Intemporel T1 & 2

Chapitre 24 : Azylis

Je serre ma ceinture verte. Ma tenue est en tout point semblable à celle d'hier. Il doit être environ huit heures et j'enfile précipitamment ma paire de bottes.

Ça doit bien faire une demi-heure qu'Aevin m'a dit de me lever mais... Je me suis rendormie ! Ça m'apprendra à paresser au lit le matin...

Avec un nouveau soupir, je me dirige vers la porte, lorsque j'avise soudainement mon casque blanc, toujours posé en équilibre sur la table. Je murmure comme si elle pouvait m'entendre :

-Promis Ady, je discute avec toi dès mon retour, dès aujourd'hui...

Puis, je me rue dans le petit escalier en colimaçon et dévale précipitamment les marches. Lorsque j'arrive en bas, dans la cuisine, une délicieuse odeur de pain chaud m'accueille.

A part le fait que les tartines soient de couleur arc-en-ciel, j'ai déjà pu constater qu'elles ont le même goût qu'à mon époque... Aevin est dans la pièce, accoudé à la table de bois. Il me regarde avec un sourire moqueur.

-Alors, difficile le réveil ?...

J'entends la voix de sa mère qui nous parvient du salon.

-Oh, Aevin, laisse-là un peu tranquille, je vais finir par croire que j'ai totalement raté ton éducation !

Le ton faussement sérieux de Tavena nous fait tous deux éclater de rire. Je m'apprête à m'asseoir sur une chaise lorsque j'entends un petit sifflement outragé.

Cigarette me regarde d'un air mécontent, occupant le siège que je comptais prendre. Avec un nouveau sourire, je prend la chaise suivante en vérifiant au préalable qu'aucun dragon fâché n'y a élu domicile...

J'avale rapidement quelques tartines et une étrange boisson pour ne pas faire trop attendre Aevin. Lorsque j'ai finis mon repas, je trouve quand même le temps de demander :

-Comment comptes-tu faire de moi une parfaite habitante de ce siècle ?

Il laisse échapper un sourire.
-En te faisant faire plein de visites très instructives et en t'apprenant tout ce que tu dois savoir... On va commencer maintenant, d'ailleurs. Dans ce petit déjeuner, peux-tu nommer les aliments que tu as sous ton nez ?

Je fronce les sourcils. Je me décide à proposer :

-Ça, c'est du pain ?...

Il sourit, avec son éternelle lueur malicieuse au fond des yeux.

-Oui, mais le mot que tu viens d'employer est tout simplement archaïque...

Je hausse les épaules, un poil vexée quand même. Quand je disais que pour lui l'homme de Neandertal ou moi c'était pareil !... Mais commence alors la plus étonnante leçon que j'ai jamais reçue.

Très patiemment même s'il a une très nette tendance à se moquer de mes erreurs, Aevin m'explique le nom de chaque aliment et me les répète jusqu'à ce que j'ai parfaitement assimilé. Que pense Tavena de tout ça, toujours installée dans le salon ? Aevin surprend mon regard inquiet.

-Ne t'inquiète pas, je lui ai expliqué...

-Quoi ?...

C'est plus une exclamation de surprise. J'ai une confiance presque aveugle en sa mère. Ce qui n'est d'ailleurs ni naturel de ma part ni prudent, enfin... Il me rassure d'un sourire, et je cesse d'ailleurs de m'en inquiéter. J'ai d'autres questions à poser.

-Aevin... Où va t-on aujourd'hui ?

Il laisse échapper un petit sourire qui se veut énigmatique. Il joue avec mes nerfs mais cela ne fait que m'arracher un nouveau sourire.

-Dans un endroit qui n'existe pas dans ton époque, et qui va drôlement te plaire, j'en suis certain...

Ça y est, il a réussi son coup. Je suis maintenant dévorée par la curiosité.

-On y va alors ?...

Devant mon soudain enthousiasme, il éclate de nouveau de rire et je me joins à lui. Celui qui profite de notre inattention, c'est Cigarette, pour chiper sur la table du déjeuner une nouvelle tartine car je suis sûre que ce n'est pas la première.

Aevin hausse les épaules et je fais de même, retenant le nouveau fou-rire qui me gagne. Nous nous levons de table et nous dirigeons vers la porte extérieure. Tavena nous adresse un petit salut auquel je répond, le sourire au lèvres. Mais son regard à elle est grave.

Aurait-elle peur pour moi ? Probable. Cela refroidit quelque peu mon bel enthousiasme. Je monte sans même y faire attention dans l'aéronef, car je commence maintenant à en avoir vraiment l'habitude.

Aevin m'explique pendant le court trajet le fonctionnement de l'engin. En fait, c'est la route qui dégage une énergie lumineuse qui lui permet d'avancer.

Je comprends mieux cette impression que j'avais de ces routes qui ressemblaient à des surfaces blanches miroitantes... L'aéronef commence à ralentir et à se rapprocher du sol. Nous franchissons une grande arcade. J'ai juste le temps de lire quelques mots. "Ferme et élevage de..." De quoi ?

L'aéronef s'arrête devant un long bâtiment assez plat. Il me fait un peu penser à une écurie en fait. La forêt tropicale nous entoure, rendant l'air humide et chaud. Je n'ai heureusement pas de veste. Aevin est descendu et je le suis d'un pas impatient.

Que vais-je découvrir de son monde ? Du monde de Gabriel... Il pousse la porte d'un autre petit bâtiment en forme de U. Je remarque immédiatement le comptoir, les guichets, les gens qui entrent et sortent.

J'ai l'impression d'être dans le hall d'un musée en attendant de payer mon entrée... Aevin s'approche d'une dame à la cinquantaine avec un sourire.

-Bonjour, nous sommes deux, et nous aimerions visiter...

Mais une voix l'interrompt et empêche son interlocutrice de parler. Un homme vient d'entrer. Il doit avoir soixante ans, un air débonnaire au visage, et des cheveux d'un gris argent.

-Aevin ! Tu voudrais que je te fasse payer l'entrée ? A toi ?... Pas question !

Allez, viens avec ta charmante amie, je vais vous faire moi-même une superbe visite guidée...

Je souris et Aevin aussi. Nous emboîtons le pas à cet homme. Aevin a juste le temps de me murmurer quelques explications à l'oreille. Je comprends qu'il s'agit en fait d'un vieil ami de son père qui a toujours gardé contact avec eux malgré la mort de celui-ci.

Nous sortons du bâtiment et traversons plusieurs cours. Aevin rejoint notre guide improvisé et lui demande avec un sourire :

-Mais ce n'est pas le parcours de la visite habituelle ça, non ?

Sans même se retourner, l'autre réponds en riant :

-Bien sûr que non... Je vous conduis à la pouponnière... Ça ne te va pas ?

-Oh si ! C'est merveilleusement gentil !

En disant ces quelques paroles, les yeux d'Aevin brillent d'excitation. Moi, je me demande un peu quel genre d'animaux ils élèvent ici... Je crois que je commence lentement à me douter de la vérité.

Nous entrons dans un nouveau bâtiment. On dirait en fait un gigantesque laboratoire impeccable et ultra moderne. Lorsque la porte se referme derrière nous, je ne sais toujours pas où donner de la tête. Je remarque alors la longue table creuse qui recouvre un mur.

Plusieurs homme s'y activent. Des coquilles d'œuf... Mon attention se concentre sur l'un d'eux et j'aperçois un petit museau pointu qui se fraye un petit passage vers la vie, en s'extirpant lentement de la membrane qui le recouvre...

J'ai du mal à retenir un cri de surprise mêlé de ravissement.

C'est un dragon.