Intemporel T1 & 2

Thaïs (Chapitre 161)

Je rejoins rapidement le lieu du combat que je viens de quitter.

Toute la rue est en flamme et couverte de gravats, suite aux différentes explosions. C'est maintenant une certitude : le commandant serait enchanté de se débarrasser de moi si il y arrive.

Avec une certaine tristesse, je scrute attentivement les gens qui m'entourent en continuant de m'enfoncer dans la mêlée, cherchant notamment à ne surtout pas recroiser Yves.

Les gardes, malgré leur puissance de feu mille fois supérieure, se font déjà de plus en plus rare. Partout, retentit cet unique cri dans leur bouche : "Retraite".

Je cherche Aevin désespérément, sans le trouver, et tente alors de dénicher au moins Sarah, Hedwige, ou n'importe quel membre de ma section. Peine perdue...

J'ai toujours mon arme à la main mais je ne m'en sers pas, me contentant d'avancer avec les autres en franchissant une énième barricade qui avait été mise en place pour nous arrêter.

Tout ce plan est d'un machiavélisme calculé... Les soldats n'osent pas tirer, paralysés par la hantise de tuer un de leur proche. Bien sûr, les tirs fusent tout de même dans l'air, mais rien à voir avec ce à quoi nous aurions pu nous attendre.

Je remarque alors dans la foule une image qui me fait aussitôt horreur. Inconsciente de ce qui est en train de se jouer, perdue dans un monde soudain plongé en plein cauchemar, une petite fille de six ans reste plantée sur place, figée par la peur, au beau milieu de la trajectoire des balles. Un véritable miracle qu'elle n'est pas encore été touchée...

Sans réfléchir, je me précipite vers elle, commençant un long travail pour traverser la foule à contresens. C'est loin d'être facile...

Trois mètres nous séparent maintenant. Je suis dominée par un terrifiant sentiment d'urgence et je tente d'accélérer, bousculant les gens sur mon passage, ne faisant attention à rien si ce n'est à ce point que je veux atteindre à tous prix : la petite fille.

Je l'atteins enfin et m'agenouille devant elle, évitant de me concentrer sur les gens qui courent à ma gauche et à ma droite, me bousculant souvent au passage.

-Comment tu t'appelles toi ? On ne va pas pouvoir rester longtemps ici tu sais...

La petite hoche la tête d'un air grave.

-Oui, j'ai peur. Je m'appelle Agathe. Et toi ?

-Thaïs... Ou sont tes parents ?

Elle désigne un endroit vague derrière elle.

-Je ne sais pas. Maman m'a dit de courir en avant... Et puis, elle est tombée.

Je tente de garder un calme parfait. Chaque instant supplémentaire que je passe agenouillée ici, je risque de me prendre une balle et de connaître une fin peu glorieuse.

Je me relève et enchaine rapidement, regardant autour de moi en quête d'un quelconque secours.

-Et ton père ?

-Oh ! Il est super ! Il est en uniforme, mais je crois qu'il est derrière nous...

Un policier... Et derrière nous... Je sais pertinemment que tous les hommes qui n'ont pas suivis le mouvement sont ou morts ou grièvement blessés.

J'évite de regarder la petite fille qui glisse alors avec confiance sa main dans la mienne.

-Dis, qu'est ce qu'on fait ?

-On bouge !...

Je l'attrape fermement par la taille et me met brutalement à courir. Deux minutes plus tard, l'endroit ou nous nous tenions explose. Un véritable miracle que j'ai repéré le soldat armé de la grenade ou de quelque chose d'approchant, je ne suis pas vraiment douée en termes techniques de guerre...

-Ahhhhh !

Je regarde alors la petite fille que je tiens toujours dans mes bras. Une tache rouge s'élargit rapidement sur sa poitrine. Elle a été touchée. Pas par l'explosion mais par une balle.

Paniquée, je tente de m'extirper de la foule et de joindre des secours. Mais au fur et à mesure que j'avance lentement au milieu de la panique générale, je sens l'inutilité de mon propre effort.

Je parviens tant bien que mal à rejoindre le côté de la route et m'arrête, adossée contre un mur.

Je tiens toujours dans mes bras la petite fille. Agathe. Qui a pu faire une chose pareille ? Tirer sur une enfant ? Elle ne respire plus. Tout est fini. Elle n'ouvrira plus jamais la bouche pour éclater joyeusement de rire...

Je sens tout à coup plus que je ne le vois quelqu'un arriver devant moi.

Je relève lentement la tête, retenant mes pleurs et écartant mes cheveux de mon visage couvert de sueur. Yves.

Je sens la rage m'envahir à l'encontre du commandant et la panique. Je ne peux pas fuir. Ma seule défense serait de tirer moi aussi... Mais je ne suis pas un assassin.

Yves fixe ses yeux froids sur la petite fille que je tiens toujours inutilement dans mes bras. Il prend alors la parole d'une voix amusée, déplacée dans une pareille situation. Mais je reconnais à toute son attitude qu'il est malheureusement toujours sous contrôle.

-Pauvre enfant... Elle est morte à cause de toi tu sais...

Je sens un sentiment étrange m'envahir. La stupeur, l'horreur et l'incrédulité...

-C'est faux, j'ai voulu la sauver...

-C'est ta désobéissance qui a provoqué sa perte. Il fallait bien que je fasse un exemple... Que je te fasse comprendre ce qu'il en coûte de ne pas tirer quand on l'ordonne...

Je sens quelque chose se briser en moi. Le commandant a tué cette enfant. Uniquement pour me faire souffrir... Si je n'avais pas voulu la sauver, elle serait peut être toujours en vie à l'heure qu'il est.

Je repense à l'explosion. Non, je lui ai offert quelques minutes de sursis. Mais pas plus.

La haine déforme ma voix et mes traits lorsque je reprends la parole, regardant Yves mais m'adressant au commandant.

-A quoi jouez vous ? Si vous me détestez autant, finissez donc en avec moi et non avec les autres ! Et d'ailleurs, pourquoi cette haine ridicule à mon égard ?

Les yeux de Yves luisent d'un éclat encore un peu plus étrange, comme s'ils exprimaient la colère d'un autre à distance. Ce qui est à près tout possible...

-Depuis la première fois que je t'ai vu, depuis le moment ou tu as relevé la tête avec insolence, je t'ai détestée. Et ça ne changera jamais. Quoi que tu fasses...

La chaleur torride en partie dû aux flammes qui ravagent la ville me fait me passer lentement la main sur le front. Je grimace un simple mot en réponse.

-Pourquoi ?