Thaïs (Chapitre 124)

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Les regards de Gary et d'Hedwige se croisent. Dans le bazar ambiant, personne ne se rend compte que le jeune homme se détache de son groupe pour venir vers nous.

Je retiens d'une caresse Bir-Hakeim qui grognait, n'appréciant de toute évidence pas a sa juste valeur le nouveau venu, tandis qu'Hedwige se précipite vers son frère. Elle ne peut s'empêcher de s'exclamer :

-Pourquoi es-tu venu ici ? Pas pour moi j'espère...

Mais Gary laisse échapper un merveilleux sourire.

-Bien sûr que si... Je suis venu dans les maquis pour tenter de te retrouver. Tu imagines ma déception quand je me suis rendu compte que je n'étais pas dans le bon ! J'ignorais ou tu étais allée toi... Alors, quand j'ai compris qu'ils allaient réunir les maquis, tu imagines ma joie !

-Tu n'aurais pas dû mais... Je suis folle de joie de te retrouver ! Tu m'as terriblement manqué !...

-Ah oui ? Content de l'apprendre...

Devant sa mine soudain distraite, Hedwige s'est légèrement reculée. Malgré moi, comme ils sont tous deux juste devant nous, je ne perds rien de leur conversation. Elle lui demande doucement :

-Tu m'en veux d'être partie ?

Gary laisse ses yeux errer sur son visage.

-Disons que depuis le temps, je t'ai pardonné... Pourquoi m'as tu fait ça ?

Je sens d'ici la gêne de mon amie, mais je n'interviendrais pas. Pour deux raisons. D'abord parce que ce ne sont absolument pas mes affaires et ensuite, parce que je pense que cette explication est plus que nécessaire. Elle se décide à lui répondre.

-Disons que...j'étais un peu égoïste à ce moment-là... Lorsque j'ai raté l'examen pour entrer à cette école de danse... J'ai ressentis ça comme un profond échec. Lorsque l'on m'a proposé de venir ici et ensuite de revenir en trouvant une place, j'ai décidé de saisir ce que je considérais comme une opportunité... Je crois que jouer les rebelles m'amusait aussi... Je suis vraiment, tellement désolée...

-Bah, ce n'est pas grave...

Nous sommes maintenant une trentaine dans chaque section. Mais le commandant et les autres chefs nous ont prévenus : cette situation peu confortable ne va absolument pas durer. Il n'y a pas de place pour tout le monde et beaucoup de jeunes devront se contenter du sol boueux de la prairie pour dormir le soir.

Je ne suis pas encore certaine qu'on puisse s'en réjouir.

L'avantage de tout ça, c'est que Gary et Hedwige se sont retrouvés. Et ça m'a émue beaucoup plus que je ne suis prête à l'avouer...

Nous sommes toujours dans la clairière et je m'apprête à intervenir lorsque j'avise deux jeunes garçons en pleine discussion avec le commandant. Non ! Ce n'est pas possible... Les paroles d'Edilyn résonnent alors comme une douche glacée dans mon esprit surchauffé : et n'oublies pas, ne parle pas à Aevin !

Je tente de me calmer. Je suis heureuse du désordre qui règne autour de nous. Personne n'a remarqué mon trouble soudain. Je reste indécise, regardant des yeux Aevin et Gaëtan discuter avec le commandant. Ils viennent sans doute d'arriver au camps... On dirait que c'est le jour des retrouvailles.

C'est tellement dur de ne pas courir vers eux... Je sers les poings malgré moi et une petite larme amère roule sur ma joue tandis que je fixe Aevin. Je ne peux pas mettre en danger mon frère... Ma main droite vient se poser d'un geste rageur sur mon bracelet métallique.

J'aimerais tant pouvoir l'enlever et tout oublier... Je me secoue brusquement. Pas question que je reste ici en attendant qu'Aevin ou Gaëtan me reconnaisse... Ma main toujours posée sur mon bracelet, j'interpelle vivement Sarah.

-Sarah ! Tu peux trouver Christian, je ne sais pas ou il est passé, et lui dire de réunir tout le monde pour les ramener à notre quartier général ?

-Il n'y aura pour le moment que les membres de notre section... Les autres ont l'ordre de rester un moment ici.

-Parfait, je compte sur toi...

Je me retourne déjà, prête à courir dans ma hâte de quitter cet endroit. Mais Sarah me rattrape par le bras et me dévisage, à la fois curieuse et légèrement accusatrice.

-Tu vas ou comme ça ?

Je me dégage brusquement et jette un coup d'œil à Gaëtan et Aevin. Aucun d'eux ne m'a vu encore, mais il ne vont pas tarder à m'apercevoir... Je me tourne vers Sarah et invente la plus incroyable excuse qui me passe par la tête.

-Bir-Hakeim commence à s'énerver... Je préfère l'éloigner d'ici.

Je me retourne de nouveau et m'éloigne sans attendre de réponse. Si Sarah a fait un quelconque commentaire, je ne l'ai pas entendu. Je gagne rapidement l'endroit où sont amarrées les barques et constate avec un léger choc leur nombre immense.

Les autres membres des maquis sont venus par la voix maritime on dirait... Sans plus attendre, j'en décroche une et embarque immédiatement dans l'embarcation. Comme à son habitude, ma panthère saute du bord pour me rejoindre et s'installe paresseusement à l'avant.

Je commence à ramer non sans avoir effleurer d'une caresse les oreille de Bir-Hakeim. Est-il possible de s'attacher autant à un animal ? L'idée même me paraît étrange. Pourtant, devant mon affection évidente pour ma panthère, je suis bien obligée de constater qu'on peut effectivement s'attacher à un animal de cette façon.

J'arrive à notre quartier général, désert à cette heure, et attache rapidement ma barque au ponton. Je saute sur le petit assemblage rudimentaire de planches et saisis d'une main sûre le premier barreau de l'échelle. Ma panthère saute de branches en branches pour rejoindre la cabane.

Lorsque j'arrive en haut, je me laisse tomber à l'intérieur avec un soupir dépourvu de toute joie. Je me sens triste, vide, sans aucune raison particulière. J'ai tenu ma parole Edilyn... Je n'ai pas parlé à Aevin... Mais je reconnais que ça été terriblement difficile.

Je m'assois doucement et m'adosse au mur. Ma panthère vient s'allonger à ma droite. Je la caresse d'un mouvement vif et saccadé, tentant de calquer ma respiration chaotique sur la sienne. C'est alors qu'elle se redresse d'un bond et pousse un léger feulement de colère ou de je-ne-sais-quoi d'autre.

Je me redresse moi aussi et vois apparaître à l'ouverture de notre cabane la tête d'un garçon que je connais bien. La panique s'empare de moi. Que fera Edilyn de mon frère ? Je me relève brusquement et tente de reculer. Peine perdue. Aevin entre dans la cabane et éclate de rire, comme si rien n'avait jamais changé entre nous.

-Pitié Thaïs, retiens ton fauve ! J'ai la vague impression que ta panthère ne m'apprécie pas à ma juste valeur...!

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant