Gabriel (Chapitre 188)

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Maly hausse les épaules sans répondre et tourne déjà les talons. Elle fait un geste de la main et nous invite à la suivre.

-Venez, dépêchez-vous !...

Aevin et moi lui emboîtons le pas tandis que je peste en silence. Cette journée a été infernale, aussi bien physiquement que mentalement, et on me met encore à rude épreuve... Qu'est ce qui va encore me tomber dessus ?

Quelques gardes circulent dans les couloirs mais ils ne font pas attention à nous. Certain me regardent juste un peu trop longuement, fixant avec curiosité le prince banni. Ironie du sort, je viens officiellement de changer de surnom...

Nous arrivons enfin dans un couloir éclairé mais plus petit que les autres et nous ne tardons pas à nous immobiliser.

Plusieurs personnes semblaient nous attendre. Thaïs est agenouillée à terre et sa main caresse mécaniquement sa panthère tandis que Yves est adossé au mur, les yeux dans le vague.

Maly, Aevin et moi, nous sommes donc cinq personnes à nous dévisager avec lassitude. Non...

Une jeune fille sort lentement d'un coin d'ombre. Je ne l'avais pas remarqué mais je la reconnais immédiatement lorsqu'elle s'approche de moi. Marguerite... Aevin accuse le choc lui aussi. Il ne peut s'empêcher de s'exclamer :

-P'tite sœur ! Qu'est ce que tu fais ici ?

Elle tourne ses yeux noirs vers lui et prend la parole d'une voix calme et posée.

-Pardon d'avance Aevin... J'ai déjà tout expliqué à Gaëtan, il pourra...

-Marguerite ! Qu'est ce que tu a eu besoin de lui expliquer ?

Aevin l'a interrompu avec une inquiétude sourde au fond des yeux. Je ne peux que lui donner raison car je trouve Marguerite beaucoup trop calme, beaucoup trop étrange... Devant le silence de cette dernière, je me décide moi aussi à l'interroger.

-Marguerite... Qu'est ce que tu t'apprêtes à faire ?

Elle me dévisage un instant puis s'appuie contre le mur avec un léger soupir avant de répondre.

-Gabriel, j'ai appris que tu étais banni... Que tu allais repartir ?

Je garde un visage parfaitement neutre et impassible pour répondre.

-C'est exact. Je vais repartir...

-Alors, je veux y aller avec toi !

Aevin s'étrangle presque.

-Quoi ! Tu veux t'en aller alors que tu nous a manqué pendant des année... Ne fais pas ça, Marguerite...

Il paraît offusqué, étonné, mais comme d'habitude il n'extériorise aucun sentiment de tristesse. Mais je ne peux que joindre mon incompréhension à la sienne.

-Pourquoi voudrais tu partir ?

-Si je te réponds, tu jures de m'emmener ?

-Non, je refuse. Ta place et ton bonheur sont ici... Moi, je n'ai pas le choix !

-Mon bonheur... Vraiment ? J'ai passé des années enfermée dans mes pensées, sans rien pouvoir faire, certaine que cela durerait pour l'éternité... J'ai souhaité mourir, devenir folle, et que sais-je encore... Même là, je n'ai jamais été exaucée ! En rouvrant les yeux, en me réveillant à la vie, j'ai osé espérer que je pourrai revivre...

Aevin ne peut s'empêcher d'intervenir une nouvelle fois.

-Mais rien ne t'en empêche !

Elle se tourne vers lui et son ton rageur laisse place à une étrange douceur tandis qu'elle s'approche d'Aevin et pose une main sur son épaule.

-Si. J'ai passé des années à remuer de sombres pensées... J'en veux au monde entier. Je déteste mon pays, mon époque... Je veux partir. Tout recommencer. Dans un monde où je n'aurai rien à détester...

J'interviens alors une nouvelle fois. Je refuse d'accéder à sa demande, ça me paraît trop terrible, trop irréel aussi... Je m'en suis tant voulu que j'espérais qu'elle était maintenant heureuse... Il semble que ce ne soit hélas pas le cas.

-Marguerite...

Elle se tourne rapidement vers moi avec une certaine grâce inimitable et ses cheveux sombres volent autour de son visage.

-Gabriel, je ne souhaitais pas te le demander comme ça mais tu ne me laisses pas le choix... Je t'ai aidé jadis à fuir... T'en souviens-tu ? Tu as une dette à payer, c'est le moment...

Elle ne me laisse même pas répondre et se tourne de nouveau vers son frère.

-Aevin... Si tu veux me rendre heureuse, laisse-moi partir. C'est mon choix aujourd'hui... Et ne t'en veux pas... J'espère que vous serez très heureux Thaïs et toi...

Et elle lance un sourire à Thaïs qui vient de détacher les yeux de Bir-Hakeim pour les poser sur notre groupe. Je cherche le regard de Maly pour l'interroger. Elle répond à ma demande avant même que j'ai posé la question, dangereusement grave pour une fois.

-Acceptes Gabriel... Au pire, si un jour elle veut revenir ici, elle saura où te trouver...

Lentement, la gorge nouée, j'acquiesce de la tête avant d'ajouter quelques mots.

-D'accord... Marguerite, si tu penses être plus heureuse en 2016, je t'emmène...

Yves se détache du mur pour tous nous regarder. Il lance quelques mots à mon intention :

-Je n'ai aucune envie de plonger en pleine préhistoire... Alors je suppose que nous ne nous reverrons plus Gabriel... Ça a été un vrai plaisir de faire ta connaissance. Désolé pour les ennuis que j'ai dû te causer quand j'étais sous contrôle...

Il s'approche de moi et me tend une ferme poignée de main que je n'hésite pas une seule seconde à serrer.

-Un plaisir partagé Yves... J'espère que Thaïs trouvera un moyen de te détacher de ce fichu contrôle...

L'interpellée nous rejoint et me lance un lumineux sourire en me tapant sur l'épaule.

-Pas de doute... On trouvera forcément une solution... Au revoir, à moi aussi ça m'a fait quelque chose de te rencontrer... Tu es un prince formidable Gabriel...

Aevin éclate de rire et me donne une amicale bourrade dans le dos.

-Bien sûr, mais n'en dites pas plus, il pourrait prendre la grosse tête... Allez, moi, je vais aussi te dire adieu...

Le moment est plus touchant que tout ce que j'ai vécu aujourd'hui. Azylis devait venir me chercher quelques jours plus tard... Je n'ai plus qu'à aller au lieu de rendez-vous.

Je laisse des amis derrière moi, certes, mais j'espère qu'ils seront tous merveilleusement heureux...

Je me détache lentement du petit groupe pour jeter un dernier regard d'ensemble. Thaïs et Aevin se sont inconsciemment rapprochés, la panthère grogne sur le sol, Yves lui même détourne les yeux, gagné par l'émotion.

Marguerite serre tendrement son frère dans ses bras et lui murmure quelques mots que nous entendons tous. Les plus banals de l'univers... Mais aussi les plus beaux.

-Je t'aime... Je ne t'oublierai pas...

-Tu sais bien que tu es ma soeur préférée...

-Facile à dire, tu n'en as qu'une !...

Il trouve encore la ressource de plaisanter... Je l'envierai presque. Mais lorsqu'il quitte Marguerite des yeux, je remarque l'émotion qu'il tente lui aussi de contenir.

Nous repartons. Définitivement. Je me tourne alors lentement vers Maly, une question au fond des yeux.

Que souhaite t-elle faire ?

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant