•Thaïs• (Chapitre 68)

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Lorsque Lydie est rentrée de son fameux weekend, elle a dû avoir un sacré choc en nous voyant. J'ignore même si elle nous a reconnus.

Quand nous lui avons raconté le résultat du rendez-vous avec le médecin, elle n'a pas pleuré. Elle a eu un peu le même genre de réaction que moi.

Elle est allée dans sa chambre et elle s'est assise sur son lit. Quand Eric est venu la voir, elle s'est contentée de le prendre sur ses genoux et de poser sa tête contre lui.

Je ne l'ai toujours pas vue pleurer mais sa douleur se voyait par bien d'autres signes.

Pendant deux semaines, nous avons ainsi vécu tous les cinq dans une sorte d'état second.

Le seul qui semblait imperturbable était pourtant le premier concerné. Eric continuait de faire mille et une bêtise que nous n'avions plus le cœur de reprendre.

Mais mon père a enfin réussi à se ressaisir. Un dimanche parmi tant d'autre, il nous a tous convié dans le salon pour une discussion sérieuse.

Il a commencé ainsi, je m'en souviens comme si c'était hier :

-Bien. Eric peut vivre jusqu'à quinze ans et il n'en a actuellement que six. On ne va pas mettre en l'air toutes nos vies alors qu'il y a encore de l'espoir. Peut être que cette fichue maladie se stabilisera...

Lydie a alors laissé échapper une phrase étrange.

-Pas comme la dernière fois...

-Quelle dernière fois ?...

Il y a eut un instant de silence et un échange de regards entre ma sœur et mes parents. C'était la première fois qu'ils me mettaient ainsi à l'écart et je m'en rappelle encore.

Finalement, Lydie s'est corrigée.

-Non rien... C'est juste que j'ai connu des gens atteints de cette maladie et... Bref, les statistiques n'étaient pas de leur côté.

Jolie façon de présenter les choses. Mais j'étais sûre qu'elle m'avait mentit et que nos parents savaient à quoi elle pensait.

Je reviens un instant au présent pour regarder distraitement la cabane autour de moi.

Les mots de Lydie prennent aujourd'hui un tout autre sens. Cette maladie... Une précision me reviens à l'esprit. Elle se transmettait génétiquement et le médecin avait dit que c'était presque un miracle qu'il n'y ait qu'un enfant touché sur trois.

Et si Lydie avait été atteinte elle aussi ? Et si se trouvait là l'explication de la sphère Acia ?

Mais alors... Comment ai-je pu ne rien savoir de sa maladie si elle avait un jour été atteinte ?

Un frisson glacé me parcourt. J'ai l'impression d'être plongée au beau milieu d'un thriller policier. Mais un dont je suis l'héroïne...

J'ai la sensation d'avoir compris la moitié du secret de ma sœur. C'est un peu comme si dans ma tête se déchirait un voile destiné à cacher mes souvenirs.

Mais cette question reste présente... En admettant que Lydie ait été malade, je l'aurai forcément su...

A moins que... Il n'y a que deux solutions et elles me paraissent aussi contre nature l'une que l'autre.

Soit Lydie était beaucoup plus âgée que moi lorsqu'elle est tombée malade et l'on a mis son âme dans la sphère avant de la transmettre à une enfant, j'étais donc trop petite pour m'en souvenir, soit on m'a effacé la mémoire.

Laquelle de ces deux idées me fait le plus horreur ? Je préfère ne pas le savoir.

Mes yeux reviennent vers les murs de bois de la cabane. Ça fait bien une demi-heure que je songe inutilement.

Tout cela ne m'apporte que de l'amertume.

Avec les frais médicaux, mes parents ont dû faire des choix. J'ai cessé rapidement d'être scolarisée, ce qui ne m'a pas plus ennuyée que cela.

Lydie a, elle, réussit à continuer grâce à l'aide de ses professeurs.

Pendant quelques temps nous avons réussi à vivre à peu près normalement. Et puis l'état d'Eric s'est soudainement dégradé.

Sa maladie a commencé à vraiment l'handicaper. Et puis, un beau jour, les médecins ont décrétés qu'il ne devait plus se lever.

Il restait allongé sur son lit, avec plusieurs perfusions régulières. Pourtant, il avait toute sa conscience pour compenser sa faiblesse.

Combien de fois avons nous rit tous ensemble ! Papa, maman, Lydie, Eric et moi... Toute la famille autour du petit malade.

C'était avant qu'elle ne parte brusquement dans les maquis. Sans nous prévenir.

Il m'a fallu beaucoup de temps pour admettre que ma sœur avait fui la maison sans même un au revoir...

Je lui en ai tellement voulu. Et en même temps, je n'ai pas compris. Avais-je raté un signe quelconque qui aurait pu se voir dans son attitude ?

Et puis, simultanément, j'ai commencé à ne plus vraiment m'entendre avec mes parents. J'en étais certaine. Ils me cachaient quelque chose de grave au sujet de Lydie.

Ils n'avaient pas du tout réagit de la même façon que moi quand on avait trouvé sous son oreiller son petit message d'adieu.

Ils avaient compris. On aurait dit qu'ils étaient juste deux parents tristes de voir leur enfant devenu grand quitter la maison...

J'avais été jusqu'à fouiller toute la maison de fond en comble pour tenter de trouver le fin mot de l'histoire.

S'il existait, je ne l'avais jamais trouvé.

Mais si seulement mes ennuis s'étaient arrêtés là... Ça aurait été merveilleux. Presque paradisiaque vu ce qui est arrivé après en fait.

Un accident. Une explosion accidentelle dans un bâtiment public. Il n'y a que deux victimes.

Mon regard est distraitement attiré par le reportage qui s'affiche sur mon écran.

Deux victimes... Petit accident. Il y en a des bien plus graves. C'est drôle comme votre vision des choses peut littéralement se modifier selon votre point de vue.

Cinq minutes plus tard, la police sonne. On est toujours un peu inquiet à la vue des uniformes. Mais là, ils ne sont de toute évidence pas là pour m'arrêter.

Ils ne savent pas trop comment me parler.

-Vous avez entendu parler de cet accident en centre ville ?

Ma réponse est laconique.

-Oui. Deux victimes, c'est ça ?

-C'étaient vos parents...

Avez vous déjà eu la sensation que votre vie est totalement injuste ?

Nous n'avons pas parlé avec mon frère. Je lui ai serré très fort la main.

Nous avons échangé un unique regard. Il voulait tout dire. Nous ne serons plus que deux maintenant...

Je ne veux pas le perdre ! Je ne veux plus perdre personne... Ne m'abandonne pas...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant