme.

De toute évidence, au vu du nombre des embarcations, nous ne sommes pas les premiers, et de loin, mais pas les derniers non plus.

Il règne dans la clairière un désordre impossible. Partout, des groupes de discussion se sont créés pour pouvoir parler des événements et surtout de ce que l'on ne vas pas tarder de faire...

Quelques minutes plus tard, l'habituel détonation retentit et nous formons rapidement ce qui s'apparente le plus a un carré, en tenant compte de l'aspect restreint de la clairière et du nombre élevé d'adolescents.

Le commandant se positionne au centre et deux jeunes gens viennent comme d'habitude l'encadrer. Il s'agit cette fois d'une fille à l'allure étrange, à mi-chemin entre la guerrière et la studieuse écolière, et d'un garçon que nous connaissons bien, Yves.

Le commandant commence son discours par un ordre clair qui résonne dans la clairière.

-Tous les chefs de section, en rang devant moi ! Vous transmettrez les consignes aux autres...

Je sors aussitôt du rang pour rejoindre les chefs de sections qui se réunissent en file devant le chef. Je remarque alors pour la première fois la présence de trois autre hommes d'âge mûr, au moins la quarantaine, derrière le commandant. Il ne me faut pas plus de dix minutes pour comprendre que ce sont les chefs des maquis qui nous ont rejoints.

Le commandant baisse la voix, pas pour cacher quoi que ce soit mais parce qu'il n'a plus besoin de parler fort puisque nous sommes devant lui.

-Réunissez vos sections dès la fin du rassemblement. Nous partiront dans l'ordre de vos numéros, en commençant par le numéro 1. Vous irez prendre les barques et nous allons nous dirigez vers le nord, droit vers l'orée de la forêt d'abord puis vers la capitale. La première section suivra ce jeune homme que certains parmi vous connaissent, Yves...

Je tente d'accrocher son regard mais je remarque les yeux atones et le manque de réaction. A croire qu'il est toujours sous contrôle dans la journée... Je me reconcentre alors sur le discours du commandant. Il faut avouer que son plan a un immense mérite : la simplicité en est enfantine.

Le commandant poursuit son discours.

-Lorsque nous serons sortis de la forêt, vous marcherez en rang. Et ordonné. Personne n'aura le droit de s'arrêter, compris ?

A l'éclair presque sauvage qui illumine tout à coup ses yeux sombre, je renonce prudemment à l'envie de poser une question. Que font-ils à ceux qui s'arrêtent ? Et puis, je ne suis pas certaine de vouloir connaître la réponse...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant